INTRODUCTION. CE volume est le dixième de ceux qui ont été publiés depuis 1930 sur l'ensemble de notre fonds français. Comme ceux qui viennent d'être consacrés, dans ces trois dernières années, au XVIe siècle par Jean Adhémar, au XVIIe siècle par Roger-Armand Weigert, au XVIIIe siècle par Marcel Roux, il a été élaboré dans une période peu propice à nos études.
Le père noël est une ordure Ajouter ce titre à vos coups de cœur. Définir comme obsession du moment Accéder au profil de l'artiste Acheter ce titre Chargement en cours Auditeurs 10 Scrobbles 26 Auditeurs 10 Scrobbles 26 Ajouter ce titre à vos coups de cœur. Définir comme obsession du moment Accéder au profil de l'artiste Acheter ce titre Chargement en cours Comme d'autres, suivez cette chanson Avec un compte scrobblez, trouvez et redécouvrez de la musique Inscrivez-vous sur À votre connaissance, existe-t-il une vidéo pour ce titre sur YouTube ? Ajouter une vidéo Paroles Ajouter des paroles sur Musixmatch Paroles Ajouter des paroles sur Musixmatch Avez-vous quelques informations à nous donner sur ce titre ? Commencer le wiki Tags associés Ajouter des tags À votre connaissance, existe-t-il une vidéo pour ce titre sur YouTube ? Ajouter une vidéo Repris sur Aucun album ne comprend ce titre pour le moment Voir tous les albums de cet artiste. Repris sur Aucun album ne comprend ce titre pour le moment Voir tous les albums de cet artiste. Vous ne voulez pas voir de publicités ?Mettez à niveau maintenant Liens externes Apple Music Vous ne voulez pas voir de publicités ?Mettez à niveau maintenant Shoutbox Vous devez utiliser Javascript pour voir les shouts sur cette page. Accédez directement à la page des shouts À propos de cet artiste Images d'artiste Le père noël est une ordure 134 auditeurs Tags associés Ajouter des tags Avez-vous quelques informations à nous donner sur cet artiste ? Commencer le wiki Consulter le profil complet de l'artiste Artistes similaires CAPDCV 82 auditeurs Les Bronzés Font du Ski 307 auditeurs La Vie Est Un Long Fleuve Tranquille 48 auditeurs Les Bronzés 512 auditeurs Les Visiteurs 1 978 auditeurs Bassline Boys 1 930 auditeurs Voir tous les artistes similaires Vous ne voulez pas voir de publicités ?Mettez à niveau maintenant Liens externes Apple Music Titres tendances 1 2 3 4 5 6 Voir tous les titres tendances À la une
Là intrigués par autant de munificence, nous aurions dû partir. Pourtant, Zézette du père Noël est une ordure, un espèce de grand gars affublé d'un bide de femme enceinte et d'une jupette à carreaux, rouges et bleus, nous ayant accueillis See other formats • U d'/ of Otlaua in iiiiiii il 39003002391364 Y h t]ê Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Toronto LE THEATRE 1912-1913 ABEL HERMANT LE THEATRE 1012-1013 fj iUOti , Edward SANSOT, Successeur 9, Rue de L'Éperorff 9 \1H Le Théâtre 1912-1913 20 Septembre THÉÂTRE RÉJANE. — Les Yeux ouverts, comédie en trois actes de M. Camille Oudinot ; la Princesse et le Porcher, fantaisie rimée en deux tableaux, de Mme Jacques Terni. THÉÂTRE DE L'AMBIGU-COMIQUE — Nana, drame en cinq actes, de W. Busnach, d'après le roman d'Emile Zola. M. Camille Oudinot fait une figure singulière dans le monde des lettres. Comme il est volontiers cynique en ses propos et en ses théories, on le croi- rait, si an ne le connaissait point, prêt à tout pour parvenir. Mais la mauvaise fée, ou la bonne, l'a doué d'une sensibilité d'artiste discrète et scrupu- leuse, et cette contradiction de son caractère lui donne, entre parenthèses, avec l'héroïne de sa co- médie, une amusante ressemblance, qui apparaîtra tout à l'heure. Il n'a jamais su faire proprement un métier d'écrire, quoi qu'il n'ait rien de l'amateur. Il use avec une rare pudeur de la publicité et de la réclame, et ne tire aucun parti de ses succès. Il en remporté deux qui marquent. Son roman Filles du Monde n'est sans doute pas le prototype des Demi-Vierges, comme l'ont insinué certains criti- ques dans une intention bienveillante. Le livre de 6 LE THEATRE 1912-1913 M. Marcel Prévost est d'une observation trop per- sonnelle et prise sur le vif pour que l'originalité en soit suspecte. Mais l'observation de M. Camille Ou- dinol n'est pas moins personnelle ni moins vivante, et son livre demeurera un document de haute valeur sur cet état particulier de certaines jeunes filles, qu'il est si difficile de définir, et pour quoi M. Marcel Prévost a trouvé le néologisme qui convenait. Au théâtre, M. Camille Oudinot adonné Chaîne anglaise. Je suis un peu gêné pour dire a quel point je trouve cette comédie charmante, puisque j'ai eu l'honneur de la signer avec lui. Mais non, je ne suis pas gêné, puisque je n'avais pas d'abord jugé ma part de collaboration suffisante pour laisser mettre mon nom sur l'affiche. Ce fut M. Oudinot qui l'exigea, et seulement lorsque le succès fut avéré. Contrairement à une opinion trop répandue, les relations restent presque toujours courtoises entre collaborateurs, du moins qui ne sont pas illettrés. * * * Suzanne Oranger est restée veuve avec une petite fille de sept ans. Elle a un budget de six mille francs par an. Elle se résignerait à la médiocrité pour elle-même, elle ne s'y résigne pas pour sa fille. Elle cherche à se tirer d'affaire elle essaie des pauvres expédients classiques vendre des ouvrages de femme, tenir une pension de famille. Les amis qu'elle sollicite de lui procurer des fonds se déro- bent ; elle crée un joli modèle de gilet brodé, on le LE THÉÂTRE 1912-1913 7 lui vole. L'appareilleuse, selon la coutume, arrive à propos et remontre à Suzanne, déjà instruite par ces expériences, qu'une femme n'a qu'un moyen de ga- gner sa vie. Ici se marque la dualité du personnage, qui est la jolie trouvaille de la pièce. Suzanne ne s'effarouche point des offres de l'appareilleuse ; elle dit bien haut, d'abord, et comme pour se persuader, qu'une femme entretenue peut valoir mieux qu'une femme mariée ; elle le croit sincèrement, en théorie quand il s'agit de passer à l'acte, sa sensibilité bourgeoise se ré- volte. Ce conflit pathétique est le sujet même du drame. Il n'aboutit pas tout à fait à la victoire de la vertu ; il aboutit à la victoire de l'amour, et c'est déjà un degré de moralité. Suzanne a séduit deux hommes, le riche Ouranof, roi des pétroles et du thon, et le Parisien Olivier Norsant. Olivier, qui craint les liaisons sérieuses, cède le pas à Ouranof, et elle accepte les présents du Russe, mais elle pré- férerait le Parisien, et j'imagine que ce n'est pas seulement parce qu'il est plus attrayant que l'autre, mais aussi, surtout peut-être parce qu'il est moins riche. Ouranof n'est d'ailleurs point repoussant, ce n'est point une brute, quoique, par modestie exces- sive, il se qualifie soi-même ainsi. Il est même sym- pathique. Il sait donner. La générosité est une forme de l'amour qui ne manque point d'agrément elle n'est malheureusement pas à la portée de tout le monde. Suzanne reconnaît ces avantages d'Ouranof elle ne se résout pourtant de lui dire le oui qu'il 8 LE THEATRE 1912-1913 attend depuis deux grands mois qu'après avoir vu de ses yeux Norsant lever une autre femme. Mais au premier baiser d'Ouranof, elle a une crise de nerfs, et le Russe, qui l'aime bien, mais qui a hor- reur des simagrées, commence à regarder avec com- plaisance la fille de l'appareilleuse, qui vient tout bonnement de s'offrir à lui. Cette jeune personne, fort dessalée, prendra pos- session du roi du thon au troisième acte, et Suzanne se donnera au Parisien, qui a peur de l'amour, mais qui, enfin, ne boudera plus contre son cœur. Cette comédie est parfois d'une brutalité un peu maladroite, mais les situations sont neuves, les scè- nes franchement traitées, et si les nombreux per- sonnages épisodiques semblent crayonnés d'un trait un peu gros et un peu mou, les trois caractères prin- cipaux sont, en revanche, fortement et curieuse- ment dessinés. M. Arquillière a joué le rôle d'Ouranof avec quel- que lourdeur, mais avec intelligence et autorité. M. Cappellani a, comme de coutume, une tenue excellente, un jeu sobre, et la meilleure voix de théâtre, qui ne semble point de théâtre. Mlle Polaire n'a point la physionomie de Suzanne Granger, ce n'est pas sa faute, et elle ne laisse pas de montrer, au cours de ces trois actes, un très bizarre, mais très remarquable talent. Elle n'a peut-être pas non plus les toilettes du rôle. Comment peut-elle s'offrir de telles robes, de tels manteaux et de tels chapeaux LE THEATRE 1912-1913 9 avec six mille livres de rentes, en un temps où les aigrettes sont hors de prix ? La comédie de M. Camille Oudinot est précédée d'une fantaisie rimée en deux tableaux, de Mme Jac- ques Terni, d'après un conte d'Andersen, la Prin- cesse et le Porcher. Le conte d'Andersen est exquis, d'une malice ingénue ; les vers de Mme Jacques Terni, rimes avec la facilité la plus gracieuse, l'or- nent sans le surcharger, et la mise en scène, fort brillante, n'a pas nui au succès de cette petite pièce, bien supérieure aux ordinaires levers de rideau. * Nous ne croyons plus, aujourd'hui, à la corrup- tion impériale. Notre scepticisme retire beaucoup d'intérêt au roman où Emile Zola a symbolisé cette corruption sous les traits de Nana. Nous craignons aussi de n'y pas trouver un document assez authen- tique des mœurs du siècle dernier. Chacun sait que les grands romanciers observateurs, notamment Balzac, ont tout inventé, et n'ont jamais rien observé. Mais je crains qu'Emile Zola ne soit allé dans cette voie un peu trop loin. Et, vraiment, ne pas observer £ ce point là, c'est trop. Nous goûtons cependant l'abondance, la grosse verve de ces pages et ce qu'on appelle le lyrisme du romancier je me suis toujours demandé pourquoi, car on peut apercevoir chez Zola un tempérament épique, non point lyri- que c'est justement le contraire ; mais la critique 10 LE THEATRE 1912-1913 n'est pas à cela près. Ce que nous goûtons surtout, dans le roman de Nana, c'est la naïveté. Elle est bien plus apparente dans le drame, et encore plus ré- jouissante. William Busnach était vraiment un homme de théâtre ; c'est plaisir de voir comme hommes de théâtre, qui savent si bien leur métier, et n'en savent point d'autre, font des pièces qui n'ont ni queue ni tète. Je me souviens d'avoir déjà éprouvé ce plaisir en assistant à certains drames que Dumas père a tiré de ses romans, et qui sont, paraît-il. bien faits. Les directeurs de l'Ambigu ont ajouté à cette re- présentation de Nana un nouvel élément de gaieté en habillant les personnages à la mode de 1912. Nous ne croyons plus à la corruption impériale, mais nous n'avons pas perdu de même toutes nos croyances sur le second Empire, et nous avons peine à conce- voir qu'une personne qui parle de la cour des Tuile- ries, qui ruine un chambellan de Napoléon III, ne porte pas une crinoline. C'est dommage. Mme Paule Andral la porterait fort bien. Cette belle artiste a toute la magnificence physique du personnage. Elle a aussi beaucoup de talent, et nous voudrions l'applaudir plus souvent sur les scènes parisiennes. LE THÉÂTRE 1912-1913 11 22 Septembre THEATRE IMPERIAL. — Son Vice, pièce en un acte, de M. Léon Xanrof ; la Petite Jasmin, comédie en trois actes de MM. Willy et Georges Docquois ; Salomé la Danseuse, vision d'art de M. André Avèze. Nous avons un nouveau petit théâtre a côté, le Théâtre Impérial. Le programme d'ouverture se compose de trois pièces une pièce à thèse de M. Xanrof, une comédie de MM. Willy et Georges Docquois, et une vision d'art de M. André Avèze, l'un des auteurs de Gribouille. La pièce à thèse de M. Xanrof tend à prouver que les maris feraient mieux de ne pas tromper leurs femmes, ou de ne pas alléguer, s'ils les trompent, afin de justifier leurs sorties, un vice qu'ils ne pra- tiquent point ; que, si du moins ils s'attribuent celui de l'opium, ils doivent s'informer d'abord, auprès de personnes compétentes, des procédés employés ordinairement pour fumer cette drogue, et ne pas confondre étourdiment une pipe d'opium avec un narguilé ; et qu'enfin une épouse outragée pourrait bien se venger du faux fumeur avec un vrai, si par le plus grand des hasards la Providence lui en faisait venir un du fond de l'Asie. La comédie de MM. Willy et George Docquors est une variante de Y Autre Danger. Mme Jasmin, grande couturière, Agée, dit-elle, de trente-trois ans depuis treize mois, est sur le point d'épouser son commanditaire et ami, M. Rosebon, âeé de trente VI LE THEATRE 1912-1913 quatre ans. Mme Jasmin, qui une première fois s'était mariée presque au sortir de l'enfance, comme les femmes se marient toujours la première fois, a une fille, Renée, âgée de dix-sept ans et demi. Cette fille est insupportable ; Rosebon éprouve pour elle un sentiment tout paternel on sait ce que cela veut dire. Il s'emploie cependant à marier la jeune personne, d'autant que Mme Jasmin pré- férerait, par convenance, ne se marier elle-même qu'après sa fille, et il amène dans la maison un sien ami, Laliette, Agé de trente-trois ans, qui, venu pour la fille, s'éprend naturellement de la mère. On devine qu'il l'épousera, et que Rosebon épousera Renée ; pour en arriver là, il faut d'abord que Robeson aperçoive qu'il aime celle qui doit être sa belle- fille ; il s'en aperçoit quand Renée lui déclare qu'elle est amoureuse du cocher. Cette comédie est un peu baroque, et il y paraît peut-être davantage quand on la raconte comme une histoire. A la scène, elle semble moins décousue ; elle est conduite un peu lentement, mais fort adroi- tement, par deux hommes qui ont l'instinct et l'ex- périence du théâtre, et de surcroît beaucoup d'esprit. Les mots ne portent pas tous, je ne saurais expli- quer pourquoi. Chez Réjane ou au Vaudeville, on dit. C'est que la salle est trop grande ». C'est peut-être ici qu'elle est trop petite. Sarcey avait bien raison de nous assurer qu'au théâtre tout est mystérieux-, ha Petite Jasmin esl joiièe fort agréablement par LE THÉÂTRE 1912-1913 13 Mme Lola Noyr, par MM. Georges Coquet et Henry- Roussel, et par M. Pierre Bressol, qui n'a pas obte- nu moins de succès dans le rôle du cocher qu'un peu plus tard dans celui d'Hérode. M. André Avèzc nous offre une version nouvelle de l'histoire de Salomé, qu'il faut bien, en effet, ra- fraîchir un peu, sans quoi nous finirions peut-être par nous en lasser. Au lever du rideau, Hérodiade, à laquelle Mlle Yiorica Marini prête l'accent rou- main, tient à Salomé des discours qui rappellent ceux des Femmes damnées de Baudelaire ; mais Salomé ne veut plus rien savoir le rôle de Salomé est tenu par Mlle Séphora-Mossé, remarquée aux derniers concours du Conservatoire. Au fond du théâtre passent deux négresses, dont l'une est vêtue d'une ceinture rose. C'est une vision d'art. Un jeune homme, que l'on appelle Ismaël, vient raconter à Hérodiade il m'a été absolument impossible de comprendre à quel propos que Marie de Magdala renonce à la prostitution et à la danse et s'attache aux pas de Jésus. Salomé, que l'odeur d'homme » met, paraît-il, dans un état inconcevable, se préci- pite hors de scène et va danser devant Hérode. Puis elle revient, en costume de danseuse, c'est-à-dire habillée presque uniquement d'un rubis. C'est une vision d'art. Elle est encore plus excitée que quand elle est partie, et elle raconte, selon l'usage, que le tétrarque lui a promis tout ce qu'elle peut souhaiter, fût-ce la moitié du royaume. Mais ce qui s'éloigne un pwii rie h tradition, c'est l'épisode final de la dé- 14 LE THEATRE 1912-1913 collation du Précurseur. Salomé ne pensait pas du tout à Jean-Baptiste ; alors la perfide Hérodiade lui insinue que, si par hasard elle demandait à Hérode la tête de ce Jean-Baptiste au lieu de demander la moitié de son royaume, Hérode refuserait. Salomé se pique, retourne dans la salle du festin, et repa- rait suivie d'un nègre, qu'il faut remercier de sa dis- crétion car il n'est nu que jusqu'à la taille, et encore la porte-t-il assez haut. Ce nègre présente sur un plat le chef de Jean. Pour finir, Hérode sur- vient et fait à Salomé des propositions qu'elle dé- cline. Mais elle se remet à danser pour cette tête, qui, dit-elle, la regarde, quoique à ce moment la tête soit tournée du côté jardin et que Salomé se trouve justement du côté cour. Malgré cette petite erreur de mise en scène, Mlle Séphora-Mossé exé- cute une danse échevelée autour du plat sanglant. C'est une vision d'art. Elle fait même une culbute entière. On ne viendra plus nous dire que les élèves du Conservatoire n'apprennent rien rue de Madrid. 26 Septembre A L'ODÉON. — La Reine Margot, Andromaque, Le Menteur. Est-il véritable que la plupart des Français ne connaissent un peu d'histoire de France que grâce aux romans et aux drames d'Alexandre Dumas ? Il LE THEATRE 1912-1913 15 conviendrait de le regretter. Mais je pense que l'on exagère. Il m'a semblé, ce soir en écoutant la Reine Margot, que les jeunes générations devenaient un peu rebelles à cette sorte d'enseignement par l'image. Elles ne croient plus que cela est arrivé, du moins de la façon qu'on nous le montre. Elles se représen- tent autrement Charles IX, Catherine de Médicis, Marguerite de Navarre et Henri IV. Je ne dis pas que le vieux drame soit moins amusant que jadis ; je tendrais même à croire qu'il l'est plus et que d'an- née en année, de reprise en reprise, il le deviendra continuellement davantage. Il est d'une cordialité qui touche, d'une bonhomie qui désarme ; l'assassi- nat même s'y pratique avec rondeur ; tous les per- sonnages, qui se ressemblent comme frères et sœurs, offrent un savoureux mélange d'héroïsme et de vul- garité ; les rois se distinguent par on ne sait quoi de prolétaire, qui est tout à fait sympathique, et les traîtres ont le cœur sur la main. Il y a des détails impayables, ainsi ce livre dont les feuillets, trempés dans une mixture d'arsenic, étaient collés ensemble pour les tourner, naturellement, le tyran de Sienne mouillait le bout de son doigt... » Enfin, il faut que ce drame soit bien fait, puisqu'il est d'Auguste Ma- quet et de Dumas père ; et je me demande en quoi consiste cette bonne facture, puisque, du début à la in. on ne sait ni où l'on va, ni quel est proprement le sujet, ni auquel de ces héros familiers il convient il' 1 s'intéresser plus particulièrement. M. Antoine a bien fait, cependant, de monter une 16 LE THÉÂTRE 1912-1913 de ces grandes machines du dernier siècle, qui ont fait époque et qui demeurent des curiosités. La Reine Margot, un peu ennoblie par l'âge, n'est déplacée sur la scène du second théâtre français. Elle est jouée sérieusement et avec intelligence, si- non avec beaucoup d'enthousiasme, par la troupe laborieuse de l'Odéon. Les décors sont beaux, la mise en scène adroite, et si nous n'avons pas fris- sonné aux arquebusades de la Saint-Barthélémy, c'est uniquement parce que nous n'avons plus la foi. La veille, M. Antoine nous avait invités à enten- dre une débutante et un débutant Mlle Guintini, prix du Conservatoire , M. Pierre Bertin, qui n'a jamais passé par cette école. L'épreuve a été plus favorable à celui des deux qui était censé ne rien savoir. M. Pierre Bertin n'a peut-être jamais suivi un cours de diction ni appris à dire les vers ; pour- tant il les dit fort bien et son articulation est par- faite. Il a joué le rôle du Menteur, sans avoir l'air de soupçonner que c'est l'un des plus lourds et des plus déplaisants du répertoire, et il l'a sauvé juste- ment à force de naïveté. Il a été un Menteur char- mant, cela n'est pas ordinaire. Sa timidité même ne l'a pas desservi, encore que sa voix, altérée par l'effroi, atteignît des notes d'une hauteur singulière ; mais ce registre élevé n'allait point mal avec son air d'extrême jeunesse. M. Bertin serait- il le jeune premier dont les auteurs dramatiques atten- dent la venue pour renouer avec les traditions siques et ne plus réserver le privilège do l'amour aux majeurs de quarante ans ? LE THÉÂTRE 1912-1913 17 28 Septembre PORTE-SAINT-MARTIN. — Reprise de la Robe Rouge, pièce en quatre actes de M. Brieux. Je n'espère pas trouver de grandes nouveautés à dire sur la Robe rouge, maintes fois reprise, et qui a subi toutes les épreuves de la critique. La pièce de M. Brieux mérite sa fortune. C'est une des œuvres les mieux construites, les plus solides du théâtre contemporain, et par éclairs un chef-d'œuvre, un des exemplaires de l'art dramatique — et un des meil- leurs exemples que puissent alléguer les détracteurs du théâtre, qui veulent que cet art soit inférieur, ou du moins élémentaire. Je viens de re4ire la Robe rouge, et ensuite de la voir jouer. J'avoue qu'à la lecture, les procédés qu'emploie M. Brieux pour crayonner ses personnages m'ont semblé quasi-pri- mitifs, les figures réduites à un schéma, les caractè- res simplifiés, parfois outrés jusqu'à la caricature ; enfin tous ces gens se livrent et se trahissent dans le dialogue avec une naïveté excessive et. peu vrai- semblable qui sent l'artifice. Mais à la scène, aucun de ces défauts n'apparaît plus ; les figures les plus sommairement tracées s'animent, les personnages vivent, les répliques sont justes et naturelles. Puis donc que les pièces sont faites pour être jouées, il faut que les défauts qui, à la lecture, nous choquent, ne soient point des défauts ; ce sont peut-être des nécessités du théâtre ; et voilà, j'imagine, pourquoi, 18 LE THEATRE 1912-1913 il y aura toujours des délicats qu'il faut plaindre, qui ne feront point assez de cas de l'art dramatique. Je ne reprocherai pas, pour ma part, à M. Brieux, d'écrire sans grâce et avec une correction douteuse. Il me répliquerait trop justement qu'il n'est pas res- ponsable des provincialismes de ses héros, et qu'au surplus, il ne se pique pas de sacrifier aux Grâces il a d'autres soins, plus utiles. M. Brieux sait ce qu'il veut faire, et il le fait. C'est en ces termes pré- cisément que Théophile Gautier ou Baudelaire, je ne sais plus lequel des deux, définissait le véritable artiste, et l'on voit entre parenthèses qu'il manque donc quelque chose à la définition. Je le dis sans la moindre malice à l'adresse de M. Brieux, qui, encore une fois, cherche sa gloire ailleurs, et est bien libre de la chercher où il lui plaît. Il a prétendu, dans la Robe rouge, signaler la déformation professionnelle » des magistrats de province, leur condition médiocre, leur appétit d'a- vancement, leurs complaisances indispensables pour les représentants du pouvoir, pour le député du lieu et pour ses agents électoraux ; l'idée de la justice faussée, même chez les plus intègres, l'instinct de l'humanité étouffé chez les meilleurs, au point qu'ils ne sentent plus la monstruosité de leurs propos quand ils se plaignent de l'indulgence du jury, qui discrédite le tribunal, ou quand ils parlent d'une session sans condamnation capitale comme les Nor- mands d'une année où il n'y a point de pommes. On n'aperçoit guère de remède à ces maux ; il n'y LE THEATRE 1912-1913 19 a point là de lois à réformer, c'est les âmes qu'il s'agirait de redresser, et M. Brieux n'a guère à prê- cher il est réduit à nous présenter un tableau de mœurs. Je ne sais si M. Brieux apôtre a souffert de ce resserrement de son sujet ; mais M. Brieux au- teur dramatique n'y a rien perdu aucune de ses pièces n'est moins dogmatique, plus réelle, et n'é- chappe mieux au défaut de la conférence ; il n'a pu faire de moralité, cette fois, que de la façon que Maupassant faisait de la psychologie, en nous mon- trant les gestes de ses personnages. Les divers membres du parquet de Mauîéon tra- vaillent de leur métier sous nos yeux. Un crime a été commis dans le ressort, à Irissary. M. Brieux combine ingénieusement l'histoire de ce crime, les péripéties de l'instruction avec les petites intrigues de ses magistrats. Ces intrigues sont pour lui l'es- sentiel du drame, et comme, en vrai homme de théâtre, il ne surcharge point, ne dit rien qui ne serve à la pièce, il nous apprend peu de chose du crime lui-même. Il trouve cependant moyen de nous intéresser au prévenu, Etchepare, mais c'est unique- ment par des traits de caractère, et cela me paraît supérieur. Nous ne saurons même pas, au dernier baisser de rideau, si Etchepare, sur qui pèsent de lourdes charges, est coupable, ou s'il est victime de coïncidences et d'apparences. Nous demeurerons à cet égard, dans le même état d'esprit que le minis- tère public, le procureur Vagret, et il y a là encore de la maîtrise, une bien adroite façon de nous rendre 20 LE THÉÂTRE 1912-1913 ce Vagret sympathique, en nous obligeant de penser et de sentir comme lui. Mais je ne veux rappeler que très brièvement la fable, qui est trop connue. Vagret est l'un des magistrats de Mauléon qu'a le plus touchés cette déformation professionnelle qu'é- tudie M. Brieux. C'est aussi l'un des plus excusa- bles il est très pauvre, il a une fille, il a une femme modestement ambitieuse, qui voudrait bien le voir conseiller, et qui a déjà fait l'emplette de la robe rouge. Pour assurer la nomination de Vagret, une condamnation capitale ferait bien au tableau. Vagret demande aux jurés la tête d'Etchepare, et la de- mande de bonne foi j'ai dit que les charges sont accablantes. Les preuves, cependant, manquent. Le doute se glisse dans l'esprit de Vagret au moment même qu'il prononce son réquisitoire, et comme il a encore une conscience malgré la déformation, loyalement il fait part de ses doutas au jury, qui prononce l'acquittement. La carrière de Vagret est brisée, c'est Mouzon, le juge d'instruction, qui sera nommé conseiller à sa place. Mais le juge Mouzon, beaucoup plus déformé que Vagret, ne profitera pas de son triomphe. Au cours d'un^ scène vraiment puissante et belle, nous avons vu cet homme lég^r. point, méchant, mettre positivement le prévenu à la question, et employer les plus vilains procédés pour tirer de la femme Etchepare des arguments confie le mari. Yanetta Etchepare a été jadis condamnée pour recel. Etehepare l'ignore, Mouzon l'apprend par une note de police. Avec une indiscrétion dont LE THÉÂTRE 1912-1913 21 les exemples ne sont malheureusement point rares, Mouzon, pendant les débats, révèle à Etchepare le passé de sa femme. Etchepare, une fois acquitté, la chasse, et Yanetta se venge en tuant le mauvais juge d'un coup de couteau. On a reproché naguère à M. Brieux cet épisode, qui ne tient pas, disait-on, au sujet môme, et qui dé- truit l'unité d'action. Je ne souscris nullement à une telle critique. Il est clair que ce dénouement ne ré- sulte pas fatalement des prémisses de la pièce, mais il est rattaché à l'action avec habileté, il est d'une irréprochable vraisemblance, et je ne déteste pas jus- tement ce qu'il a d'imprévu et de brusque. Les diverses interprétations de La Robe rouge ont toujours été fort brillantes. M. Huguenet, qui a con- servé son rôle de Mouzon, n'y a jamais fait preuve d'un plus merveilleux naturel, de plus d'aisance ni d'autorité. Mme Daynes-Grassot la mère d'Etche- pare n'est pas moins admirable à la Porte-Saint- Martin qu'au Vaudeville. Mme Marie Samary est une digne et excellente Mme Vagret. M. Jean Coquelin Vagret a bien du talent, mais le visage trop plein et trop fleuri, il déplace trop d'air et, comme on dit au régiment, il fait trop de volume pour faire pitié Ton peut bien concevoir, à la rigueur, que les re- mords le tourmentent, mais on ne voit pas qu'ils le dévorent. M. Jean Kemm a composé avec la plus curieuse intelligence son personnage d'Etchepare, et Mlle Vera Sergine, qui avait à lutter contre l'illustre souvenir de M mi Réjane, a pris le meilleur parti 22 LE THEATRE 1912-1913 elle n'imite personne, elle est elle-même, c'est-à- dire une très grande artiste. 4 Octobre THÉÂTRE DE LA RENAISSANCE. — Reprise de Pata- chon, comédie en quatre actes de MM. Maurice Henne- quin et Félix Duquesnel. Soucieux de maintenir le joli théâtre de la Renais- sance au rang où l'avait élevé M. Guitry, M. Tar- ride a repris Patachon. On n'aperçoit pas toujours les motifs qui peuvent déterminer un directeur de théâtre à jouer les pièces de M. Duquesnel une pre- mière fois ; il semble, en revanche, toujours naturel de les reprendre. C'est qu'elles ne paraissent pas ordinairement toutes neuves, à la création ; à la re- prise, elles n'ont pas l'air d'avoir sensiblement vieilli. D'ailleurs, ces considérations générales sur l'œuvre de M. Félix Duquesnel s'appliqueraient moins peut- être à Patachon qu'aux autres pièces du même au- teur. Celle-ci est vraiment agréable et amusante. M. Maurice Hennequin y a collaboré. Je rappellerai l'argument en peu de mots. M. Du- quesnel trouve, paraît-il, singulièrement intéressante — il n'a point tort — la situation d'une fille dont les parents vivent chacun de son côté, et qui est tiraillée entre les deux. Il l'écrivait hier encore à l'un de nos confrères. Il trouve même cette situation si intéres- LE THÉÂTRE 1912-1913 23 santé qu il n'a pas hésité à tirer du sac deux moutu- res comme il dirait lui-même en son langage de critique. N'y avait-il pas quelque chose comme cela dans cette autre pièce, moins bien venue que Pata- chon, Sa Fille, qu'il donnait au Vaudeville l'an der- nier, avec la collaboration de M. Barde, je crois ? Mais revenons à Patachon. Le comte Max de Tilloy, père de Lucienne, ne con- naît que l'amour terrestre, et le pratique, non sans excès. La comtesse ne veut entendre parler que de l'amour divin. Le comte vit à Paris, comme tous les viveurs, et l'on devine, sans qu'il soit besoin de plus amples commentaires, par quels mérites il a obtenu le sobriquet de Patachon. La comtesse vit en pro- vince comme toutes les dévotes. Elle habite Blois. Elle y est entourée de gens de sacristie, et gouvernée par un Tartufe du répertoire, M. Leputois-Mérinville. Ce Leputois s'est mis en tête de marier Lucienne à un sien neveu, Evariste. Mais Lucienne aime ailleurs, bien entendu. Elle aime le marquis Robert de Re- vray, et elle a horreur des cagots. Elle porte toute l'affection qu'elle doit à sa mère, près de qui elle passe huit mois par an ; mais elle s'amuse davantage à Paris auprès de son père, quoiqu'elle ne lui puisse consacrer que quatre mois. Elle veut réconcilier ses parents, et fait vœu de ne pas se marier elle-même avant de les avoir remis ensemble. Elle le déclare tout net à Robert de Revray, qui le dit au comte, qui prend le parti de mystifier la comtesse pour assurer le bonheur de Lucienne. Il quitte Paris, il tombe à 24 LB THÉÂTRE 1912-1913 Blois, feint de renoncer à Satan et à 9es pompes, et soutient ce rôle jusqu'au jour du mariage. Mais Le- putois-Mérinville surprend, un peu tard, des lettres du comte à sa maltresse, la baronne de Verdière, où Patachon raconte en se moquant ce qu'il a ma- chiné. Leputois-Mérinville livre les lettres à la com- tesse ; celle-ci, outrée, veut faire annuler le mariage, et empêcher, en attendant, que les mariés ne le con- somment. Patachon engage Robert à entrer tout bon- nement chez Lucienne par la fenêtre, et à faire son levoir. Robert, qui n'est pas hardi comme un page, hésite un peu ; mais Lucienne se fait si peu prier qu'il suit enfin le conseil du beau-père. Le mal étant fait, la comtesse ne peut plus poursuivre l'annulation en cour de Rome ; elle se résigne et. pendant qu'elle est en train, se réconcilie, tout de bon cette fois, avec le comte. Patachon sent qu'il devient vieux, et qu'il faut songer à faire la retraite, comme dit, non plus M. Duquesnel, mais Racan. Cette fable est un peu innocente elle n'est ni dé- plaisante ni invraisemblable. La pièce est bien me- née, rondement, écrite d'un style alerte, égayée d'assez bonnes plaisanteries, dont les meilleures sont à l'adresse de ces dames et de ces messieurs, dévotes et cafards du Blésois. On avait naguères été un peu surpris de rencontrer ces drôleries sous la plume de M. Duquesnel, qui écrit, comme chacun sait, dans un journal bien pensant ; mais c'est peut-être juste- ment pour ce motif qu'il est réduit à faire de l'anti- cléricalisme un article d'exportation ? A moins qu'il LE THÉÂTRE 1912-1913 25 ne faille imputer cet esprit voltairien à M. Maurice Hennequin, qui a beaucoup d'esprit. L'interprétation de Patachon est satisfaisante. Le rôle du comte avait été créé par M. Noblet ; mais les auteurs se sont heureusement rappelé, au moment de la reprise, qu'ils l'avaient écrit pour M. Tarride, et ils se sont avisés que M. Tarride en avait davantage la carrure et les épaules, comme on parle en argot de théâtre. Je n'aurais pas cru que de telles épaules fussent nécessaires pour supporter le rôle de Pata- chon. Mais, grâce à sa carrure, ou simplement peut- être à son talent et à son naturel, M. Tarride le joue fort bien. M. Bullier est amusant en Leputois-Mérin- ville, et M. Victor Boucher a fait du neveu Evariste une si curieuse, une si admirable composition qu'on rêve de le voir interpréter, à la Comédie-Française, certain personnage d'Emile Augier qui ressemble à Evariste comme un frère. M. Deschamps est, dès à présent, l'un de nos meilleurs jeunes premiers ; il a de la naïveté et de la tendresse. MM. Cousin et Mau~ loy sont bien plaisants. M lle Cécile Guyon a joué avec une grâce délicieuse le rôle de Lucienne ; et il a paru monstrueux qu'avec tant de jeunesse et de vivacité, M m * Marguerite Ca- ron fût déjà tombée dans la dévotion. 26 LE THÉÂTRE 1912-1913 5 Octobre THÉÂTRE DU VAUDEVILLE. — La Prise de Berg-op- Zoom, comédie en quatre actes de M. Sacha Guitry. Je serais bien embarrassé si j'avais le goût des catégories et s'il fallait définir la Prise de Berg-op- Zoom. Il paraît difficile de nier que ce soit un vau- deville, et même qui s'égare parfois dans la farce d'atelier. Mais M. Sacha Guitry a une façon à lui de pratiquer le vaudeville, qui n'est ni la rigueur géométrique de M. Georges Feydeau, ni la noncha- lance de M. Tristan Bernard. On devine que, s'il voulait, il aurait autant de dextérité que M. Feydeau, et qu'il doit le faire exprès quand il a l'air d'être moins adroit. A coup sûr, il n'a pas la foi. Il ne prend pas au sérieux les combinaisons du genre. Mais il aime les situations baroques ou cocasses que ces combinaisons lui fournissent, parce qu'elles ou- vrent le champ à sa fantaisie, et aussi par gageure, parce que son talent singulier est de donner aux inventions les plus arbitraires un air de vérité hu- maine. Je préfère peut-être, pour mon compte, une fantaisie dont le départ serait plus spontané, moins laborieux ; mais celle de M. Sacha Guitry, si elle vient de plus loin que la fantaisie des poètes, ne laisse pas de la rattraper quelquefois, après cette élapo supplémentaire, et de s'élever aussi haut, jus- qu'à des effusions d'un lyrisme qui surprendrait ses auditeurs, s'il n'avait un art consommé pour leur faire insensiblement franchir les espaces. LE THÉÂTRE 1912-1913 27 Le dialogue de M. Sacha Guitry est aussi d'une qualité bien curieuse. Il est plein de traits d'esprit, dont quelques-uns sont de la meilleure qualité, quel- ques autres d'une qualité plus médiocre, mais qui tous appartiennent à M. Sacha Guitry, et nullement à ses personnages. Ses mots, très nombreux, soin très rarement ce qu'on appelle plaqués ce sont tou- jours des mots de situation, et d'un imprévu, d'une gaminerie charmante ce ne sont jamais ou presque jamais des mots de caractère. Il s'ensuit que ce dia- logue, qui est d'excellent théâtre, devrait, en revan- che, paraître artificiel ; mais je ne saurais dire com- ment s'arrange M. Guitry, et je pense bien qu'il n'en sait rien lui-même le dialogue est de convention, et le ton du dialogue est si parfaitement naturel, si juste, qu'il n'en demeure que cette dernière impres- sion, le ton, ici comme ailleurs, faisant la chanson. Je ne me charge point d'expliquer ces contradic- tions apparentes, ni par où les pièces de M. Sacha Guitry séduisent elles séduisent, c'est la grande affaire. M. Nozière écrivait, l'an dernier, que ce jeune homme est aimé des dieux. M. Nozière est bien hardi d'affirmer ces choses-là, qui sont un se- cret impénétrable pour les mortels ; mais chacun peut juger que M. Sacha Guitry est aimé infiniment du public des répétitions générales, et. pour un au- teur dramatique, cela vaut beaucoup mieux. M. Sacha Guitry avait pris soin de ne commetre aucune indiscrétion avant la première, et avait même enveloppé sa pièce d'un certain mystère. Il n'était 28 LE THÉÂTRE 1912-1913 pas jusqu'à ce titre la Prise de Berg-op-Zoom, qui n'intriguât les foules. A vrai dire, il ne les intriguait pas beaucoup. Des personnes, même d'esprit moyen, avaient deviné qu'il s'agissait d'une opération amou- reuse figurée en termes militaires par manière d'al- légorie, de quelque femme malaisée à prendre, et qu'il faut emporter d'assaut, comme Berg-op-Zoom. Je dois, d'ailleurs, m'empresser de dire à ces per- sonnes avisées que ce n'est pas cela du tout. Dès le lever du rideau, nous sentons, autre mystère, que M. Sacha Guitry sait bien où il nous mène, mais qu'il entend que nous n'en soupçonnions rien nous-mêmes avant d'être arrivés. Or, nous ne serons arrivés qu'au troisième acte, et M. Guitry s'entend à merveille à nous faire languir jusque-là ; mais cela rend peut- être les deux premiers actes, en effet, un peu lan- guissants, malgré la drôlerie des scènes, la bizar- rerie du milieu et le comique falot des personnages. Nous sommes chez les Vannaire. Léo Vannaire est un bon garçon, pas un aigle, et il a la manie de découper des silhouettes de bois. Il découpe jusqu'à la planche à repasser. Il fait des copeaux dans le salon, où il a établi son étalier, et sa femme, Pau- lette, aussi ordonnée que vertueuse, a horreur de toute cette menuiserie. Elle n'a pas non plus grand amour pour son mari, mais elle est de ces femmes pour qui la faute est inconcevable. Vannaire a une sœur qu'il a mariée richement dans l'intention bien arrêtée d'emprunter de l'argent à son beau-frère. Enfin, il y a deux autres personnages, un ami de LE THEATRE 1912-1913 29 Vannaire, Rocher, et la maîtresse de Rocher, Lu- cienne ou Lulu, modèle à l'occasion. Lulu plaît fort à Léo Vannaire, qui se met à découper sa silhouette, en attendant mieux. Pendant qu'il travaille, un do- mestique affolé vient l'avertir que deux étranges personnages font une enquête sur le ménage Van- naire chez tous les fournisseurs du quartier. Cela sent la police. Vidal le beau-frère demande à Léo s'il n'aurait point, par hasard, fait quelque sottise qui expliquerait cette surveillance. Léo se trouble et avoue qu'il a détourné, la semaine dernière, une personne d'un âge trop tendre. M me Vannaire, qui est sortie pour un essayage, revient. Les domes- tiques la mettent au courant, et son benêt de mari ne peut se tenir de lui avouer la cause présumée de l'enquête. Elle craint le scandale, téléphone au com- missaire de police de son quartier, et lui demande un rendez-vous, que le commissaire lui accorde pour le lendemain, quatre heures, non pas au commis- sariat, mais chez lui. Paulette a conté, entre temps, aux Vidal, qu'un inconnu la suit depuis plusieurs jours obstinément. Et voilà un mystère de plus, peut- être moins impénétrable que l'auteur n'imagine, car il m'a bien paru qu'hier soir on devinait, dès ce pre- mier acte, que l'enquête était menée par le suiveur, que la police n'avait aucun soupçon du détournement de mineure, et que Paulette allait, mal à propos, le révéler au commissaire. Il faut, de la part du public, s'attendre à tout, même à des éclairs. D'ailleurs, ce qu'on ne devinait point rt qui est le principal, c'est 30 LE THEATRE 1912-1913 que suiveur et commissaire ne font qu'une seule et même personne. Nous avions déjà vu, dans une pièce de M. Capus, les effets plaisants que peut tirer un vaudevilliste de ce personnage double du commis- saire de police, qui a une écharpe et un cœur. Je me hâte d'ajouter que M. Sacha Guitry n'a rien em- prunté à M. Capus. En outre, ce qui le soucie le moins, c'est le côté vaudevillesque de cette situation. Il n'en jouera que tout à la fin de la pièce, pour amener son dénouement. Pendant tout le second acte, nous ne soupçonnons pas encore l'identité du com- missaire et du suiveur, Charles Hériot. Charles Hé- riot rencontre, dans un corridor du théâtre, Paulette, qui, outrée de cette poursuite, le prie de la laisser en paix. Il lui déclare, avec une tranquille assurance, qu'il l'aime, qu'elle l'aimera, qu'ils sont faits l'un pour l'autre, et qu'elle viendra chez lui le lendemain à quatre heures. Elle y vient, en effet, puisqu'elle a demandé un rendez-vous au commissaire de police, et, à la vue de Charles Hériot, elle éprouve une sur- prise que nous partageons, puisque nous apprenons en même temps qu'elle-même que le commissaire est Hériot et qu'Hériot est le commissaire. Leur scène est à peu près tout le troisième acte, qui nous pave avec usure de ces préparations un peu lentes. Ils se disent les plus jolies choses, et toujours aussi impré- vues que tendres. Paulette est séduite avec une rapi- dité incroyable, mais on sait que, selon Octave Feuil- let, les honnêtes femmes sonf celles qui tombent le plus vite. D'ailleurs, elle ne tombe point. Il est dé- LE THÉÂTRE 1912-1913 31 cidé qu'elle divorcera, qu'elle épousera Hcriot, et que, s'ils n'attendent pas tout un an pour s'aimer, ils différeront au moins jusqu'au 24 du mois courant l'almanach à effeuiller qui est pendu derrière le bu- reau du commissaire nous apprend que c'est aujour- d'hui le 15. Ils choisissent le 24, parce que c'est, toujours d'après le même almanach, l'anniversaire de la prise de Berg-op-Zoom et voici enfin l'expli- cation du titre. Paulette ne peut s'empêcher de trouver le délai un peu long, et, tandis que sa tête repose sur l'épaule du commissaire, elle arrache, une à une, furtivement, les feuilles de l'éphéméride. Certaine grande dame du dix-huitième siècle, et Jean-Jacques Rousseau, qui la cite, auraient beau- coup aimé ce calendrier que l'on n'effeuille que d'une main. Bien que la date réelle soit le 15, ce sera donc de- main le 24, et Paulette promet de revenir pour signer la capitulation de Berg-op-Zoom. Elle est cependant trop honnête, ou trop bourgeoise, pour tenir sa pro- messe ; elle attendra le divorce et le mariage elle prie Hériot, par téléphone, de venir lui rendre visite chez elle le mari l'entend téléphoner et mande lui- même par téléphone le commissaire de police pour constater le flagrant délit ; on devine la scène, le commissaire alléguant l'impossibilité où il est de jouer a la fois le rôle de commissaire et d'amant et de dresser procès-verbal contre lui-même ; finale- ment. cVsf le mari qui consent à se laisser prendre en conversation criminelle avec Lulu, qui se trouve 32 LE THEATRE 1912-1913 là à point nommé ; on le tient, d'autre part, grâce à son aventure de la semaine dernière avec la mineure. La Prise de Berg-op-Zoom est jouée à merveille. On dit souvent que les interprètes sont des collabo- rateurs. M. Sacha Guitry auteur serait bien injuste s'il faisait difficulté de reconnaître tout ce qu'il doit à la collaboration de M. Sacha Guitry acteur. Il est impossible d'imaginer une plus parfaite intelligence de la pièce, du texte et du personnage. Mais le con- traire serait surprenant. Ajoutez que M. Guitry pos- sède parfaitement le métier, qu'il l'ait appris ou non, qu'il a tous les dons et que, parfois, il rappelle le grand Guitry de façon saisissante je sais que je ne pourrais lui faire de compliment plus sensible. M™ Charlotte Lysès joue le rôle de Paulette avec une justesse, une finesse et une distinction qui sont aussi peu que possible de théAtre. Elle est touchante par une sorte de froideur, par la réserve, par l'émotion contenue. Elle a une physionomie nette et franche qui est précisément celle du personnage, elle a l'in- telligence et In crrfice. M. Dieudonné et les excellents artistes du Vaude- ville. MM. Joffrr>. Baron fils. Georees Ela- teau, M mM Jane Sabrier, Ellen-Andrée, Marthe De- bienne, ont mérité des applaudissements très chaleu- reux. La Prise de Berrj-np-Zoom a été fort bien mise en scène par M. Quinson. LE THÉÂTRE 1912-1913 33 10 Octobre COMÉDIE-ROYALE. — Le Mari honoraire, comédie en un acte, de M. Pierre Montrel ; le Baiser défendu, opé- rette en un acte, de M. Géo Sam, musique de M. Ed. Mathé; Séance de Nuit, comédie en un acte, de M. Geor- ges Feydeau ; Tante Aglaïs, pièce en deux actes, de M. Louis Bénière. THÉÂTRE MICHEL. — Chonchette, opérette en un acte, de MM. Robert de Fiers et Gaston de Caillavet, musique de Claude Terrasse ; la Bonne Maison, comédie en trois actes, de MM. Gandrey et Henri Clerc ; Son Inno- cence, pièce en un acte, de MM. Paul François et G. Guilleré ; la Cloison, comédie en un acte, de M. Claude Gevel. La répétition générale de la Comédie-Royale, qui a commencé hier vers neuf heures, s'est terminée vers six heures et demie ce soir, après un entr'acte, il est vrai, de dix-sept heures environ, dû à une panne d'électricité. Le lever de rideau, bien que le courant ne fut pas alorslnterrompu, n'a pas été vu de beau- coup plus de spectateurs que la pièce de M. Bénière, qu'on n'a pas jouée. Je n'oserais affirmer que Le Mari honoraire, de M. Pierre Montrel, soit un régal de délicats il n'est du moins destiné, comme tous les levers de rideau, qu'à ces happy few, à qui Stendhal réservait sa Chartreuse de Parme. Après le Mari ho- noraire, nous avons eu une opérette de M. Géo Sam, musique de M. Ed. Mathé, le Baiser défendu, et me voilà encore obligé de parler de ce qui ne me regarde pas. La musique de M. Mathé m'a paru facile et 34 LE THÉÂTRE 1912-1913 agréable ; elle ne choque aucune de nos habitudes ; c'est même au point qu'il semble parfois qu'on l'ait déjà entendue. Le livret de M. Géo Sam est une fan- taisie. Nous voyons d'abord, dans un jardin, deux dames habillées en persanes, comme elles l'étaient toutes cet été sur les plages, où, par économie, elles usaient leurs costumes des fêtes orientales du prin- temps. Mais ces deux personnes tiennent des dis- cours tels qu'un instant nous nous sommes crus à Lesbos. L'arrivée d'un personnage en veston et d'un autre en redingote nous montre qu'il n'en est rien et que l'action est contemporaine. Ces deux person- nages viennent à la lettre de tomber du ciel, car ils étaient en ballon. Celui qui porte une redingote, et qui a de plus un gong pendu à la ceinture, est un nommé Morton, qui se vante de n'avoir connu l'a- mour qu'une seule fois, le jour qu'il a engendré son fils Mikaël, lequel est justement le personnage en veston. Moins heureux que son père, Mikaël ne con^ naît pas l'amour du tout ; il est fiancé à une demoi- selle Phulosas, riche de vingt millions, et M. Phu- losas père entend que son futur gendre demeure in- tact jusqu'au mariaere. Mikaël voudrait bien se dé- niaiser et. comme on dit vulgairement, il ne pense qu'à ch. Chérubin aussi ne pensait qu'à ça, mais au- trement, et il on parlait mieux, quoique sans musi- que, sauf une pauvre romance sur l'air de Rffal- brouck. Vous devine/ que les deux dames, malgré leurs propos inquiétants du début, se précipitant sur Mikaël. qui fait moitié du chemin. M. Mor- LC THÉÂTRE 1812-1913 35 ton, qui craint ces sortes d'accidents, a pris la pré- caution de mettre aux côtes de son fils un satyre. Ce satyre, ingénieusement nommé Coquino, a pour fonction d'écarter de Mikaél le danger féminin, en satisfaisant lui-même par avance, et avec la prodi- galité coutumière aux satyres, les désirs que son jeune maître pourrait inspirer à des personnes entre- prenantes. Malheureusement, ce Coquino, un jour qu'il renouvelait dans un harem l'un des travaux d'Hercule, a été surpris par le pacha et a subi ce que j'appellerai par à peu près une diminutio capitis. "est un faux satyre, c'est moins encore. Bref le fils Morton couche, révérence parler, avec Gilda ; le père Morton couche avec Philo, et le satyre Coquino ne couche avec personne. Tout s'arrange, car Mikaël épousera Gilda, qui a cinq cent mille livres de rente, ce qui faisait à peine dix millions autrefois, mais en fait bien près de vingt aujourd'hui. M. Morton père épousera Philo, et Coquino, qui est incurable, conti- nuera de n'épouser personne. Cette opérette est bien gaie. Nous nous serions crus au collège d'autant que c'est là-dessus qu'on nous a renvoyés nous coucher, de bonne heure ; nous avons eu tout le loisir de rêver à M lleB Lina Do- rey et Routchine. qui sont charmantes. Envions MM. Ferréal Mikaël et Cornély Morton ; plaignons de tout notre cœur M. Rivera Coquino. Aujourd'hui, nous avons eu enfin la pièce de M. Bénière, Tante Aglaïs, et nous avons pu voir en pleine clarté Mme Réjane, de qui le fantôme seul 36 LE THÉÂTRE 1912-1913 nous était apparu hier à la pâle lueur des bougies. Les reines sont partout chez elles et il nous importe peu d'admirer M me Réjane ici ou ailleurs, dans un grand cadre ou dans un petit, sur un théâtre d'ordre ou à côté elle n'est jamais moins admirable. Ce qu'elle peut ajouter à un rôle est prodigieux, presque scandaleux, et devrait faire honte aux au- teurs. Ne jouerait-elle pas à merveille ces pièces d'avant Goldoni, dont les interprètes improvisaient le texte ? J'avoue cependant qu'elle m'intéresse davan- tage quand l'auteur de la comédie ne lui laisse pas toute la besogne et collabore un peu avec elle. Je crains que ce ne soit point cette fois et que M. Bé- nière ne se soit trompé. Il y avait peut-être un drame à tirer de l'affaire Humbert deux petits actes n'y suffisent point. Celle qu'on a appelée la Grande Thérèse n'était pas si grande qu'on veut bien le dire, mais sa figure légendaire est grandiose et sa valeur de symbole est considérable. Pour ne point rééditer l'histoire du testament, M. Bénière a imaginé une très honnête fille qui se vante d'avoir fait fortune dans la galanterie. L'idée est plaisante, mais il en a tiré un parti médiocre. Les premières dupes sont la sœur et le beau-frère d'Aglaîs. chez qui elle est ve- nue prendre sa retraite et qui la croient bougre- ment riche ». On la dorlote, on la flatte, durant tout le premier acte, qui est assez bien venu et rappelle un peu Papillon c'est bien le droit de M. Bénière, un peu Tante Léontine cela regrettable. La vraie pièce commence au deuxième acte, quand Aglaïs est L1C THÉÂTRE 1912-1913 37 dupe des marchands et des préteurs, el ce pe sont plus alors que scènes décousues, de facture bien sage, mais dénuées d'intérêt. Lorsqu'à la fin le beau- frère et la sœur ouvrent le coffre-fort, qui est vide, il y a bien un petit coup de théâtre, mais c'est seule- ment parce qu'ils y trouvent une botte de foin, au lieu d'un bouton de culotte qu'on attendait. MM. Chautard, Marcel Simon et Gaston Dubosc, M mcs Alex et Miller se sont fait applaudir aux côtés de M me Réjane. Le spectacle se termine de la plus joyeuse façon par Séance de nuil, l'une de ces comédies en un acte qui sont peut-être les œuvres les plus originales, et je dirai même les plus puissantes, de M. Georges Feydeau. Sa verve y devient d'autant plus intense qu'il lui donne moins d'espace et qu'il lui mesure le temps ; son invention est précipitée et inépuisable. Oui pourrait résister à la cocasserie, à l'imprévu — ou tout, simplement à l'esprit d'un tel dialogue ? De même que le lever de rideau de la Comédie- Royale, celui du théâtre Michel a été réservé à une élite trop restreinte. Mous avons eu la joie d'ap- plaudir ensuite Chonchelle, que l'on sait générale- ment par cœur, paroles et musique, et qui a pris, en moins de dix ans, un petit air classique aussi flatteur pour M. Claude Terrasse que pour MM. Ro- bert de Fiers et Gaston de Caiïlavet. M. Max Dearly 3 38 t& THÉÂTRE 1912-1913 est toujours incomparable eu Saint-Guillaume, son meilleur rôle. M" e Alice Bonheur joue et chante fort joliment. La nouveauté du programme est une comédie en trois actes de MM. Gandrey et Henri Clerc, la Bonne maison. Elle rappelle un peu le Meilleur de nuit, avec moins de philosophie, ou avec une philosophie moins amère tous Tes ménages à trois ne prêtent pas né- cessairement à des réflexions profondes. Celui de Léa, d'Emile Heurtemotte et de Victor est né d'un hasard. Emile Heurtemotte était venu simplement passer la nuit chez Léa, comme tout le monde, et sans aucune idée de s'y établir, car sa devise est celle de Vivant Dcnon Point de lendemain ». Mais la goutte dispose. Un accès soudain le retient au lit ; Léa, qui est bonne fille, envoie chercher son propre médecin, administre les drogues à Emile et lui ex- plique, tout en le droguant, qu'elle a le goût de ce genre de régularité qu'on nomme collage. Elle a aussi un amant de cœur, Victor. Elle ne le dit pas à Emile, mais Victor, qui ne peut pas deviner la pré- sence d'Emile, survient c'est son heure. Heurte- motte a des scrupules et veut partir. Victor n'en a point et le conjure de rester. Heurtemotte cède et, comme l'accès se prolonge, a tout le temps de s'at- tacher à Victor autant qu'à Léa. Un de ses amis, Régnier, le vient voir, lui fait honte de sa complai- sance et veut, pour le tirer de là, lui démontrer que Léa est au premier venu. Il entreprend donc la jeune personne elle est avertie, elle le gifle. Heurtemotte LE THÉÂTRE 1912-1913 39 reste dans la Bonne maison. Il feint même, une fois guéri, d'être encore malade pour y demeurer plus longtemps. Cette jolie pièce, finement écrite, est finement jouée par M. Polin, qui a cependant un peu de lourdeur et qui fait un peu trop de grimaces mais il a la goutte. M. Decaye Régnier se fait très crâ- nement gifler, et il faut admirer le naturel, la vérité parfaite de M. Lucien Rozenberg, dans le rôle de Victor, qui n'était point cependant, il me semble, tout à fait de son emploi. Une des originalités du spectacle de M. Michel Mortier est qu'il se termine, comme il commence, par un lever de rideau Son innocence, de MM. Paul- François et G. Guilleré. Ce petit acte, non sans mé- rite et assez plaisant, a été très bien joué par M. De- caye et M lle Timmy. 12 Octobre THEATRE FEMINA. — L'Enjôleuse, comédie en trois actes de MM. Xavier Roux et Maurice Sergine. La pièce de MM. Xavier Roux et Sergine est une œuvre extrêmement soignée, d'une distinction un peu laborieuse et très assaisonnée d'esprit. Que lui man- que-t-il pour passionner les foules ? Un rien de vul- garité peut-être, ou l'intérêt dramatique. Il y a bien une situation, et, à la rigueur, cela peut suffire. Cer- taines pièces, notamment de M. Henry Rernstein, semblent faites pour un acte, et cet acte pour une 40 LE THÉÂTRE 1912-1913 scène. Mais il faut que la situation unique soit bien forte, et bien particulièrement de théâtre », pour fournir et suffire à toute une pièce. Entendons- nous je ne répète point ici, en d'autres termes, la distinction des pièces où il y a une pièce et des pièces où il n'y en a pas cette formule me paraît l'une des plus vides de sens et de substance, et des plus nuisibles qu'ait inventées la critique du dernier siècle ; d'autant que l'on omet de définir cette pièce, qui, selon les grammairiens de l'art dramatique, doit se trouver dans toute pièce pour la rendre viable ; et quand son absence est trop évidente, dans un chef- d'œuvre, par exemple dans Bérénice, on se tire d'af- faire en nous disant que le génie créateur consiste à tirer quelque chose de rien ». Cette billevesée est de M. Nisard. Mais je maintiens que certaines situa- tions sont de théâtre, et d'autres point. Je crois que ce qui distingue les unes des autres, c'est qu'on peut rendre le spectateur entièrement témoin des pre- mières, et qu'on ne peut mettre les autres sur scène que partiellement ou point du tout. Il suit de là que la situation de toutes la moins scénique est celle qui aboutit au geste qu'on ne peut décidément pas mon- trer. Et telle est justement la situation capitale de XEnjôleuse. Quand, exaspéré par les coquetteries de Lucienne Rouvray, le sanguin M. Caslellon l'empoi- gne et la veut tout bonnement prendre de force, la scène a beau être bion menée, touchante, pathétique, il y manquera toujours un élément essentiel d'inté- rêt, puisque nous ne pouvons pas douter du résultat LE THEATRE 1912-1913 41 négatif, ou du moins qu'on ne nous montrera rien que de négatif, et cela seul compte, pour le specta- teur, qu'on lui met devant les yeux. N'allez pas croire, sur ce qui précède, que l'Enjô- leuse soit encore une pièce à satyres. C'est, au con- traire, une très honnête pièce. Lucienne Rouvray et Jacques Rouvray, architecte diplômé par le gouver- nement, font le plus gentil ménage ; ils s'adorent. Si Lucienne enjôle » tout le monde et n'importe qui, le commis de son mari, un homme de lettres amateur, et jusqu'à un général persan, c'est bien machinalement, sans penser à mal, et peut-être parce que toutes les femmes sont ainsi. Mais elle ne veut pas même croire qu'elle ne le fasse point ex- près elle prétend servir les intérêts de son mari et allumer la clientèle. Le fort client, Castellon, prend un instant les choses au tragique, et dit à Jacques vertement ce qu'il pense des maris que leurs femmes aident à ce point-là. Castellon est bien sévère. Jac- ques ne l'est pas moins, au dénouement, car il in- vite sa femme à ne plus se mêler de ses affaires. Mon Dieu, il n'y avait pas si grand mal. Les personnages de Balzac sont moins bégueules, et, chez lui, l'épouse de l'expéditionnaire ne se gêne pas pour dire à son époux Je crois bien que j'ai fait ton chef de bu- reau. » Nous n'avons plus de ces franchises ce n'est pas qu'il nous soit venu des scrupules ; mais nous avons davantage de savoir-faire, et nous avons observé que l'hypocrisie sert le vire plus encore qu'elle ne rend hommage à la vertu. 42 LE THEATRE 1912-1913 L'Enjôleuse est jouée par M. Arquillière avec une parfaite justesse de ton, un naturel excellent, une émotion mesurée, et une sûreté de métier bien remar- quable. .M. Louis Gauthier interprète aimablement le rôle un peu terne du mari. M me Monna Delza est pleine de grâce. M lle Jane Danjou est agaçante c'est un compliment, si l'on prend le mot dans son ancien sens ; mais la déviation qu'il a subie est significative, et doit avertir cette jeune artiste, et bien d'autres, qu'entre agaçante et insupportable il n'y a pas un abîme. M. Bertet joue le petit rôle du général per- san avec l'accent russe, pour indiquer sans doute qu'il ne reste presque plus rien de son malheureux pays, partagé entre la Russie et l'Angleterre. Enfin, M. Henry-Roussell a cru devoir, pour paraître sur la scène du théâtre Femina, emprunter sa tète au directeur de Je Sais Tout. 14 Octobre THEATRE DES ARTS. — Marie d'Août, pièce en 3 actes, de M. Léon Frapié ; Une Loge pour Faust », comédie en un acte de M. Pierre Veber. Marie d'Août, de M. Léon Frapié, nous réservait une bonne surprise. Nous savions officiellement, par les avant-premières, qu'il s'agissait d'une servante de cabaret, bousculée, violée et rendue mère par un .Garçon livreur tout cela eu une fois, oh ! ces garçons livreurs î ensuite consolée, réhabilitée, épousée par THEATRE 1912-1913 43 un caissier idéaliste et sensible ». Et nous pensions avoir lieu de craindre que la pièce ne fût à thèse et à couplets, morale, sociale, tranchons le mot, en- nuyeuse. Elle est bien un peu tout cela, mais elle est aussi amusante, gaie, solennelle sans prétention, si ces deux mots se peuvent accoupler ; c'est, en der- nière analyse, un vaudeville, qui n'est pas fabriqué par un ouvrier de théâtre fort expert, mais qui a, en revanche, des qualités de comédie, et où certains caractères sont crayonnés d'un trait un peu gros, mais ferme et juste. La touchante aventure de Marie d'Août, qui est le sujet de la pièce, passe au second plan, et le dénoue- ment est amené par la combinaison passablement ar- tificielle de l'intrigue principale avec une intrigue secondaire, qui vient au premier plan à tout propos. Ce n'est peut-être pas là une composition fort bien équilibrée. Le caissier idéaliste et sensible », Guidot, a un fils, Laurent, très mauvais sujet. Ce jeune homme, qui gagne cent cinquante francs par mois, est si bien habillé, et surtout si bien chaussé, qu'on soup- çonne à première vue qu'il pourrait bien recevoir de l'argent des dames. Ce serait un jugement, téméraire, et, au contraire, il leur en donne ; à telles enseignes que, chargé d'encaisser trois mille francs, il les a mis dans sa poche, à l'intention d'une petite amie. L'heure étant venue de les rendre, il court, affolé, à la maison de commerce où son père est caissier, et détermine cet homme scrupuleux, mais faible, î\ 44 LE THÉÂTRE 1912-1913 prendre tout bonnement les trois mille francs dans la caisse du patron, qui est en voyage. Il faut dire, à la décharge de Guidot père premièrement, qu'il ne fait à son fils aucun reproche et pas le moindre ser- mon ; deuxièmement, qu'il est l'ami d'enfance de Taingras, son patron, que Taingras est le plus sale caractère, mais le plus brave homme du monde, et eût donné les trois mille francs si Guidot n'avait pas été dans l'impossibilité de les lui demander. Lorsque, en effet, Taingras revient, et que Guidot lui avoue le détournement, il ne fait pas plus de re- proches ni de sermon à Guidot père que Guidot père n'en fait à Laurent, mais il veut absolument savoir pourquoi son caissier a eu besoin de trois mille francs. Guidot a honte de révéler l'indélicatesse de son fils, et se tait obstinément. Ce silence exaspère le vieux garçon maniaque, qui veut percer le mys- tère et fait suivre son employé par la police. Mais la brouille du patron et de son caissier commence de faire jaser sur la place. Laurent, qui vient d'ob- tenir un avancement peu mérité, uniquement dû à l'honorabilité notoire de son papa, craint que cette brouille ne lui fasse tort, et supplie lui-même Gui- dot de tout dire à Taingras. Comme le vieux brave homme s'entête, la jeune fripouille prend le parti de suggérer à M. Taingras une explication fantaisiste de Femploi des trois mille francs. Il insinue que son vertueux père pourrait bien avoir une histoire de femme, et que la femme, pourrait bien être cette ser- vante de cabaret, cette Marie d' \ùl. qui lui apporte LE THÉÂTRE 1912-1913 45 son déjeuner au bureau tous les matins. — Je note en passant que j'ai pu, sans parler d'elle, raconter presque toute la pièce. Taingras est enchanté d'avoir surpris enfin le se- cret qui l'empêchait de dormir. Il s'en va chez Marie d'Août, qui loge dans un misérable garni ; et comme Laurent, ce malin, a su persuader à son père qu'il devait honorer d'une visite la pauvre fille, patron et caissier se rencontre chez elle. Taingras fiance le caissier et la servante, et tout le monde est content, tout le monde est sauvé ; mais je doute que Laurent fréquente beaucoup chez sa belle-mère. La pièce de M. Léon Frapié est remarquablement jouée par M. Janvier, touchant et simple, même quand son texte manque de simplicité ; par M. Lu- cien Dayle, plein de bonhomie et de drôlerie dans le rôle de Taingras ; par M. Dullin, fort pittoresque en policier amateur, ci-devant professeur de l'Univer- sité. M. René Rocher Laurent a su comprendre la différence qu'il y a entre le dandysme de Brummel et le chic d'un petit employé, qui s'habille mieux. M" e Marthe Barthe a interprété, avec une douceur émouvante, une réserve digne, une sorte de modestie sans humilité, le joli rôle de Marie d'Août. Le spectacle commençait par une amusante fantai- sie de Pierre Veber. Vue loge pour Faust. Cette loge, qui est celle du ministre des beaux-nrts, passe de main en main et finalement revient aux premiers porteurs. 46 LE THÉÂTRE 1912-1913 15 Octobre THÉÂTRE ANTOINE. — Une Affaire d'or, comédie en trois actes de M. Marcel Gerbidon. Il y a bien du talent, de la nouveauté, de l'intérêt sérieux, de l'amusement dans la pièce de M. Marcel Gerbidon, une fable ingénieuse et significative, des caractères bien dessinés. Je lui ferai un reproche elle manque un peu — comment dirais-je ? — de grandiose. L'un des maîtres de la critique drama- tique, un de ceux qui ne sont plus, se plaignait na- guère à tout propos, que les auteurs contemporains n'eussent point l'envergure d'Eschyle ou de Shakes- peare. Je ne jurerais pas que Shakespeare ni Eschyle fussent à leur place et à leur aise dans le cadre des Variétés ou des Bouffes-Parisiens. Mais M. Gerbi- don n'a pas craint d'aborder un sujet qui oblige il traite la question d'argent ; le lieu de sa pièce est New- York, ville que la plupart de nos compatriotes ne connaissent que par ouï-dire, mais qu'ils se figu- rent colossale ; tous ses personnages sont milliar- daires et le disent, ou le deviennent, ou cessent de l'être entre neuf heures et minuit ; ils conçoivent des affaires qui passent notre imagination ; leurs divers types représentent plusieurs générations d'Améri- cains du Nord, ou même symbolisent des idées gé- nérales ; bien plus, le vieux monde est confronté avec le nouveau, et le désaccord de leurs sensibilités produit les événements de la pièce. Tout cela est d'une observation appliquée, d'une psychologie fine LE THÉÂTRE 1912-1913 47 et parfois juste ; mais au point de l'histoire où nous sommes, un conflit franco-américain n'est pas encore un sujet psychologique, c'est un sujet épique. Les dissentiments conjugaux de Monsieur et Madame Roumestan pouvaient suffire à illustrer les petites différences de tempérament qui se remarquent chez nous entre les familles du Nord et celles du Midi je ne trouve pas que John Gibbs et Mrs Gibbs, sa femme, née Germaine Lesage, soient des héros assez considérables pour personnifier le tempérament yan- kee et le tempérament français. Félicitons cependant M. Gerbidon d'avoir crayonné cet Américain et cette Parisienne, qui ne sont pas plus grands que nature, ni même peut-être aussi grands, mais qui vivent ; et félicitons-le surtout d'avoir inventé un autre mariage mixte que celui de l'héritière américaine et du noble Européen désargenté. Le premier acte m'a paru le meilleur, sans doute parce que l'étude des mœurs est la partie supérieure de la pièce. C'est une manière de prologue. Nous sommes donc à New-York, dans les bureaux de la banque Hutchinson, dans un cabinet réservé aux doux premiers secrétaires, John Gibbs et Sam Royce. Sam Royce est d'origine irlandaise et de sensibilité lui-ouropéenne, au lieu que Gibbs est yankee pur- sang, ou selon la formule. L'Irlandais est fiancé à la dactylographe Emma, John cherche une autre dac- tylographe qui décharge Emma d'une part de la besogne. Une Française, Germaine Lesage, se pré- sente. Comme il est rude, il la reçoit peu courtoise- 48 LE THÉÂTRE 1912-1913 ment ; comme elle a de la dignité, elle le rembarre mais comme elle a surtout besoin de gagner son pain, elle pleure ; il s'attendrit et l'engage. John a précédemment reçu la visite de son père, Timothv. un gros fermier du Xébraska, paysan ma- dré, entre nous, beaucoup plus normand qu'améri- cain. Gibbs père a semé des pépites d'or dans l'une de ses terres, et compte raisonnablement, par ce moyen, en centupler le prix. Le banquier Hutchin- son, qui ne soupçonne point la fraude, pense rouler le vieux fermier et acquérir le domaine à bon compte. Il ignore que son secrétaire est le fils du fermier. Mais c'est. Timothv Gibbs qui roule Hutchinson, et le domaine qui vaut bien trois cents dollars, est payé par le banquier quinze cent mille francs. L'entracte est de douze années. Dans l'intervalle, John Gibbs a épousé Germaine Lesage, et acquis une fabuleuse fortune. Les Gibbs ont un enfant, qui est élevé, comme tous les enfants de milliardaires, dans un luxe fou. et qui dépérit faute de privations. Gibbs est un vertueux mari, car il a des principes, mais Germaine trouve que ce n'est pas un mari, car il a des affaires et ne saurait penser à autre chose. L'oxtrême hardiesse de ses entreprises effarouche aussi la pauvre femme, et quand elle apprend que Gibbs combine un trust du charbon qui ruinera des milliers de gens, à commencer par Hutchinson et Sam Royce, elle proteste que par tous les moyens elle empêchera un tel crime. Gibbs ne fait qu'en rire e\ l'engage à se mêler de ce qui la regarde. LE THEATRE 1912-1913 49 Germaine, pour empêcher ce qu'elle appelle un crime, a usé du moyen le plus élémentaire elle a divulgué les machinations de Gibbs. Le trust est constitué, il fonctionne, causant grèves, ruines et suicides ; cependant les principales victimes gardent un front serein. C'est qu'elles ont pris leurs précau- tions et font venir des charbons d'Europe, Gibbs, à son tour, va être ruiné ; il s'affole, et quand il dé- couvre enfin que sa femme l'a trahi, il la chasse. Le père Gibbs arrive à propos pour tout remettre en ordre et tirer la morale de la pièce. Il reconnaît que Germaine n'a pas joué correctement son rôle d'é- pouse, mais il avoue que John est aussi allé un peu trop loin. D'ailleurs. John entrevoit déjà une façon de retourner les choses à son profit et de rétablir sa fortune. Il se lancera donc plus que jamais dans les grandes affaires et ne se retirera point à la campa- gne comme Germaine souhaitait. Mais le vieux Thi- mothy y a, depuis l'autre acte, emmené son petit-fils, qui est déjà en voie de devenir un fort garçon. La comédie de M. Marcel Gerbidon est richement montée. Le palais du milliardaire ne m'a point paru fort désirable », comme ils disent mais si l'ar- gent ne fait point le bonheur, il ne fait pas non plus le goût. M. Gémier a composé avec soin, avec science et avec son intelligence coutumière, le personnage de Timothy Gibbs, M me Andrée Mégard est sincère, touchante et belle en Françoise transplantée sur l'au- tre rive. On a beaucoup et justement applaudi M me " Dermoz et Jane Fusier. M. Rscoffier John Gibbs. 50 THÉÂTRE 1912-1913 16 Octobre THÉÂTRE DU GYMNASE. — Reprise du Détour, pièce en trois actes, de M. Henry Bernstein. J'éprouverais un étonnement bien vif s'il n'était pas établi d'ici à demain par le consentement uni- versel que le Détour est la meilleure pièce de M. Henry Bernstein. Lorsqu'un auteur a le talent et l'autorité de M. Bernstein, et qu'il est parvenu à un rang aussi éminent, l'on ne porte plus guère sur lui, à chacune de ses premières et de ses reprises, que des jugements, pour ainsi dire, de style. Donne-t-il une pièce nouvelle ? Si grand qu'en puisse être le succès, on s'accorde, tout en la louant, à louer da- vantage, à préférer et comme à regretter la précé- dente. Si c'est une de ses anciennes pièces que l'on reprend, la critique y aperçoit quelques rides, mais ne nie point qu'elle ne tienne le coup. Et si enfin on reprend sa première pièce, alors, il n'y a qu'un cri C'était la meilleure ! » Cette opinion est adoptée avec d'autant plus d'em- pressement qu'on en peut déduire que l'auteur arrivé avait bien du talent avant d'avoir du succès, qu'il n'a pas tenu tout ce qu'il semblait promettre, et qu'il a fait, depuis ses éclatants débuts, des progrès à re- bours. Je ne crois pns, toutefois, que notre prédilec- tion pour les premiers essais des grands auteurs soit déterminée seulement par la malveillance. Elle doit être, dans une certaine mesure, justifiée ; car LE THÉÂTRE 1912-1913 51 elle est quelquefois sincère et naïve. Du temps que j'étais au collège, l'on n'avait pas encore supprimé le concours général, que l'on va prochainement réta- blir. Tous les ans, depuis l'origine, les copies les plus remarquables avaient les honneurs de l'impres- sion. C'est ainsi que nous pouvions lire des devoirs de nos aînés glorieux. Je me souviens, entre autres, d'un discours français de Sainte-Beuve et d'une am- plification de Michelet, que nous trouvions bien su- périeurs, pour le fond et pour la forme, à tel cha- pitre de l'Histoire de France ou à telle Causerie du Lundi. Comme nous n'étions pas alors suspects de porter envie à Michelet ni à Sainte-Beuve, et que nous n'avions aucun profit à publier qu'ils n'ont fait que déchoir depuis la rhétorique, il faut donc croire que les œuvres de début, et même les devoirs d'écoliers, ont un charme, ou une valeur, ou une signification, et que nous sentions tout cela confu- sément. Du moins, pour la critique, une œuvre de début est un document plus intéressant que les œuvres de l'âge mûr. L'originalité de l'auteur ne s'y aperçoit pas ordinairement à la première audition ou à la première lecture on s'étonne, à la reprise, de voir comme elle était déjà formée. On la reconnait à pré- sent, parce que les œuvres venues depuis, et qui nous servent de termes de comparaison, nous ont familiarisés avec elle peu à peu mais il est fort na- turel qu'on ne l'ait pas aperçue du premier coup, parce qu'elle ne s'était pas encore dépouillée de tous 52 LE THÉÂTRE 1912-1913 les éléments étrangers qui enveloppent la person- nalité, même la plus singulière et la plus jalouse, en ce temps de culture extrême et de très vieille ci- vilisation. Lorsque l'âge et la maturité viennent, le créateur original élimine de lui, et parfois avec une sévérité excessive, tout ce qui n'est pas rigoureuse- ment de lui-même. 11 se manifeste chez l'individu ce qu'on appellerait, pour un peuple, une crise de nationalisme et ce nationalisme est souvent un peu étroit. C'est pourquoi l'œuvre de début, qui n'est jamais, qui ne peut être supérieure à l'œuvre de ma- turité, est pourtant plus variée et plus nombreuse et surtout elle nous instruit mieux du talent de l'au- teur, pareeque nous l'y pouvons avec fruit étudier à l'état naissant, après l'avoir étudié, en d'autres œuvres, à l'état d'achèvement. La différence de physionomie est si frappante, entre le Détour et. les autres pièces de M. Bernstein. qu'il semble à première vue que l'auteur ait brusque- quement changé de route, au lieu de poursuivre son évolution. Mais je n'en crois rien, et je vois déjà dans le Détour, et même dans le Marché, tout l'au- teur de Samson, d'Israël, de l'Assûut je vois, à cha- que réplique, sa signature, sa marque, et. pour par- ler comme lui, sa griffe. Je rappelle la donnée du Détour. Jacqueline, fille d'une femme entretenue, élevée parmi les camarades et les amants de sa mère, sem- ble vouée, fatalement, à la galanterie. Elle n'v ré- pugne pas. du moins théoriquement. Elle n'a ni LE THEATRE 1912-1913 53 principes ni préjugés, mais une certaine propreté, si j'ose dire et un goût de l'ordre qui est peut-être le plus sûr fondement d'une morale pratique. Un Parisien, brave garçon, qui l'aime et ne lui déplaît pas, lui propose une liaison, qu'elle pourrait accep- ter sans honte, car il n'est pas assez riche pour qu'elle ait le sentiment de se vendre en lui cédant. Mais un provincial, et de surcroît protestant, lui propose de l'épouser, et, avec une joie presque pué- rile, elle accepte. Elle se trouve affreusement dé- pnvsée et seule, dans le milieu bourgeois où elle a cru naïvement que ses instincts l'adapteraient. La vertu agressive de ses beaux-parents, l'hypocrisie d'une petite belle-sœur la révoltent ; l'accueil indis- crètement empressé que l'on affecte de lui faire par devoir et par charité l'humilie ; il lui paraît inju- rieux que l'on se donne tant de mal pour la réhabi- liter ; enfin, elle étouffe, et quand le Parisien du premier acte, Cyril, revient à point nommé pour la tirer de cet infernal paradis, elle le suit sans trop hésiter, mais non pas de gaieté de cœur. J'ai du chagrin » est le dernier mot de la pièce. Jacqueline, par le détour du mariage, revient, je ne veux pas dire à la cralanterie. mais à l'irrégularité, à quoi ses origines la condamnaient. Un tel sujet ne fournit pas. à proprement parler, do situations ni surtout la situation unique et qui prête A une seule grande scène. — comme cette merveilleuse seène du Voleur, si fréquemment imitée depuis, et qui a toujours autant de 54 L E THEATRE 1912-1913 succès, même quand elle n'est pas de M. Bernstein. C'est une sorte de roman psychologique ; et, si M. Bernstein avait eu la maladresse de débuter dans la littérature par des récits, l'on n'aurait pas manqué de lui dire, lors de la première du Détour, qu'ainsi que tous les romanciers il n'entendait rien au théâ- tre. Ce reproche, qui semblerait aujourd'hui comi- que, eût été dès lors injuste. Si je pouvais reprendre une à une les scènes du Détour, je montrerais faci- lement que chacune expose un état d'âme ou des mouvements d'âme, et que les moyens d'expression n'appartiennent qu'à l'art dramatique, dont M. Henry Bernstein n'était pas maître en ce temps-là moins qu'aujourd'hui, étant né homme de théâtre. Il est vrai que nulle pièce contemporaine n'est peut-être plus chargée de psychologie que le Détour, et nulle autre n'est moins encombrée d'analyse psychologi- que. Ce n'est même pas la psychologie de Maupassant, qui esquive aussi l'analyse, et qui traduit le senti- ment par le geste, mais qui est, en conséquence, des- criptive, exclusivement propre au roman, et qui s'é- vanouit à la scène. C'est la vraie psychologie de théâtre et justement pour ce motif je ne la puis dé- finir, car elle n'a ni procédés, ni formules ; elle ne se discute point elle se manifeste, elle existe, et elle n'existe que sur le plateau. Mais je ne voudrais pas que l'on se méprit à ce mot h psychologie de théâtre ». Je n'insinue pas qu'elle est arbitraire ou de convention, ni qu'elle est LE THEATRE 1912-1913 55 sommaire. Tout au contraire, elle est, sans analyse, d'une vérité que les analystes les plus fins ont rare- ment égalée ; elle est d'une vérité moyenne, d'une vérité complexe, elle n'escamote aucune des hésita- tions, des inconséquences, des contrariétés qui sont habituelles au pauvre coeur humain, et si gênantes pour la conduite d'une pièce que d'ordinaire l'auteur dramatique les supprime tout bonnement. Le mérite supérieur de M. Henry Bernstein est d'avoir su cons- truire une pièce dont l'architecture ne laisse rien à désirer, sans rectifier ni sans ramener à une géomé- trie hors nature les matériaux hasardeux que la réa- lité lui fournissait. Les critiques dramatiques ont décidé une fois pour toutes que les pièces bien faites sont toujours bien jouées. Cela est possible, mais j'avoue que la preuve de cette nécessité ne m'apparaît point. Je crois, en revanche, que les pièces, même bien faites, mais très profondément vraies comme le Détour, sont fort difficiles à jouer. M. Henry Bernstein a eu la rare bonne fortune de rencontrer deux inter- prétations presque parfaites. On ne saurait avoir oublié l'admirable début de Mme Simone. Elle était Jacqueline elle-même. Mme Madeleine Lély est toute différente de Mme Simone et elle interprète le rôle avec une si belle sincérité, une sensibilité si exquise que l'on croit encore avoir devant les yeux la Jacqueline que M. Bernstein a rêvée. Mme Ju- liette Darcourt Raymonde. la mère de Jacqueline joue à miracle ces mères si jeunes, qui n'auront ja- 56 LE THÉÂTRE 1912-1913 mais l'âge de raison. Mme Cécile Caron, dans le rôle de la belle-mère protestante ; Mme Louise Mai - quet, dans le rôle scabreux de la princesse Uranu, et Mlle Suzanne Goldslein, dans celui de l'hypocrite belle-sœur, sont remarquables. Le rôle de Rousseau père est une des plus heureuses compositions de M. Sigiidrët. J'ai admiré le naturel, l'autorité, l'émo- tion discrète de M. Dumény Cyril. Des artistes qui mériteraient la vedette, MM. Lefaur, Puylagarde, Gandéra. tiennent des rôles de trop peu d'importance. Enfin. M. Capellani a obtenu un grand et légitime succès et nous a, une fois de plus, charmés par l'in- telligence et la sûreté de son jeu, par sa simplicité, par sa mesure, par son goût. 22 Octobre THÉÂTRE IMPÉRIAL. — Le Voile d'amour, opérette en deux actes, de MM. Nozière et Guérin. musique de M. Paul Marcelles Comme on fait son lit... comédie en trois actes de M Frappa. Le Théâtre Impérial , ouvert depuis trois semaines, donnait hier, 21 octobre, son deuxième spectacle do la saison. C'est beaucoup pour une bonbonnière. Si M. Paul Franck a l'intention de recevoir aussi soin ont cet hiver, il devrait inviter par séries, com- me aux chasses. Tl nous a offert, hier soir, un morceau de choix. Le Voile £» suivent. Elles sont effroyables. Ginette, alïolée de jalousie, ne cesse pas de l'aire la navette entre Mar- seille et Pans, et ne peut se décider à partir pour Mexico. Le cousin de Pont-l'Evêque ne se résigne pas facilement a perdre sa part de trois millions, et ni l'achat d'un habit noir, ni une soirée passée au Rat-Mort ne suffisent à le consoler. Mais des galles assez réjouissantes ayant successivement appris à M. le président Montigny-Marlotte qu'il est cocu avec sa maîtresse et cocu avec sa femme, le ciel se rassérène au moment que l'on pouvait précisément craindre que l'orage n'éclatât, et Ginette part pour le Mexique, non seulement avec le pharmacien, mais avec son mari, à qui elle a pardonné, et qui sera dé- coré tout de même ; car j'avais oublié de vous dire qu'il y avait une croix en souffrance. La Part du Feu est jouée comme rarement vaude- ville le fut, par MM. Victor Boucher, André Lefaur et Hurteaux. Renan avait tort peut-être d'égaler la beauté à la vertu. Mais, au théâtre, il n'y a aucun inconvénient à dire que la beauté vaut le talent Mmes Ariette Dorgère, Marcelle Praince, Templey, sont bien jolies. * * * Pour l'anniversaire de Racine, la Comédie-Fran- çaise a joué samedi un à-propos, ou plutôt une comédie de qualité, le Sacrifice, dont l'auteur est M. Valère Gille, poète belge, c'est-à-dire français. J'ai lu avec grand plaisir le Sacrifice, mais ne l'ai 166 LE THÉÂTRE 1912-1913 pu voir la Comédie, toujours discrète, n'avait poinl convoqué les critiques à la répétition. Les directeurs de bonbonnières sont moins discrets. Ils sonnent le tocsin chaque fois qu'ils changent de lever de ri- deau. Ils devraient méditer la fable de l'enfant qui crie au loup quand le loup n'y est pas, et qu'on ne croit plus quand il serait peut-être intéressant de voir le loup. Enfin, croyons encore M. Mortier pour cette fois, mais c'est bien parce qu'il s'agit d'une pièce de M. Pierre Veber. Celle-ci, comme les au- tres œuvres du même auteur, est ingénieuse, bien faite, symétrique et balancée à la façon des pièces de Marivaux, avec une causticité qui ne tient pas du marivaudage, et une psychologie fort pessimiste ou, du moins, désabusée. M. Pierre Veber pense que les femmes ne distinguent pas volontiers les hommes qui n'ont pas été distingués par d'autres femmes, et que le désir est une forme de la jalou- sie. Mme Barbet-Maltourné c'est le principal per- sonnage des Bonnes Relations partage cette opinion de son auteur, et la met en pratique. Mais elle veut, en outre, que le mari ou l'amant qu'elle chipe à une amie n'appartienne plus ensuite qu'à elle seule, car elle ne prête pas, dit-elle, sa brosse à dents. Comme je la comprends ! Elle se promet à M. Trigaud, qui vient de lui faire une déclaration, si j'ose m'expri- mer ainsi, sur la bouche. Mais elle ne se rendra effectivement à lui qu'après qu'il sera brouillé avec Mme Trigaud. Trigaud entame, dans l'instant même, une scène de rupture avec sa femme, et de LE THÉÂTRE 1912-1913 167 la meilleure foi du monde. Mais la scène tourne autrement et aboutit à une naissance neuf mois après. Mme Barbet-Maltourné, que l'amour aveugle, croit que l'enfant est de Melchior, ami intime des Trigaud, cesse d'aimer Trigaud, le croyant cocu, et se met à aimer Melchior, croyant qu'il est l'amant de Mme Trigaud. Elle finit par apprendre la vérité, et nous ne savons pas au juste si elle couronnera la flamme de Melchior, mais, en somme, peu nous importe l'essentiel est que les Trigaud soient ré- conciliés et donnent, le plus tôt possible, un petit frère ou une petite sœur à Jean-Pierre. C'est la grûce que nous leur souhaitons, en cette nuit de Noël. Souhaitons aussi aux excellents interprètes de MM. Pierre Veber et Claude Rolland d'assurer leur mémoire d'ici à demain. Cette comédie, qui est légère, gagnerait à être jouée sans hésitations. 10 Janvier ATHÉNÉE. — La Main mystérieuse, comédie d'aventures en trois actes, de MM. Fread Amy et Jean Marsèle. Il me souvient qu'aux temps héroïques de la psy- chologie, l'Irréparable de Bourget venait de paraî- tre dans la Nouvelle Revue, une dame, et cependant titrée, scandalisa Trouville en criant sur les plan- ches Moi, c'est Gaboriau qui me pince ! » Je n'ai pas tout à fait le même goût, il n' y a pas que Gabo- Ifr* LE THÉAÏHE 19BM913J riau qui me pince, el je lui préférerai toujours M. Paul Bourget, mais j'avoue que Gabonau ne laisse pas de me pincer quelquefois ; pour parler avec plus de généralité, j'adore les histoires de po- lice et de voleurs. Eiles sont le dernier refuge du merveilleux, et elles ont, sur les contes de fées, l'avantage d'être possibles. D'ailleurs, les récits arabes du moins font au voleur, sinon au policier, la grande place qui lui est due ; mais c'est à la lit- térature la plus moderne que revient l'honneur d'a- voir aperçu et proclame la gloire véritable du dé- tective, personnage en effet quasi fabuleux, thau- maturge, intelligence ou même génie au service de la vertu, de la justice et de l'innocence persécutée, enfin le plus poétique, le plus sympathique des héros de roman ou de drame. Tel est l'avis de la comtesse Mirendol, et c'est ce qu'elle remontre à sa fille Geneviève en bien meil- leurs termes que je ne fais ici, quand cette jeune personne, qui aime le timide ingénieur André Bur- tin, apprend que l'ingénieur n'est pas un ingénieur, mais fils de détective, détective lui-même, et qu'elle semble d'abord, si j'ose dire, un peu défrisée par cette révélation. Elle se remet bientôt et tombe d'ac- cord avec sa mère que rien n'est beau comme un détective, surtout quand il a les charmes personnels de M. André Burtin, et aussi quand on a besoin de ses services. En effet, les vols se multiplient à Phi- ladelphie, où s'est nouée l'intrigue où la comtesse, Française, mais plus Américaine que nature, et sa LE THÉÂTRE 1912-1913 169 fille, se sont établies depuis douze ans. Nous voyons André Burtin lui-même chercher avec angoisse dans tous les coins un médaillon qui lui a été dérobé, et qui n'a pas de valeur intrinsèque, mais qui contient un document unique la signature du fameux Arsène Lupin, sur un bout de papier. On ne décou- vre pas le médaillon, mais, cinq minutes plus tard, une détonation appelle tous les invités de la com- tesse à la grille du parc, où, par suite d'un éclate- ment de pneu, l'automobile de la Bilonzoni, can- tatrice italienne, vient de faire panache. Tandis que les uns s'empressent autour de la voiture renversée, et que les autres cherchent partout la victime de l'accident, qui a disparu, nous voyons entrer en scène une personne masquée et affublée de ce vête- ment élégant qu'on appelle, en style de catalogue, le parapluie du chauffeur. Cette personne, qui sem- ble néanmoins appartenir au sexe féminin, fait main basse sur tout ce qu'il y a d'argent dans les réticules de ces dames abandonnés çà et là sur les tables, et démolit, grâce à un truc de jiu-jitsu, l'athlète mon- dain Géorgie Buckingham, qui passait mal à propos avec une boîte de pharmacie. Deux minutes plus tard, toute la compagnie revient avec la Bilonzoni, qu'on a enfin retrouvée, courant comme une folle à travers le parc, et nous commençons de nous deman- der si la main mystérieuse » qui opérait tout à l'heure devant nous n'est point celle de la Bilonzoni, La comtesse Mirendol, qui est du premier mouve- ment, n'hésite pas une minute à en être persuadée, il 170 LE THÉÂTRE 1912-1913 ce qui ne l'empêche point d'emmener le soir même la Bilonzoni sur son yacht, vers Atlantic-City, où elle doit donner, le lendemain, une grande fête mu- sicale et sportive, avec le concours de la cantatrice et de plusieurs boxeurs. Vous pensez bien qu'on vole sur ce yacht comme dans un bois, et que les charges s'accumulent contre la Bilonzoni. On retrouve une de ses épingles à cheveux dans le coffre-fort, qui a été forcé. Le capi- taine du yacht a tiré sur une femme qui s'échappait de la cabine de la comtesse, où elle était entrée par un hublot, et le manteau de cette femme a été troué par la balle. Percy Beitham, fiancé de la Bilonzoni, lui ordonne de montrer son manteau, elle affecte une grande indignation, jette le manteau a la mer, Géorgie Bukingham le repêche le manteau est troué d'une balle. Ce dernier incident détermine la comtesse Mirendol a faire usage de la téléphonie sans fil et à requérir le chef de la police d'Atlantic- City, qui viendra cueillir la coupable au débarque- ment. Cependant la comtesse, qui ne manque pas de flair, a eu quelques instants de doute. Il lui semble que les charges s'accumulent d'une façon un peu artificielle et que les pièces à conviction sont dépo- sées tout exprès où les gens qui font l'enquête les découvriront du premier coup. Nous doutons bien plus encore que la comtesse ; car, si nous avons vu, au premier acte, une femme, dissimulée sous le t parapluie du chauffeur », chiper tout ce qui traî- LE THÉÂTRE 1912-1913 171 nait, nous avons vu, au deuxième acte, un des chauf- feurs du yacht sans jeu de mots se glisser dans la cabine de la comtesse et travailler le coffre-fort. Nous doutons, ou plutôt nous ne savons pas du tout à quoi nous en tenir, et c'est dans cet état d'es- prit si favorable à l'intérêt que les auteurs de la Main Mystérieuse ont su adroitement nous mettre quand le rideau tombe pour la seconde fois. Dès qu'il se relève, nous apprenons cent choses, plus merveilleuses encore que tout ce qui précède, et vraiment inattendues. Nous voyons reparaître le chauffeur du yacht, vêtu cette fois d'une magnifique redingote ; et cela ne suffirait pas à nous faire dou- ter qu'il soit voleur de profession ; mais André Bur- tin tombe dans ses bras, l'appelle mon père », et du coup nous devinons qu'il est précisément le con- traire d'un voleur et qu'il ne s'introduisait naguère dans la cabine de la comtesse que pour des motifs de la plus honorable curiosité. En voici bien d'une autre la comtesse elle-même survient ; et, à la vue du faux chauffeur, transformé en gentleman, elle se trouble et pour que Mme Augustine Leriche se trouble, il faut qu'il y ait quelque chose là-dessous. C'est, en effet, qu'elle a reconnu Guerchard car, bien que le ci-devant chauffeur se fasse appeler maintenant sir Francis Jettorn, il est le fameux Guerchard en personne, l'adversaire d'Arsène Lu- pin. Devinez-vous dès lors qui est la comtesse ? Si vous ne le devinez pas. vous n'avez aucune ima- gination ou aucun sens de la logique de théâtre. 172 LE THÉÂTRE 1912-1913 La comtesse est Aime veuve Arsène Lupin, d'où il suit presque fatalement que c'est elle aussi la vo- leuse. Et voici le fils de Guerchard, amoureux de la fille d'Arsène Lupin ! C'est à peu près la même si- tuation que dans le Cid, mais les héros ne sont pas réduits à laisser faire le temps ni leur vaillance. Un simple attendrissement de Guerchard père assurera le dénouement que nous souhaitons, et qui ne nous a jamais à vrai dire inspiré la moindre in- quiétude. André Burtin-Guerchard épousera Gene- viève Lupin-Mirendol, la comtesse ne fuit pas en aéroplane, comme elle en avait l'intention ; elle finit même pas confesser publiquement que la main mystérieuse est la sienne, et qu'elle a volé tout en- semble par charité et par plaisanterie. Ses victimes ont la bonne grâce d'en rire et nous trouvons nous- mêmes la plaisanterie fort agréable. La Main mystérieuse a été mise en scène par M. Deval avec autant d'habileté que de goût. Le salon de la comtesse Mirendol, au premier acte, est amusant, pas trop lourdement luxueux, et meublé de jouets électriques tout nouveaux qui ne diverti- ront pas moins les parents que les enfants. Le yacht fait honneur à l'industrie française ; car je ne doute point que la comtesse Mirendol, qui est patriote, ne l'ait fait construire en France. La pièce est très bien jouée, par des artistes qui prennent autant de plai- sir à nous donner la comédie que nous à l'entendre. Mme Augustine Leriche a une verve naturelle, dont l'égalité, comme la mesure, me semble admirable ; LE THÉÂTRE 1912-1913 173 Mme Leone Devimeur est de la plus touchante sen- sibilité. Mme Jeanne Loury a fait de la Bilonzoni une figure à caractère bien dessiné. M. Garcin André Burtin a une certaine froideur mystérieuse, MM. Guyon fils et Harry Baur la plus intelligente fantaisie. MM. Gallet, Cueille, Lecocq, Randall, Té- rof, Sauriac, Mathé et Dubourdieu, Mmes Yvonne André, Jeanne Frémaux, Roseraie et Rose Grane ont composé des rôles moindres avec autant de soin que de grands rôles, et ont îmérité leur très vif succès. 11 Janvier THEATRE REJANE. — Alsace, pièce en trois actes, de MM. Gaston Leroux et Lucien Camille. Notre manie funeste de l'originalité nous fait mé- connaître les vérités les moins douteuses, dès qu'elles sont admises ; et les principes mêmes de conduite, de politesse ou de bon goût ne nous pa- raissent plus dignes que de figurer sur le carnet d'un Flaubert, parmi les maximes prud'hommesques et les bêtises bourgeoises, quand il nous semble que trop de gens les ont répétés. Cette façon de voir est bien peu philosophique. Les vérités ne perdent, point ni ne gagnent à être vulgarisées. Il faudrait même souhaiter que les utiles devinssent banales. Mais la vanité française ne s'en accommoderait point. 10. 174 LE THÉÂTRE 1912-1913 Qui oserait citer encore, sans s'excuser d'un sou- rire, le mot fameux de Gambetta Pensons-y tou- jours, n'en parlons jamais » ? Cette recommanda- tion n'est cependant pas moins sage aujourd'hui qu'hier ; nous venons d'en faire, au Théâtre Ré- jane, assez cruellement l'épreuve. Puisque décidément je ne rougis pas de citer des mots qui ont traîné partout, les auteurs d'Alsace me permettront de leur en rappeler un de Corneille, après celui de Gambetta c'est qu'à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». Cet adage s'appli- que aussi bien au théâtre. Si l'on veut que je le tra- duise en un langage plus moderne, plus nietzschéen, je dirai qu'il faut vaincre dangereusement. Si l'on préfère la terminologie de M. de la Palice, je dirai qu'on ne risque rien quand c'est à coup sûr, et que cela peut sembler parfois désobligeant à ceux qui n'aiment pas d'avoir les mains forcées d'applaudir. Si, par exemple, comme au baisser de rideau du premier acte, vous nous montrez des Alsaciens chantant à demi-voix la Marseillaise, tandis que dehors peut-être la police allemande les écoute, il est fatal qu'une partie des spectateurs éclate en applaudissements, que quinze secondes plus tard ceux qui applaudissent regardent de travers ceux qui s'abstiennent, et que ceux qui s'abstiennent se laissent aller, pour confesser leurs sentiments civi- ques ou patriotiques, et que l'acte se termine par une ovation. Si, à la fin du deuxième acte, vous montrez un vieil Alsacien maltraité par deux offi- LE THÉÂTRE 1912-1913 175 ciers allemands, et que vous lui fassiez dire le mot de Cambronne, et que l'héroïne de la pièce ajoute Eh bien quoi ! Vous n'allez pas le tuer parce qu'il a parlé français ! » l'effet ne sera pas moins sûr que celui de la Marseillaise. Je ne le désapprouve pas j'ai pour le mot de Cambronne autant d'admiration que de sympathie, et j'avoue que, depuis bien des années, je n'hésite jamais à le proférer chaque fois qu'il m est commode ; mais si fiers que nous soyons d'être Français quand ce petit mot nous vient aux lèvres, il ne faudrait pas en oublier les origines. Ce n'est pas un mot de victoire, et je rappelle aux amateurs que sa célébrité date de Waterloo. Après ces deux baissers de rideau, je me deman- dais ce que nous aurions pour le troisième et le der- nier acte. Nous avons un dénouement ingénieux, factice, de pur théâtre, mais enfin de bon théâtre si vous voulez. L'Alsacien qui a épousé une Alle- mande, et qui, la guerre déclarée, n'a le courage de se résoudre ni pour son ancienne ni pour sa nou- velle patrie, a celui du moins de se faire écharper dans la rue en criant Vive la France ! » et vient mourir entre les bras de sa mère. Mme Réjanc a su tirer parti de cette fin aussi magnifiquement que du dernier geste et de la dernière phrase de la Course du Flambeau — qu'il va de soi que je ne compare pas. L'effet a été si puissant qu'une spectatrice du balcon l'a accompagné d'une attaque de nerfs, et cet incident, qui n'est pas si ordinaire au théâtre 176 LE THÉÂTRE 1912-1913 Réjan* que dans un autre théâtre du voisinage, n'a pas laissé de contribuer à l'émotion finale. Il n'est point aisé de raconter, sauf peut-être en quatre mots, la pièce de MM. Gaston Leroux et Lucien Camille. La donnée en est fort simple, peu neuve, et a dû coûter davantage à leur mémoire qu'à leur invention. La famille Orbay a émigré par- tiellement. Par une assez bizarre et, je crois, assez rare anomalie, ce sont les parents qui sont allés s'établir en France, et Jacques, le fils, qui est resté au pays, n'étant point de nature à se déraciner. Il est tombé amoureux d'une jeune fille allemande, Marguerite Schvvartz. Mme Orbay revient de Paris tout exprès pour empêcher le mariage et je pense qu'elle l'empêche en effet cette fois ; mais, un peu plus tard, étant devenue veuve, elle n'a plus la force de résister à son fils, qu'elle voit trop malheu- reux. Jacques Orbay épouse donc Marguerite, et c'est dès le début, malgré l'amour, la mésintelli- gence, l'antagonisme, le duel quotidien et sourd des deux races imprudemment rapprochées. Le conflit devient plus atroce quand la guerre menace, puis éclate entre la France et l'Allemagne, et il aboutit enfin au tragique dénouement que j'ai déjà dit. Tous les sujets simples ne sont pas généraux, et celui-ci présente, plus que tout autre peut-être, l'agrément comme le péril de la particularité. Il est particulier de la pire façon, puisqu'il est actuel. D'illustres exemples montraient à M. Leroux et LE THÉÂTRE 1912-1913 177 Camille que l'on y peut trouver prétexte à la plus curieuse comme à la plus douloureuse psychologie est-ce à cause de ces exemples mêmes, et par une modestie outrée, qu'ils ont retranché délibérément de leur pièce tout ce qui en pouvait faire l'intérêt et la qualité ? Sans doute, ils ont, si je puis dire, crayonné le conflit de deux races ; ils ont mis en présence quelques types joliment dessinés de Fran- çais et quelques caricatures d'Allemands, point trop chargées, point trop injustes, mais enfin des cari- catures ce qui me paraît prodigieux, c'est qu'ils aient oublié de dessiner les deux figures centrales, et que ni Jacques Orbay ni Marguerite Schwartz, qui devraient s'opposer en pleine lumière et au pre- mier plan, n'aient point ni l'un ni l'autre la moindre apparence de caractère. A défaut de cette psycholo- gie qui n'est peut-être possible que dans un livre, le sujet d'Alsace prêtait à la description de mœurs. Je me hâte de reconnaître que MM. Gaston Leroux et Lucien Camille ont ici fait preuve de talent, que tout le pittoresque de leur pièce est bien venu, que le premier acte notamment est touchant et amusant d'un bout à l'autre, et que si par la suite maints dé- tails ont paru choquants ou pénibles, c'est qu'il n'était point possible d'éviter cet écueil. Et voilà précisément ce qu'il faut regretter. Enfin, le sujet d'Alsace pouvait prêter aux déclamations, à l'exhi- bition du patriotisme, et ici encore je me plais a reconnaître que MM. Lucien Camille et Gaston Le- roux, visiblement soucieux d'éviter le couplet et la 178 LE THÉÂTRE 1912-1913 tirade, ont fait un louable effort de sobriété. Je ne le crois pas suffisant. Comme tous les sentiments, le patriotisme a sa pudeur ; c'est peut-être même, de tous les sentiments humains, le plus réservé et le plus farouche. Il a des occasions si belles de s'attester en actes, qu'il répugne, quand il est sin- cère, à s'exprimer en paroles. Nous avons su tout récemment montrer au monde, qui a compris, la solidité du nôtre, son calme, sa froideur et sa vertu de silence. J'avoue que le chauvinisme français ne s'était pas souvent manifesté de la sorte dans les temps anciens. Cette allure plus virile et parfaite- ment exempte de forfanterie est peut-être une acqui- sition toute nouvelle et précieuse qu'il vient de faire il ne doit plus la perdre, et c'est pourquoi je trouve regrettable un spectacle qui semble fait pour rame- ner les spectateurs à l'état d'esprit où étaient nos pères il y a quarante ans, quand ils criaient A Berlin ! » Je voudrais enfin signaler l'inconvénient qu'il y a et peut-être le ridicule, à déclarer la guerre et à mobiliser derrière le manteau d'Arlequin, aujourd'hui sur le théâtre Réjane, demain sur le théâtre Sarah-Bernhardt à défaut de la Comédie- Française, dans le moment même que l'Europe entière témoigne un amour si entêté de la paix et une peur si raisonnable des coups qui font mal . Je ne puis qu'indiquer ici. où la place m'est me- surée, ces diverses objections et comme je les ai faites sans aucune réticence, je tiens à répéter, en terminant, ce que j'ai dit au début de cet article, LE THÉÂTRE 191^-1913 179 savoir que la pièce de MM. Gaston Leroux et Lucien Camille a remporté le plus brillant succès. Je le constate et je m'en réjouis d'abord pour Mme Ré- jane directrice, qui a tant de fois mérité le succès matériel sans l'obtenir, qu'il est trop juste qu'elle l'obtienne cette fois. Quant à Mme Réjane créatrice du rôle de Jeanne Orbay, je ne me souviens pas, après l'avoir vue dans tous ses rôles, de l'avoir jamais vue plus humaine, plus naturellement dra- matique, plus sûre de son art et de son métier, qui ne sont à vrai dire ni un art ni un métier, plus maîtresse de nos nerfs et de nos cœurs. Elle est admirablement secondée par Mme Véra Sergine, qui trouve moyen de communiquer une vie réelle au pauvre personnage de Marguerite. Mmes Rosine Maurel, Miller et Lemercier ont composé avec le plus remarquable talent les trois bons rôles de Mme Schwartz, de Mme Honneck et de la vieille servante Katerlé. Mlle Isabelle Fusier jouera certainement quelque jour l'Ami Fritz. Une jeune artiste venue tout exprès de Berlin, Mlle Kate-Marlit, a égayé toute la salle par une charge un peu grosse, mais bien drôle, de jeune fille allemande qui se croit dis- crète et bien élevée. M. Rollan a joué avec chaleur et sincérité Jacques Orbay. MM. Chautard, Gorby, Dalleu, Bosman, Raoul, Leroux, Laurent, Donnio, nous ont tour à tour émus, effrayés et divertis. M. Marcel Simon, excellent dans le rôle du vieux domestique François, a mis en scène la pièce de 180 LE THÉÂTRE 1912-1913 MM. Gaston Leroux et Lucien Camille avec un goût et une habileté dignes des plus grands éloges. 15 Janvier RENAISSANCE. — La Folle Enchère, comédie en trois actes, de M. Lucien Besnard. Mlle Geneviève de la Roche-Trémont est orphe- line et pauvre, mais fort bien apparentée. L'un de ses oncles, le marquis des Authieux, n'est qu'un assez médiocre hobereau ; mais elle a un autre oncle qui, si j'ose dire, en vaut plusieurs, car c'est Son Eminence Mgr l'archevêque de Paris en per- sonne. Elle est de plus, à son insu, recherchée en mariage par le grand journaliste catholique Maxime Langeais. Ce Maxime Langeais, qui a cinquante ans, ne s'en fait pas accroire, et n'espère point de plaire par son charme. Mais il sait que Geneviève aime passionnément le vieux château, le vieux pi- geonnier de la Roche-Trémont, où elle a été élevée, et qu'elle va être réduite à s'en défaire. Il a formé le dessein de l'acheter, de le rendre à Geneviève moyennant mariage, enfin de se faire épouser, moi- tié par reconnaissance et moitié par force. Le jour qu'il vient dans le pays causer de cette affaire avec M e Bouvery, notaire, deux jeunes Pari- siens viennent aussi à l'étude, s'enquérir de proprié- tés à louer dans les environs. C'est le fils et la fille LE THEATRE 1912-1913 181 de l'illustre chimiste Jean Marnier, ancien ministre, membre de toutes les académies, et dont les funé- railles lurent nationales, niais civiles. François Mar- nier, retournant chez, le notaire après avoir visité une des bicoques, qu'il louera tout à l'heure, voit Geneviève à la fenêtre ; il est si troublé à elle vue qu'il oublie de serrer le frein de son automobile, démolit la charrette anglaise de Mlle de la Uoche- Trémont, qui est devant la porte, et endommage même un peu le petit valet de pied ; mais comme François Marnier est interne des hôpitaux, il répare aussitôt lui-même le mal qu'il a causé ; et cet acci- denl a pour unique elïel de rompre la glace entre François, Mme Desclos sa sœur, Geneviève et le marquis des Authieux. La glacé est même si particulièrement rompue entre François el Geneviève que la chance du Maxime Langeais nous paraît dès lors fort, dimi- nuée. Langeais se méfie, mais n'est pas homme à renoncer. N'a-t-il point L'argent ? François, qui n'en a point ou guère, apprend par hasard, cinq minutes avant l'adjudication, ce que le journaliste machine, et lui souffle le château en mettant une folle enchère de près de deux cent mille francs. Rien ne grise comme les chiffres, tant qu'il ne s'agit point de réaliser. Mais lorsqu'il faut régler les comptes, c'est autre chose. François Marnier s'est mis dans un fort mauvais cas. Son. beau-frère Desclos parle de conseil judiciaire. D'ailleurs, la Roche-Trémont n'est même pas encore à François le premier venu 11 182 LE THEATRE 1912-1913 peut surenchérir dans les quarante jours ; et c'est bien ce que Langeais compte de faire. La situation serait inextricable, si l'amour, et aussi le clergé, ne devaient avoir le dernier mot. Monseigneur a un faible pour sa nièce. Il a surtout horreur de Lan- geais, et il aime encore mieux marier Geneviève au fils d'un athée que l'on a enterré civilement, que de s'allier au puissant journaliste catholique. Ceci est fort spirituel. Ajoutons, pour achever de justifier le prélat, que le puissant journaliste catholique est un vilain monsieur, qu'il est juif naturellement, qu'il s'appelle Colmar, et qu'il n'a changé que de nom de ville mais le second était mieux trouvé. Je regrette un peu, je l'avoue, que M. Lucien Besnard, choisissant des personnages si importants et si représentatifs, ne les ait pas heurtés l'un contre l'autre plus rudement. Un grand pamphlétaire, un prince de l'Eglise et l'héritier d'un prince de l'intel- ligence méritaient, de liver des batailles plus àpros et de n'être point vaincus ni vainqueurs si aisément. M. Besnard ne les a voulu mêler qu'à une fable ro- manesque, à laquelle eussent peut-être suffi des héros de moindre envergure. Ne nous plaignons point cependant qu'il ait relevé le genre de la comé- die aimable et tendre, en distribuant les rôles à des personnages moins convenus, moins fatigués par l'usage, et qui ne figurent point sur les catalogues ordinaires des emplois de théâtre. Si peut-être il n'a pas exigé d'eux tout, ce que nous aurions souhai- té, il a du moins l'honneur de les avoir inventés et LE THÉÂTRE 1912-1913 183 dessinés. D'une comédie qui risquait de n'être qu'agréable, il a fait une curieuse galerie de carac- tères il nous a, une fois de plus, témoigné la rare qualité de son esprit, la délicatesse et la sûreté de son goût. Je ne fais point fi non plus de l'agrément d'autant que celui de la Folle Enchère est sans fa- deur ; il est même parfois un peu rustique et un peu rude. C'est une œuvre de plein air ; elle est honnête et elle est saine ; et tous les personnages inspirent la sympathie, non point, comme au théâtre, parce qu'ils sont doués de toutes les vertus ou de toutes les hypocrisies, mais parce qu'ils sont vivants et vrais. C'est presque miracle que les nombreux direc- teurs, simultanés ou successifs, de la Renaissance, .-lient trouvé une minute entre deux signatures de traités pour s'occuper de la Folle Enchère. Cette minute, à vrai dire, ils ne l'ont point trouvée, mais M. Lucien Besnard n'y a rien perdu. M. Calmettes a bien voulu assumer la besogne que M. Tarride se voyait, à son bien grand regret sans doute, contraint de négliger. Il a mis en scène avec amour la pièce de M. Lucien Besnard, et il l'a mise en scène à la perfection les enfants adoptés ou recueillis se trou- vent parfois, en fin de compte, les mieux élevés. M. Calmettes a remporté un double succès ; car il interprète le rôle du cardinal-archevêque et il est magnifique sous la pourpre. M. Charles Dechomps est un excellent amoureux, naturel, comique et. sen- sible. M m * Catherine Fontenoy est simplr. frnnchc. 184 LE THÉÂTRE 1912-1913 nette ; Mme Andrée Pascal a cette grâce qui est toujours la plus forte. M me Luce L'olas a composé de façon plaisante un rôle de vieille Anglaise. MM. Buliier, Mauloy, Cousin, Alerme sont des artistes intelligents et sûrs. La pièce est très bien jouée. 26 Janvier AU THÉÂTRE FÉMINA. — L'Epate, comédie en trois actes de MM. Alfred Savoir et André Picard. A L'ODÉON. — Sylla, tragédie en quatre actes, en vers, de M. Alfred Mortier. — Inauguration de la COMÉDIE- MARIGNY. Le titre que Al M. Alfred Savoir et André Picard ont donné à leur belle comédie est presque français, puisque l'Académie a consacré au moins L'adjectif d'où épate dérive. Mais si les auteurs ont eu vrai- ment souci de se conformer au dictionnaire officiel de L'usage, il faut regretter que les Quarante ne soient pas encore à la lettre S, et n'aient, pas natu- ralisé les mots anglais snob, snobisme, qui ont bien autrement de caractère et de généralité. La comédie de MAL Picard et Savoir méritait un titre plus consi- dérable, et qui sentit moins L'argot. Elle est vrai- ment, et dans toute son ampleur, la comédie du snobisme, cpii est bien la plus significative qualité des sociétés bourgeoises je ne dis pas des pures démocraties, mais de celles où il subsiste une no- LE THÉÂTRE 1912-1913 185 blesse, héréditaire ou factice, réelle ou apparente. Le snobisme est peut-être plus répandu en Angle- terre, où la littérature veut qu'il soit né. Mais je crois qu'il s'est développé en France plus magnifi- quement ; il est plus utile ; il y est devenu l'un des soutiens de la société, de même que l'adultère. Il a eu, dans l'ordre esthétique, la plus heureuse influence il nous a, par exemple, rendus musiciens. Les artistes lui doivent un public, sinon averti, du moins superstitieux. Dans l'ordre moral d'une Répu- blique, il joue à peu près le même rôle que Mon- tesquieu assignait à l'honneur dans les monarchies. Notre civilisation seiait bien menacée, si nous n'avions pas le snobisme ; nous n'en devons donc pas médire, mais il ne faut pas oublier non plus que c'est à l'occasion une maladie, et en tout état de cause une source inépuisable de comique. Le grand mérite de MM. Savoir et Picard est d'avoir envisagé le snobisme sous ces divers aspects ; d'en avoir tiré tout ce qu'un tel sujet comportait de satire, de comédie et de drame ; d'avoir dessiné des sil- houettes, des figures et des caractères d'avoir re- nouvelé une fable en soi-même banale ; d'avoir osé tout montrer et tout dire, avec une sincérité entière, avec une âpreté presque naïve, et cependant avec tant de goût et de tact que rien dans leur pièce, même le scabreux, n'est ni choquant ni pénible, et que l'impression d'ensemble demeure agréable. Je ne doute point que l'Epate ne porte, comme on dit, sur le public, et je n'y trouve cependant aucune com- 186 LE THEATRE 1912-1913 plaisance ; mais la facture de la pièce dénote chez les deux auteurs une sûre pratique du métier, une parfaite connaissance de la scène ; ils ne sont déjà plus de ceux qui ont besoin de flatter le spectateur pour le prendre ils pourraient, s'ils voulaient, lui faire violence ; mais ils le prennent et le tiennent mieux sans rien tenter précisément pour cela, rien qu'en disant toute leur pensée en toute franchise, avec une hardiesse d'instinct, peut-être inconsciente. Plus encore que les détails et le pittoresque de leur pièce, j'en ai admiré l'armature solide. J'ai admiré le progrès de l'action, qui va de la petite comédie de marionnettes parisiennes à la tragédie bour- geoise, sans qu'un instant, au cours de ces trois actes, il y ait une disparate, et que les changements de ton soient seulement sensibles. J'ai admiré, si je puis dire, la hiérarchie des caractères, et comme chacun des personnages se trouve exactement à son plan. Il n'y en a, à proprement parler, que trois. Borel père, qui se fait appeler Borel-Borel, est un des meilleurs types de parvenus que nous ait encore pré- senté le théâtre contemporain. Ancien gérant d'un petit café à Marseille, enrichi par de hasardeux commerces, il est resté, comme cela se voit très sou- vent chez nous, homme du peuple, d'une médiocrité sympathique, sentimental comme dans les roman- ces, père tendre et faible, peut-être point très rigou- reusement honnête, mais brave homme. Ce n'est certes pas grâce à son intelligence qu'il est parvenu. LE THÉÂTRE 1912-1913 187 et d'ailleurs on ne sait ni comment ni pourquoi il a fait fortune mais sait-on jamais comment et pour- quoi les gens font fortune ? Le succès non seulement ne se justifie guère, mais la plupart du temps il ne s'explique même pas. Borel-Borel est devenu snob comme il est devenu riche, sans le savoir, sans le vouloir au surplus, dans le ménage, ce n'est pas le mari qui porte le snobisme. L'intrigante, c'est M me Borel-Borel, fille d'un peintre en bâtiments, devenue peintre amateur, et qui pourrait aussi bien s'être mise femme de lettres. Je ne crois pas qu'elle soit non plus bien méchante, ni d'une véritable im- moralité, quoiqu'elle ait pris jadis un amant pour faire comme tout le monde, que son fils André ne soit Borel-Borel que de nom, et qu'elle donne à sa fille des conseils que ne désavouerait pas la plus experte appareilleuse. Mais elle est ambitieuse jus- qu'à la manie, jusqu'à la bêtise. Elle est ambitieuse de petites choses, enfin elle répond parfaitement à la définition de Thackeray elle est snob. La fille de Borel-Borel, Lucienne, est infiniment supérieure à ses parents. Elle semble née ; et ceci encore est observé fort judicieusement ; car, en dé- pit des théories traditionnalistes, à présent, les éta- pes se brûlent, et pour produire un gentleman ou une jeune fille de qualité, une génération suffit, où jadis il en fallait trois. Lucienne, fort bien élevée elle a dû s'élever toute seule, n'est pas ce que l'on appelle la jeune fille moderne, mais elle est encore moins ce que l'on appelle la vraie jeune fille, type 188 LE THEATRE 1912-1913 qui n'a d'ailleurs jamais existé qu'au théâtre. Ses parents la promènent et l'exhibent depuis l'âge le plus tendre à travers les casinos et les kursaals, en Ecosse, en Norvège, en Egypte et en Italie. Elle leur sert d'amorce, elle leur sert, si j'ose m'exprimer ainsi, à raccrocher les étrangers de distinction avec lesquels ils souhaitent faire connaissance. A huit ans, elle les a déjà aidés à engager la conservation, dans un salon d'hôtel, avec le roi Milan. Puis sa mère s'est mise à rechercher pour elle le mariage éblouissant. Lucienne n'est point difficile à marier, puisqu'elle a une grosse dot ; mais, grâce à l'ambi- tion capricieuse de M me Borel-Borel, qui ne veut plus entendre parler des prétendus les plus huppés, dès qu'elle les a amenés par ses manœuvres à se dé- clarer et à faire leur demande, Lucienne a déjà raté plus de mariages qu'une fille pauvre. Elle n'a jamais aimé personne, mais elle est trop vivante, trop saine et trop proche de la nature pour avoir pu être si souvent fiancée sans émotion. Elle ne peut l'être une fois de plus sans dégoût. L'épisode essen- tiel de l'Epate est justement la révolte attendue de Lucienne à la suite d'une nouvelle machination et rupture de mariage. Cette honnête fille, pour se dégager de la vilenie de ses entours. pour se ré- véler à ses propres yeux, par une sorte de besoin de propreté, veut se donner quand on veut trafiquer d'elle et elle se donne en effet à un garçon humble et timide qui l'aime, qu'elle n'aime pas. qui n'a même pas osé lui avouer son amour, qui n'a pas LE THEATRE 1912-1913 189 de titre à vendre et qui ne peut pas être soupçonné de courir la dot. L'aventure se terminera fatalement j>;ir un mariage, mais ce dénouement, que la situa- lion sociale des personnages rend indispensable, n'esl banal qu'en apparence il est sauvé par l'ex- ticiin' discrétion, par la sécheresse des scènes à peine amoureuses, qui le préparent ; et il est précédé do la scène la plus poignante, la plus touchante, la plus vraie, entre le père et la fille. L'interprétation de YEpate est fort remarquable, et manque cependant un peu d'harmonie. Le grand succès a été pour M me Juliette D'arcourt M, me Borel- Borel, dont la vivacité, la frivolité, la jeunesse ne sauraient être bien qualifiées que par l'épithète ré- cemment admise aux honneurs du Dictionnaire. M me Darcourt joue les scènes les plus dangereuses sans avoir l'air d'y toucher elle en ferait passer de bien plus dangereuses encore. M. Vilbert n'est pas su- périeur dans le comique, ainsi qu'on l'aurait pu croire, mais sa bonhomie est charmante, il est vrai, il est sensible, et personne ne pleure mieux que lui. M me Géniat a composé avec beaucoup d'art et avec la plus louable simplicité son personnage de Lu- cienne. Elle a bien encore, par instant, le ton de l'antre maison, mais elle a aussi de beaux accents naturels et pathétiques elle connaîtra le succès sur le boulevard ou aux Champs-Elysées. M me Margue- rite Deval est fort spirituelle et fort amusante ; M. Pierre Juvenet, en vieux beau fatigué, a fait beau- coup rire ; et un jeune débutant, M. Maurice Varny, 11. 190 LE THEATRE 1912-1913 a joué dans le sentiment le plus juste le rôle du timide jeune homme, à qui Lucienne Borel-Borel se donne sans l'aimer encore, mais qu'elle aimera cer- tainement demain. * * * Pour la troisième matinée de ses représentations d'œuvres inédites, M. Antoine nous a donné la re- prise de Sylla, tragédie en quatre actes, en vers, de M. Alfred Mortier, jouée Tannée dernière à Monte- Carlo. L'œuvre de M. Alfred Mortier n'est pas sans mérite. C'est une tragédie. Il faut assurément un certain courage pour écrire aujourd'hui une tragé- die à peu près classique, et la tentative de M. Mor- tier est hautement honorable. Il ne s'ensuit pas qu'elle soit très intéressante. Je n'ai ni le loisir ni la place de reprendre ici et de discuter la théorie de Brunetière sur l'Evolution des genres ; mais il est trop certain que les genres littéraires meurent, et que ce n'est pas seulement la mode qui les tue. Il n'est pas moins certain qu'une fois morts ils ne ressuscitent pas, et qu'une tragédie, comme une épopée, n'est plus qu'un exercice d'école ou de ca- binet. Le SnUa de M. Alfred Mortier ne pouvait être qu'un devoir ; mais il y a de bons et même d'excel- lents devoirs, et nous ne pouvons nous dispenser de rendre hommage à la conscience de l'auteur, à son érudition et à son intelligence de l'histoire, à la netteté de son style, à la belle tenue de ses vers. M. Antoine a égayé de quelques ornements cette LE THÉÂTRE 1912-1913 191 œuvre grave. 11 y a de beaux décors, une musique de scène de M. Louis Vuillemin, et même un diver- tissement, dansé par Mlle Irène Markly. M. Des- jardins a dessiné avec vigueur la figure de Sylla, M" e Gilda Darthy est belle et passionnée. MM. Gré- tillat, Vargas, Hervé, ont mérité de chaleureux ap- plaudissements. * * Je sors de la Comédie-Marigny à une heure trop tardive pour rendre compte des Eclaireuses mais je ne veux pas me refuser le plaisir d'annoncer dès ce soir le grand succès que vient d'obtenir la comé- die de M. Maurice Donnay. Voilà une de ses plus fortes œuvres, des plus attachantes, des plus diver- tissantes elle est pleine de grâce et pleine de pen- sée. Voilà aussi un nouveau théâtre, un vrai théâtre de comédie et de drame ; c'est une joie et c'est une revanche cela nous console des boîtes ou bonbon- nières superflues qui pullulent dans tous les quar- tiers. 28 Janvier COMÉDIE-MARIGNY. — Les Eclaireuses, pièce en quatre actes, de M. Maurice Donnay. J'ignore si M. Maurice Donnay, qui est un mathé- maticien repenti, saurait encore établir la formule de sa courbe, ou si même elle peut être exprimée 192 LE THEATRE 1912-1913 par une formule calculable. Elle ne semble, à nos yeux du moins mais nous n'avons qu'un lointain souvenir de notre géométrie, elle ne semble obéir à aucune loi ; ainsi que la ligne de ses pièces, elle a des retours, dos sinuosités elle est la figure du caprice et du bon plaisir. Je pense bien que M. Don- nay sait où il va, et conduit sa carrière comme les fables qu'il imagine, avec la même infaillible sû- reté que les gens tout d'une pièce, bien carrés et bien directs. Mais il ne vise pas comme un tireur les buts qu'il se propose, et répugnerait à les attein- dre par la plus courte trajectoire. Il aime les che- mins détournés, qui mènent aussi bien à Rome ; il aime les détours et les méandres comme Verlaine aimait les nombres impairs. Son œuvre n'est pas le royaume de la justice, mais celui de la grâce. Il sait où il mène ses actions et ses personnages, et il sait quelle carrière lui-même il fournit, et, encore une fois, il ne juge pas toujours à propos de nous mettre dans la confidence ; il nous ménage ainsi bien des surprises. Celle d'hier soir nous a été sin- gulièrement agréable. Sans vouloir diminuer le mé- rite des œuvres les plus récentes de M. Maurice Donnay, il est certain que, par exemple, dans La Patronne, ce bon plaisir dont je parlais tout à l'heure nuisait à la composition de la pièce, et y mettait, avec beaucoup de charme, un peu d'incerti- tude ; que, dans le Ménage de Molière, nous n'a- vions pas retrouvé toute l'aisance ordinaire de M. Maurice Donnay, et que son talent nous avait semblé LE THEATRE 1912-1913 193 mûri peut-être, mais un peu assagi, un peu attristé ; enfin, il nous avait paru que, clans ces derniers temps, ce talent inimitable ne perdait rien sans doute de sa valeur, mais perdait un peu de sa phy- sionomie. Et ce qui nous a été, hier soir, manifesté soudain avec éclat, c'est que, justement, l'originalité de Maurice Donnay, donl nous avions pu croire un instant que le progrès étail ralenti, avait poursuivi, à notre insu et dans un malicieux secret, son accom- plissement, qu'elle venait seulement d'atteindre à son période. Le premier mérite qu'il convienne de reconnaître aux Eclaireuses est, celui de l'originalité, d'une originalité pour ainsi dire absolue ; nulle ceu vre de M. Donnay ne porte mieux sa marque et sa signature ; il l'a mise partout, et sous chaque mot je défie les moins Lettrés des spectateurs de ne pas reconnaître à chaque réplique son style, sa poésie, et d'y être insensibles, encore que les gens qui ne savent pas le français prétendent qu'au théâtre l'écri- ture importe peu. Jamais il n'a construit une pièce plus à son gré, selon sa fantaisie, selon les seules règles de son esprit, et jamais il n'a mieux réussi à construire. Cette fois. Ips défauts ou les dangers do sa volontaire nonchalance se sont évanouis. Un bel ordre règne dans les Eclaireuses. un bel ordre qui n'est pas apparent. Il n'y a pas de rigueur. La pensée de M. Maurice Donnay se laisse aller par- fois, à la façon de celle de Montaigne et songez qu'au théâtre cela est unique. Mais M. Donnay est aussi un homme de théâtre si adroit qu'il peut ris- 194 LE THÉÂTRE 1912-1913 quer de tels tours de force. Et puis, il avait cette fois tant de choses à dire qu'il ne les pouvait pas ranger sévèrement par catégories, et il a tout dit ce qu'il devait dire. Il n'a rien omis ou redouté de son sujet. Quelle richesse ! Quelle substance ! Ce n'est point ici une œuvre décharnée par les préten- dues nécessités du théâtre, ni réduite au nécessaire scénique. Elle est abondante, elle est complexe, elle ne répudie point les charmantes inutilités. Elle est réelle elle est donc innombrable. Celle enfin de ses qualités que je prise le plus, et qui une fois encore accuse la signature de Maurice Donnay, c'est qu'elle est exempte de tout pédantisme. Le sujet était menaçant ; on savait que les Eclaireuses traitaient du féminisme, on pouvait craindre une pièce à thèse, ou une de ces pièces qui font penser. Mais non, ce n'est pas M. Maurice Donnay qui pouvait faire la pièce doctorale sur le féminisme, et il ne l'a point faite. Sa comédie est une comédie aussi légère que profonde ; c'est une comédie d'amour, où l'amour est modifié par une atmosphère, par des caractères, et, si je puis dire, par des circonstances féministes, où il y a de belles pa- roles d'amour, mais aucune conférence ni sur l'a- mour ni sur le féminisme. Les Eclaireuses sont par là une œuvre toute française, et il n'en pouvait être différemment ; car dans les créations où se marque l'originalité d'un artiste, doit également se marquer l'originalité de son pays et de sa race. Je sais qu'en le disant, je ferai un sensible plaisir à M. Maurice LE THEATRE 1912-1913 195 Donnay, qui est patriote. Il l'est de la bonne ma- nière. Il a, naguère, écrit un bien joli couplet sur la patrie, qu'il compare ù une assiette peinte. J'ad- mire beaucoup les assiettes que peint M. Maurice Donnay. Il témoigne ses sentiments de bon Fran- çais en illustrant notre littérature, et je lui assure qu'on est beaucoup plus fier d'être son concitoyen quand on écoute les Eclaireuses que lorsque l'on est obligé, par une sotte de làcbe bienséance, de pren- dre part, dans un 3 salle de théâtit, à certaines ma- nifestations bruyantes et de mauvais goût, dont je me plaignais l'autre jour. Les féministes, les eclaireuses » que nous pré- sente Maurice Donnay, ne sont pas les grotesques ni les monstres que l'on pouvait craindre, bien qu'il se rencontre parmi elles jusqu'à une suffragette an- glaise. C'est la plus jolie, et elle a une si naïve fa- çon de raconter comment elle casse les vitres. Si Donnay nous avait voulu infliger une pièce à thèse, nous devrions même lui reprocher le choix trop par- ticulier et trop agréable de ses personnages ; mais je répète qu'il ne s'agit point de thèse, et à peine d'idées. Jeanne Dureille est une enthousiaste, ce n'est point une fanatique, et si elle professe, non si elle croit, ou mieux si elle sent que la femme est L'égale de l'homme, c'est qu'elle-même est supé- rieure au commun des femmes. Elle a reçu cette culture que l'on réservait jadis aux garçons, et dont ils pourraient se montrer moins fiers, car la plupart n'en profitent point et restent des sots. Elle a été 196 LE THÉÂTRE 1912-1913 au collège. Elle a conservé des relations avec cer- taines de ses anciennes camarades, qui, doctores- ses, avocates, gagnent leur vie. Elle n'a nul besoin de gagner la sienne elle est du monde sa mère, M me Challerange, lui a donné trois cent mille francs de dot. et elle a épousé un riche industriel. Le mé- nage est médiocrement je veux dire moyennement heureux. On ne s'aime guère, on ne se hait, point ; il o'y a point de griefs réciproques, point d'infidé- lités, et les Dureille ont deux enfants, qu'ils ckéris- senl comme il sied et qui devraient assurer du moins la paix du foyer. Et cependant ees époux, à certains égards modèles, ne peuvent plus vivre ensemble. pour des raisons purement morales. Jeanne, sans que son orgueil soit excessif, ne peut subir l'auto- rité, la suprématie nécessaire du chef de famille. Paul Dureille. avec les meilleures intentions du monde, tenterait, vainement d'abdiquer ses principe», ou. si l'on veut, ses préjugés de mâle, et de compo- ser avec une épouse qu'il honore, s'il ne l'aime plus d'amour, que, pour des motifs intéressé^, mais res- pectables, il entend garder. A la suite d'une que- relle qui, à l'un comme à l'autre, semble d'abord futile, tous deux prennent conscience du dissenti- ment profond, irrémédiable qui les sépare. Jeanne réclame le divorce. Paid Dureille finit par y con- sentir et je note ici aue leur scène est grave el belle, comparable à celle du dernier acte de Maison de Poupée, avec une clarté qui n'a rien de Scandi- nave, et avec l'accent français. LE THEATRE 1912-1913 197 C'est au second acte que nous voyons les adeptes du féminisme groupées autour de Jeanne affranchie. La galerie est curieuse, et l'on pense bien que M. Maurice Donnay a crayonné les divers types avec bienveillance, mais sans aveuglement. Ces dames, qui viennent de fonder un cercle d'études, une école féministe, sont, pour la plupart, des mondaines qui ne haïssent pas de s'amuser. Elles récitent des vers, on sent le snobisme poindre et nous ne désespérons pas de les voir un jour jouer au bridge. L'Anglaise toutefois, Edith Smith, sort de prison. Une certaine doctoresse Orpailleur est assez terrible à considé- rer, même de loin ; du reste, on ne l'avait pas invi- tée, et elle se plaint sans ménagement de cet oubli. La femme de lettres, Charlotte Alzet, est plutôt de Montmartre que du faubourg Saint-Germain. L'étu- diante Germaine Luceau est une féministe intégrale, même dans l'ordre du sentiment et je recommande, entre parenthèses, la scène où elle se trahit, à tous les écrivains, ou soi-disant tels, qui prennent un peu trop souvent pour thème de leurs drôleries ce sujet scabreux et triste M. Maurice Donnay leur a mon- tré comment l'honnête homme doit parler de ces choses-là. Une autre doctoresse, Rose Bernard, que Jeanne consulte pour son fils, exprime des idées fort saines sur la nécessité d'aimer, même lorsque l'on est féministe ; et nous pressentons que l'amour ne va pas tarder de redevenir le srrand intérêt de la pièce. Jeanne, au moment de divorcer, s'est enlacée à 198 LE THÉÂTRE 1912-1913 ne se remarier jamais ; elle a même juré, bien légè- rement, qu'elle n'aimerait plus. Mais ce qui doit arriver arrive à l'heure dite. Nous la voyons d'abord en butte aux sollicitations d'un banquier israélite, Steinbacher, bailleur de fonds de l'école féministe, fort aimable homme, spirituel, mais satyre par ac- cès. Puis nous voyons reparaître un ancien ami du mari, Jacques Lehelloy, et nous n'apprendrons qu'à la fin, mais nous devinons déjà, que, bien avant le divorce, Jacques et Jeanne s'aimaient à leur insu. Leur duel est le dernier épisode de la comédie. Il n'en occupe guère plus de la moitié, mais il la sou- tient toute. Il y a trois reprises à la première, Jac- ques a l'avantage, et Jeanne, en dépit du serment téméraire qu'elle a fait, consent à devenir la maî- tresse. Mais elle ne se donne point tout entière, elle demeure trop fidèle à la cause ; l'amant souffre de ce partage, comme autrefois le mari, et cette symé- trie de situations est habilement présentée. Jacques veut épouser Jeanne, elle refuse, mais elle l'aime et elle n'aimait pas Dureille elle cédera c'est la troi- sième phase du combat. Elle vient, amoureuse et vaincue, se rendre à merci à l'homme qui n'est plus son ennemi, et qui serait, s'il voulait abuser de la victoire, son maître ; et le duo délicieux qui termine la pièce égale les plus belles scènes d'Amants. Je rappelle ce que j'ai dit. en commençant, de cet art ondoyant et souple les pièces de M. Maurice Donnav ne se racontent point. Je ne me suis résigné que par devoir à vous en donner cet aperçu, qui LE THÉÂTRE 1912-1913 199 n'est même pas, qui ne pouvait pas être une analyse. Les pièces de M. Donnay ne se laissent pas saisir ; elles se dérobent, elles échappent. J'envie les spec- tateurs qui verront les Eclaireuses pour leur diver- tissement et qui n'auront pas la charge d'en faire le compte-rendu j'envie probablement une multitude. M. Abel Deval, qu'il faut remercier encore de nous avoir donné un nouveau théâtre, vaste et ma- gnifique, a monté les Eclaireuses avec luxe, avec goût, avec intelligence. Les décors de MM. Ronsin, Marc Henri, Laverdet et Bertin sont des œuvres d'art et, en dépit de certaines étrangetés nécessaires, des merveilles de bon goût. L'interprétation est d'un si bel ensemble que le directeur y doit bien être aussi pour quelque chose. Je veux citer tous les noms M" 9 Marcelle Lender, M, meg Blanche Toutain, Spi- nelly, Alice Nory, Marthe Barthe, Ellen Andrée, Marie-Laure, Andrée Barelly, A. de Pouzols, Ca- mille Preyle, Bl. Barat, Vareskaa, Francesca Flori, Claude, Marthe Maillet, Odette Carlia. M. Signoret a donné au banquier Steinbacher une plaisante, un peu effrayante et, en fin de compte, fort agréable physionomie. M. Jacquier joue bien un rôle de vieux domestique. M. Henry-Roussell, le premier mari, est excellent, et le rôle n'était point fort avantageux. L'autorité, la maîtrise de M. Claude Garry sont au- dessus de l'éloge. Enfin. M lle Gabrielle Dorziat, qui était déjà une artiste de premier rang, est une grande artiste depuis hier soir. Elle a véritablement créé, vécu le personnage difficile de Jeanne. Sa sen- 200 LE THÉÂTRE 1912-1913 sibilité, si je puis dire, secrète, est admirable ; son métier, son art atteignent à la perfection. Elle a la voix la plus touchante, une diction irréprochable parlerai-je de sa beauté, dois-je louer son élégance, qui est si peu de théâtre, sa distinction, la simpli- cité, la noblesse de ses attitudes, et, comme l'on di- sait autrefois au sens latin, cette incomparable dé- cence ? 29 Janvier THÉÂTRE DES ARTS. — On ne peut jamais dire..., pièce en quatre actes, de M. Bernard Shaw, version française de M. et Mme Augustin Hamon. Je pense m'expliquer assez bien les succès for- midables de M. Bernard Shaw en Angleterre. Il sem- ble à première vue bizarre que, dans un pays où le modeste adultère n'est pas toléré sur la scène, où l'on réduit à un flirt celui de l'Enigme, et où l'hé- roïne de Paul Hervieu devient la femme de Cé- sar » qui ne doit pas être soupçonnée. M. Bernard Shaw puisse impunément exhiber des mères appa- reilleuses, poursuivre de ses sarcasmes les préjugés les plus utiles, les sentiments que la convenance nous impose, ou que peut-être même la Nature nous suggère. Mais la pudeur anglaise, que l'on ap- précie mal sur le continent, a des fantaisies, des inconséquences qui font ma joif. Toutes les person- nes qui ont seulement passé deux jours sur le South- le théâtre 1912-1913 k JUl Goast, savent avec quelle facilité, avec quelle naï- veté les Anglais tirent leur chemise au pied même des écriteaux qui leur prescrivent la décence, du inoins à partir de œuf heures du malin, et avec quelle naïveté aussi les jeunes filles viennent con- sidérer les hommes qui sont beaux. Je ne rappel- lerai pas les commodités singulières que donne à l'exercice de la prostitution L'ignorance où Ton en- tend officiellement demeurer quant à celte l'orme de l'activité humaine ; mais il me souvient d'un spec- tacle où j'assistai par hasard l'été dernier dans Hyde Park, et qui était bien significatif, je dirai même symbolique. Le roi, revenant d'Irlande avec la reine, passa, environ six heures, le long de la Serpen- tine, où s'ébattaient selon l'usage quelques centaines de gamins. Quand ils virent le splendide cortège, et surtout le cher roi George, la bien-aimée reine Mary, l'enthousiasme leur fit oublier qu'ils n'étaient pas en costume de cour. Ils se mirent à galoper au bord de l'eau, en poussant de sauvages hourras. Quel- ques-uns avaient bien des serviettes-éponges, mais à la main, et c'est au-dessus de leurs têtes qu'ils les brandissaient, comme des drapeaux. Je le répète, ce spectacle un peu comique, mais bien touchant, me paraît représentatif des incohérences de la pudeur anglaise. L'hypocrisie anglaise n'est pas, à l'occasion, inoins contradictoire. Quand on prend le pli de la ménager, elle est sur l'œil et se voile pour la moin- dre chose. Quand on la brutalise, elle se laisse faire. 202 LE THÉÂTRE 1912-1913 elle ne trouve pas cela si désagréable, et ce n'est pas toujours par indignation qu'elle pousse de petits cris. Elle me rappelle la dame bien connue qui, dans le sac des villes, demande avec intérêt Où viole-t-on ? » Xe vous y trompez pas, c'est justement parce que M. Bernard Shaw est shocking qu'il fait avaler tout ce qu'il veut à la pudeur et à la pruderie de ses compatriotes, et que l'on a pu créer en sa faveur ce mouvement de snobisme qui s'appelle au- trement succès. Je doute que, malgré le zèle apostolique de M. et de M me Augustin Hamon, malgré l'aide que leur prête M. Jacques Rouché, M. Bernard Shaw s'em- pare de l'opinion française aussi victorieusement. Ce n'est pas que notre snobisme ne soit aussi tou- jours prêt à s'offrir ; ni que nous manquions d'hy- pocrisie mais la nôtre a été violée si souvent, que cela ne lui fait plus aucun plaisir ; elle est blasée. Ce n'est pas davantage que nous soyons, pour des raisons ethniques, incapables de comprendre M. Ber- nard Shaw. Je ne désavouerai pas ici ce que j'ai pu écrire ailleurs de l'âme étrangère. Je crois que deux individus de races diverses ne peuvent point s'en- tendre absolument, et que leur intimité ne saurait être bien profonde. Il y a toujours des degrés. Les Anglais ont un caractère si tranché, si personnel, qu'ils ne ressemblent point ni à nous-mêmes, ni aux outres peuples ils ne sont pas cependant si diffé- rents de nous que les Japonais. Nous avons des pa- rentés avec eux ; et l'une des plus certaines de quoi LE THÉÂTRE 1912-1913 203 on ne s'aviserait point d'abord est celle de l'esprit. Je ne dis pas l'intelligence, mais l'esprit. J'espère que je ne froisserai pas nos amis, si j'ose dire que la plupart d'entre eux ne sont pas cultivés avec ex- cès, ni spécialement intellectuels. Mais presque tous ont un certain esprit naturel, une ironie discrète, qui ressemblent aux mêmes qualités françaises, comme le mot humour à humeur, qu'ils nous ont pris. M. Bernard Shaw, qui ne saurait avoir moins d'esprit que la majorité de ses compatriotes, et qui, en effet, a, si j'ose dire, énormément d'esprit, de- vrait nous être intelligible par là. Si justement son esprit ne nous séduit guère, et parfois nous échappe, c'est qu'il n'est pas français à coup sûr, mais il n'est guère davantage anglais. Il est immodéré, il est Apre, il est sec. Il est d'une cruauté presque sadique ; et certes je n'en ferais pas reproche à M. Bernard Shaw, s'il exerçait cette cruauté quand cela en vaut la peine ; mais j'arrive ici au défaut capital de cet auteur, et qui rend ses mots, ses sarcasmes, irri- tants au suprême degré la cruauté de M. Bernard Shaw n'a aucun sens des proportions. Il croit en- core que les pièces a thèse ont une influence et une portée vraiment cet anarchiste manque de tout scepticisme. Il croit, par une sorte de mégalomanie que la déformation du théâtre excuse, il croit qu'il est un prophète, un précurseur, et qu'il bouleverse la société parce qu'il bat en brèche quelques men- songes de l'ordre social. Quand on voit comme les révolutions mêmes changent peu la face du monde, 2U4 LE THÉÂTRE 1912-1913 l'on ne peut se défendre de sourire de cette pauvre perspective. C'est peu de chose en vérité que de renverser les valeurs sociales est-ce que cela comp- te ? Ah ! quand Frédéric Nietzsche se flattait d'avoir renversé les valeurs morales, et d'ouvrir une ère nouvelle à l'activité des hommes, du moins des maî- tres, il n'y avait point là d'erreur d'optique ni aucun égarement d'orgueil. D'ailleurs, il faisait générale- ment dire ces choses-là par Zarathoustra, qui a plus de prestige que M me Crampton ou M, me \\ 'iirren. Et puis, quand il les disait en son propre nom, il ne disait somme toute qu'une vérité indis- cutable. Le monde aurait cette fois bien changé, si Zarathoustra ou Par delà le bien et le mal en étaient devenus les nouveaux évangiles, s'il avait pu vrai- ment détruire la vieille morale, — qui est proba- blement éternelle dans toutes les hypothèses, soil qu'un dieu l'ait édictée, ou pie notre raison prati- que nous l'impose, ou qu'elle résulte nécessairement des conditions de la vie en commun. Lorsque Fré- déric Nietzsche s'intitulait l'Antéchrist, il avait rai- son, il était vraiment l'Antéchrist. Mais lorsque l'on a démoli quelques idées reçues, tourné en ridicule quelques erreurs de conduite ou même de psycho- logie, quelques illusions, quelques préjugés, il ne faut pas s'en faire accroire on n'a fait que très peu de dégât. Je ne voudrais pas chagriner M. Bernard Shaw en disant de lui la chose qui lui sera sûrement la plus désagréable, mais je suis bien obligé de la dire M. Bernard Shaw est inoffensif. LE THÉÂTRE 1912-1913 2ÛS 11 ne me reste guère de place, et je vais être réduil à vous conter la pièce d'hier en quelques lignes. Je serais bien empêché, d'ailleurs, soit de la conter longuement et en détail, soit même de la résumer. M. Shaw a l'habitude un peu puérile de se moquer continuellement et laborieusement du public. Son anarchie est si rigoureuse qu'il prend toujours exac- tement le contre-pied de la logique. Il est vrai que cela le fait retomber dans une autre espèce de logi- que, qui est comme l'envers de la raison. Il est vrai aussi que cette fois il a le droit et le devoir d'être absurde, puisque sa pièce veut démontrer que l'ab- surde seul arrive. You never can tell, que M. et M me Hamon traduisent assez vaguement par On ne peut jamais dire..., signifie que les personnages de M. Shaw vont faire de neuf heures à minuit préci- sément tout ce qu'ils se promettaient de ne point faire. Cela pourrait mieux s'intituler Il ne faut ja- mais dire Fontaine... » C'est un proverbe ; un pro- verbe épileptique, composé à la façon des pantomi- mes anglaises. La donnée rappelle les Eclaireuses. M me Clandon et sa fille Gloria sont des indépendantes et des féministes, et Gloria, qui déclare hautement que l'amour lui fait horreur, épousera au dénouement son dentiste Valentin, à qui, dès le deuxième acte elle a donné ses lèvres, selon une coutume univer- selle, mais plus particulièrement anglaise. M me Clandon vit depuis dix-huit ans séparée de son mari. Elle n'a même pas voulu jusqu'à présent révéler le nom de cet homme, ni à Gloria, ni à ses deux autres 206 LE THÉÂTRE 1912-1913 enfants plus jeunes, Dolly et Philippe qui sont en- core plus mal élevés que des petits Américains. Quand ils lui demandent Qui est papa ? » elle leur reproche d'être indiscrets. J'avais d'abord ima- giné que You never can tell signifiait à peu près Ce jue je ne puis dire — que M. Arthur Meyer me pardonne. La curiosité de ces enfants, charmants mais insupportables, est bientôt satisfaite par un moyen de théâtre, qui a au moins le mérite de l'in- vraisemblance, M. Crampton c'est le mari et le père est justement le propriétaire du dentiste Valentin, et vient se faire arracher une dent après Dolly, à qui il succède dans le fauteuil de torture. Comme les Clandon ont invité Valentin à déjeuner, ils invitent également Crampton. et par ce moyen toute la fa- mille se trouve réunie au deuxième acte, où Dolly, Philippe, et même Gloria, manifestent les senti- ments que des enfants doivent éprouver à l'endroit de leur père, quand ils ne l'ont pas vu depuis dix- huit ans, et le connaissent depuis cinq minutes. Les choses se gâteraient sans le secours d'un maître d'hôtel qui a infiniment de tact. Le fils de ce maître d'hôtel est avocat, et arrange le différend des époux Crampton-Clandon ; il conclut aussi le mariage de Gloria et de Valentin, au cours d'un bal costumé, où l'on est un peu surpris de voir les personnages aller et venir par les portes, au lieu d'entrer par la cheminée et de sortir par le plafond après avoir crevé la caisse du piano, comme il serait si naturel et si plaisant. LE THEATRE 1912-1913 207 La pièce de M. Bernard Shaw n'a pas été très heureusement traduite par M. et M me Hamon. Lors- que l'on traduit en français, c'est, il me semble, en français que l'on doit traduire, et il y a des fautes comme je m'en rappelle », qu'il serait préférable d'éviter. J'attendais je vous cause », mais per- sonne n'a demandé la communication. En revanche, la mise en scène est amusante, les décors sont du meilleur goût, et l'interprétation est fort remarqua ble. L'humeur morose de M. Janvier nous fait suffi- samment comprendre que son fils ni ses filles n'en- tendent pas la voix du sang. Les deux plus jeunes, Dolly et Philippe, M ,le Lucienne Roger et M. Joa- chim, sont fort gentils malgré leur déplorable édu- cation. M. Dayle est du meilleur comique dans le rôle du vieux maître d'hôtel. M 11 ' Nelly Cormon semble pénétrer toutes les intentions de l'auteur, et cela ne doit pas être toujours commode. Enfin M. Jacques de Féraudy a fait preuve du talent le plus divers, le plus consommé. Nul ne paraît, à l'heure présente, plus capable de tenir un rôle de jeune pre- mier, d'amoureux, ou même un grand premier rôle. pr février THÉÂTRE DE LA RENAISSANCE. — Reprise de l'En- chantement, pièce en quatre actes, de M. Henry Ra- îaille. La critique manquerait de prudence pt de perfidie, si elle réservait à l'Enchantement ces grâces dont je 208 LE THÉÂTRE 1912-1913 disais l'autre jour qu'elle est prodigue envers les œuvres de début. Je sais bien que V Enchantement est la première comédie moderne et réelle de M. Henry bataille. Mais l'âge des pièces, de même que celui des personnes, ne dépend point de la chro- nologie. Chez les personnes, il est plutôt un trait du caractère, et comme elles naissent d'ordinaire avec leur caractère tout formé, du moins virtuellement, l'on peut dire sans trop de paradoxe qu'un même homme a toujours le même âge. Ce sont aussi des caractères, et non une date, qui méritent à une œu- vre d'art la qualification d'oeuvre de début. L'En- chantement ne présente aucune de ces faiblesses par où un auteur débutant se trahit. L'originalité de M. Henry Bataille apparaît entièrement dégagée de toute imitation, de toute assimilation, de toutes les influences, même de ces influences plus intimes qu'il vaudrait mieux appeler des amitiés. Sa sensi- bilité se connaît et n'hésite point. Ses procédés de création sont précisément les mêmes que dans la Femme nue ou Maman Colibri. Son métier est pres- que aussi sûr, et déjà il possède ce pouvoir quasi miraculeux d'expression scénique par la vertu du- quel il a pu produire sur nos théâtres, depuis douze ans, tant de secrets et de mystères d'âme, sans ja- mais employer l'analyse, même celle qui est tolé- rable dans le roman et trop souvent tolérée sur les planches, ans jamais faire autre chose que du théâtre, du vrai théâtre, le plus clair, le plus net, le plus riche de péripéties et d'action aussi bien LE THÉÂTRE 1912-1913 209 que de sentiments, le plus humain, — comme on dit, le plus public car il est aussi capable d'émouvoir les humbles que de faire sentir » les riches d'esprit. Tout cela, je le trouve dans l'Enchantement, au même titre, au même degré que dans les autres pièces de M. Bataille, qui sont nées plus tard dans l'ordre des temps ; et comme je disais tout à l'heure qu'un homme est toujours le même homme à tous les âges, je crois pouvoir dire que M. Henry Bataille a toujours été le même poète je n'entends pas seu- lement identique, mais formé dès l'origine, mûr dès sa saison printanière, et doué du verbe souverain à l'âge des balbutiements. J'ai revu hier soir V Enchantement, et je l'avais relu, pour obéir au conseil de Becque, qui disait que les pièces sont faites pour être lues, non pour être jouées. Ce mot, quand on y réfléchit, est as- surément le plus cruel qu'Henry Becque ait jamais décoché à ses confrères. Il suffit, pour s'en persua- der, de lire des pièces. Celles de M. Henry Bataille supportent cette épreuve. D'abord, elles valent la peine d'être lues, parce qu'il prend la peine de les écrire ; mais cette lecture — chose peut-être assez inattendue — démontre surtout qu'elles sont des pièces de théâtre ; car il semble, quand on les lit. que les dessous qu'on y découvre ne puissent pa- raître qu'à la lecture, et l'on est surpris et émer- veillé, quand on les voit représentées ensuite, d'aper- cevoir que l'on y pénètre encore plus avant et sans effort, que l'art prétendu inférieur les grandit au 12. 210 LE THEATRE 1912-1913 lieu de les diminuer, et que cette fameuse perspec- tive du théâtre peut aussi s'ouvrir sur des profon- deurs. * * * Déjà presque vieille fille, Isabelle vient d'épouser Georges Dessandes, l'un des nombreux amis qui de- puis la mort des siens l'entourent, sans l'avoir ja- mais sollicitée de rien que d'une honnête affection de camarades. Isabelle ignore l'amour, délibéré- ment. Elle déclare à qui veut l'entendre, le soir même du mariage, qu'elle se marie sans passion, et qu'elle a choisi Georges entre tous les autres parce qu'elle ne l'aime pas d'amour, parce qu'il lui parait incapable de ce qu'on appelle amour dans les ro- mans, armé de bon sens et d'égoïsme, uniquement soucieux de la paix. Isabelle cependant n'est pas incapable elle-même de passion. Elle chérit, d'une tendresse désordonnée, sa petite sœur Jeannine, à qui elle a servi de mère. Or, ce même soir du ma- riage, à l'heure où les derniers invités vont partir, Jeannine tente de s'empoisonner. Isabelle, en dégra- fant le corsage de sa sœur, y trouve une lettre adres- sée à Georges, lettre d'adieu, aveu d'amour éperdu. La tentative de suicide est sans gravité et n'aura point de conséquences physiques. Ce qui est grave, et plus encore pour Isabelle ou même pour Georges que pour Jeannine, c'est que maintenant l'amour est dans la maison ». Isabelle est désormais obligée de soigner à toute heure le mal terrible qu'elle ne LE THÉÂTRE 1912-1913 211 connaissait point, qu'elle se flattait de ne jamais connaître, comme les religieuses dans les hôpitaux, comme le prêtre au confessionnal, pansent des plaies pour eux toujours mystérieuses, et dont les préser- veront leurs vœux. Mais la téméraire volonté des hommes et des femmes n'a pas le même pouvoir de propitiation qu'un serment fait à la divinité. En soi- gnant le mal, Isabelle apprendra d'abord à ne le plus méconnaître, puis elle en subira la contagion ; elle sera séduite par l'enchantement qui a séduit la première sa petite sœur, et à son tour elle passera par toutes les phases de la passion, et par toutes les alternatives, jusqu'à délester sa rivale si aimée, puis à vouloir se sacrifier pour elle, jusques enfin à ré- péter par une sorte d'imitation machinale, ou fatale, le geste de Jeannine, et comme elle à vouloir mourir. C'est ici que le bon sens de l'homme se manifeste. Georges, qui n'a pas laissé de subir aussi par instants l'influence du divin mal, et qui a témoi- gné même à Jeannine au moins des pitiés équivo- ques, mais qui en a par-dessus les yeux, Georges intervient assez brutalement, remet les choses au point, et chaque personne en sa place. On voit, je pense, comment un tel sujet, envisagé et traité à la mode de M. Bataille, est beau et neuf. et comme, d'autre part, cette rivalité de deux sœurs deviendrait aisément banale, à peine relevée d'un assaisonnement de perversité, si M. Bataille ne nous montrait que les apparences de ses personnages et leurs actes. Mais il a l'intuition, je ne dirai pas de 212 LE THÉÂTRE 1912-1913 leurs replis de conscience, je dirai de leur incons- cient ; et comme il est aussi un enchanteur, il nous fait part de cette seconde vue. Nous passons les surfaces où seulement la banalité réside, et nous atteignons des lointains où elle n'a pas plus d'im- portance que les imperceptibles agitations du flot pour les habitants des abîmes. Comme toutes les pièces où il y a une grande com- plication de sentiments. l'Enchantement pouvait presque aussi bien prêter au vaudeville qu'à la tra- gédie, et un homme de théâtre timide, ou respec- tueux des préjugés tels que la distinction des genres, n'eut pas manqué de faire tout son possible pour n'égayer point les spectateurs, surtout à contre- temps. M. Henry Bataille, au contraire, n'a pas es- quivé le comique, il n'a pas considéré qu'il en eût le droit, il l'a même parfois appuyé. Le rôle de Georges est presque entièrement de comédie. Peut- être aussi cela est-il accusé par le jeu de M. Gaston Dubosc, qui l'interprète en excellent comédien, — mais il faudrait un peu plus qu'un comédien. M me Berthe Bady, elle, est plus qu'une interprète et à peine une interprète Le rôle a paru écrit pour elle, et elle a vraiment paru le créer. Je ne le dis nulle- ment pour désobliger M me Jane Hading, qui jouait Isabelle en 1900. et tout autrement, mais avec la plus remarquable intelligence. Je préfère ne point parler de M lle Jane Renouardt Jeannine, car je ne saurais partager l'opinion favorable que l'on m'a semblé avoir un peu partout de son interprétation. LE THÉÂTRE 1912-1913 213 M"" Catherine Laugier m'a surpris. A-t-elle voulu critiquer, par le moyen de la caricature, les mau- vaises manières des femmes du monde, nos contem- poraines ? En ce cas, elle a exagéré. Je lui assure que le laisser-aller de la bonne compagnie est pure- ment moral dans les salons, on soigne encore le maintien, et si l'on a le grand tort d'emprunter par- fois aux populations des boulevards extérieurs leur argot, on ne leur emprunte jamais ni leurs intona- tions ni leurs inflexions de voix. 3 Février THÉÂTRE CLUNY. — La Cocotte Bleue, vaudeville en quatre actes de M. Emile Herbel. Ainsi que cette dame du meilleur monde, qui di- sait, mettant le nez à sa fenêtre Tiens, il fait beau ce matin, je vais me f... en blanc », Cliquette aime à se f... en bleu. On l'appelle la Cocotte bleue », non qu'elle se livre à la prostitution, fi ! ce sont des malintentionnés qui disent cela. Mais comme elle a un fort joli corps, elle ne refuse pas d'en faire part, moyennant finance, à de nombreux amis, et même à des amateurs inconnus. L'un de ces der- niers, vieux marcheur, et selon l'usage, étourdi comme un jeune homme, égare chez Cliquette un paquet de lettres, qui pourraient nuire à un ménage. 214 LE THEATRE 1912-1913 c'est-à-dire à trois personnes. Vous avez déjà deviné, si vous êtes né vaudevilliste, le sujet de la Cocotte bleue il s'agit de remettre la main sur ces lettres, et dame ! si on les rattrapait avant minuit, le spec- tacle se terminerait trop tôt. Je n'insinue pas qu'il se termine trop tard, et qu'il y a des longueurs. L'excellent public du théâtre Cluny m'a paru se divertir infiniment, et je crois que, durant plusieurs mois, on rira bien dans le quartier. La Cocotte bleue est jouée avec une gaieté étour- dissante par M me Franck-Mel, M me Gabrielle Chalon, M Ile Jenny Lington, et par l'excellente troupe de Cluny, car il y a encore une troupe à Cluny. C'est peut-être le dernier théâtre qui en possède une ; c'est dommage. 6 Février THÉÂTRE SARAH-BERNHARDT. — Servir, pièce en deux actes, de M. Henri Lavedan ; la Chienne du Roi, pièce en un acte, de M. Henri Lavedan. La très belle pièce de M. Lavedan, éloquente, âpre, fanatique, par endroits presque sauvage, a obtenu hier soir au théâtre Sarah-Bernhardt les honneurs du triomphe. Elle n'a donné lieu à aucune protestation. Il fallait s'y attendre les manifesta- tions au théâtre, comme les émeutes dans la rue, nf* le théâtre 1912-1913 215 se produisent que si on a oublié de les prévoir. Na- guères déjà, le Prince TAurec, après avoir, comme Servir, effrayé la Comédie-Française, eut au Vau- deville une première sans incidents. M. Jules Cla- relie avait cependant prononcé ce mot historique Le Prince clAuree ! ce serait la dynamite à la Comédie ! » 11 exagérait. Le Prince cïAurec, satire fort siprituelle et assez mordante, ne passait point le ton de la meilleure compagnie. Mais quand même cette comédie eût été de nature à déterminer des ex- plosions, il était d'avance probable qu'elle ne ferait pas sauter le quartier de la Chaussée-d'Antin, sim- plement parce que cela était attendu et avait été pronostiqué. Servir était presque assuré de triom- pher sans contestation, pour la même raison néga- tive, — et aussi pour d'autres raisons ; dont la plus évidente est que toutes les idées émises par M. Henri Lavedan au cours de son drame ne sont guère discutables et doivent emporter sans débat le con- sentement universel. Je n'en excepterai pas cer- taines des théories professées par le lieutenant Eu- lin, qui est dans la pièce, si l'on peut dire, l'avocat du diable, que le public, emporté par son enthou- siasme, a un peu inconsidérément applaudies, sans apercevoir qu'elles étaient en contradiction avec les opinions personnelles de l'auteur de même, l'on a acclamé M me Gilda Darthy, quand elle a déclaré qu'une mère n'a pas d'autre patrie que ses enfants, et il est bien clair que M. Henri Lavedan ne l'ap- prouvait pas de penser momentanément ainsi. Même 216 LE THÉÂTRE 1912-1913 les doctrines pacifistes du lieutenant Eulin, expri- mées avec discrétion, et qui ne peuvent être sus- pectées de lâcheté, seraient à la rigueur acceptables, si elles n'étaient point développées par un officier en uniforme ; et ceci entre parenthèses est la grosse invraisemblance de la pièce, quoique M. Lavedan l'ait sauvée bien entendu avec toute l'adresse qu'on pouvait espérer de lui. Enfin, nous avons bien une petite révolte intérieure, lorsque nous entendons faire l'éloge de l'espionnage ; le caractère français y répugne cela est absurde, mais honorable, et je ne souhaiterais pas pour ma part que nous fussions corrigés de cette absurdité, ni de quelques autres du même ordre 6 ; mais M. Henri Lavedan use d'ar- guments si justes, que l'on ne saurait manquer de s'y rendre 6 ; et puis on lui sait gré d'aborder brave- ment une question scabreuse, de soutenir une vérité peu sympathique ; et comment aussi résisterait-on à l'artiste admirable qui prête à l'éloquence de M. La- vedan sa grande voix ? Le Colonel Eulin s'est fait espion, parce qu'il a atteint l'âge de la retraite, et qu'il ne peut pas vivre sans servir. Jamais, depuis la Kundry de ParsifaL le mot servir n'avait été articulé sur une scène de théâtre avec un tel accent de ferveur mystique. Il ne s'agit point là seulement de patriotisme. M. La- vedan, et même, je crois, son colonel Eulin, recon- naissent fort bien que la patrie est chère à tous les cœurs bien nés, que le patriotisme n'est pas plus le privilège d'une caste que d'un parti. Mais ils pen- LE THÉÂTRE 1912-1913 217 sent que l'état militaire est un sacerdoce, et qu'il y a la même différence entre le militaire et le civil au regard de la patrie qu'entre le prêtre et le laïque au regard de Dieu. Comme le caractère du prêtre, celui du soldat est indélébile. On est soldat comme on est prêtre, in œlernum. Un prêtre, même défro- qué, même interdit, reste prêtre. Mais Eulin, à la retraite, n'est pas un soldat défroqué et n'entend pas être interdit il veut servir, à n'importe quelles basses besognes ; il s'est fait espion. Cette fonction l'oblige à de fréquents voyages, à de brusques éclipses. Ses allures sont mystérieuses, équivoques ; si bien que Mme Eulin, son irrépro- chable compagne depuis trente années, en vient à dou- ter de lui, et de la plus banale façon qu'une femme puisse douter de son mari. L'intérêt de la pièce n'est point, heureusement, ce malentendu vulgaire. C'est le dissentiment du père et de son plus jeune fils qui a fourni à M. Lavedan une situation, un peu arbi- traire sans doute, mais poignante et cornélienne. Le colonel est devenu l'espion de son propre enfant, le lieutenant Eulin. Pierre, qui est artilleur, a dé- couvert la formule d'une poudre verte, plus puis- sante que tous les explosifs connus, et qui assure- rait la maîtrise du monde au peuple possesseur d'une telle arme. Bien que pacifiste, il ne partage pas l'opinion de Nobel, qui fabriquait des engins de destruction pour rendre la guerre impossible. Il n'a fait qu'une seule fois, au péril de sa vie, l'épreu- ve de sa poudre verte. Il a depuis lors gardé sous 13 218 LE THEATRE 1912-1913 clef ses documents et ses formules, dans une petite maison de Vincennes, où il était naguère en garni- son il est présentement à Orléans. Mais il ne croit pas que ces papiers y soient encore suffisamment en sûreté, il va les confier à sa mère, dont il est le fils préféré Mme Eulin, fille, femme et mère de soldats, a souffert si cruellement de la guerre et de la servitude militaire qu'elle est presque con- quise aux idées de son dernier fils. Or, dès l'origine, le colonel, qui épie le lieutenant, a surpris son secret. Il a suivi les progrès de la formidable invention. Ce vieux pêcheur, qui, seul dans une barque, s'approchait témérairement de l'île que Pierre allait faire sauter, c'était le colonel déguisé. Il reste encore quelques notes à voler. Le ministre les réclame d'urgence à Eulin la guerre est sur le point d'éclater, et par une coïncidence un peu bizarre, mais tragique, la cause occasionnelle du conflit est l'assassinat du fils aîné d'Eulin, qui servait à la légion. Pierre et sa mère arrivent à Vin- cennes dans l'instant même où le colonel vient de prendre et de livrer les documents ; et la confronta- tion du père et du fils, sous les yeux de la mère dou- loureuse, donne lieu à l'un des plus graves débats, à l'une des scènes les plus atroces que nous ayons eu sujet d'applaudir dans le théâtre contemporain. L'intérêt n'en est pas affaibli par le pressentiment que nous pouvons avoir du dénouement. Nous som- mes avertis en effet qu'un coup de canon nous annoncera au moment voulu la déclaration de la LE THÉÂTRE 1912-1913 219 guerre. Pierre s'est vante de ne marcher à l'ennemi que si sa conscience l'y autorisait, mais nous ne dou- tons guère qu'elle ne lui ordonne de faire son devoir. Mme Eulin elle-même, dans une minute d'exaltation, a dit qu'en cas de guerre elle voudrait se battre comme un homme. Et pourquoi non ? Platon, qui n'était pas pacifiste, ne nous recommande-t-il pas d'associer nos femmes à tous nos travaux, et même à nos travaux guerriers ? Quant au colonel Eulin, il est chargé d'une mission qu'on ne nous explique pas, mais où nous savons du moins qu'il périra le premier. Je suis bien aise d'avoir eu, il y a quelques se- maines, l'occasion d'énumérer, à propos d'Alsace, toutes les objections qu'il me semble que l'on peut faire à ce genre de pièces cela me dispense d'y revenir à propos de l'œuvre de M. Henri Lavedan. Je me hâte de dire que je ne fais naturellement aucune comparaison entre Servir et Alsace. La pièce de M. Lavedan n'est pas située précisément, comme celle de M. Gaston Leroux. L'auteur n'est donc pas obligé de nommer la puissance à qui nous sommes censés déclarer la guerre il l'appelle la puissance ennemie », et cela est aussi décemment vague que cette autre expression l'ennemi héré- ditaire », dont les souverains ont accoutumé d'user en leurs discours, même quand ils entretiennent avec tous leurs voisins des relations cordiales ou correctes. Enfin, il n'y a dans Servir aucune de ces fautes de tact et de goût, qui sont peut-être, du 220 LE THÉÂTRE 1912-1013 moins pour des Français, les pires péchés contre le patriotisme. La pièce de II. Henri Lavedan, sévère, concise, et d'une superbe tenue de style, est noblement jouée. J'ignore si l'auteur a rencontré chez ses interprètes cette foi qu'il se plaignait de n'avoir pas trouvée à la Comédie-Française, et je ne veux pas décider si elle est nécessaire, même pour jouer Servir, ni ré- péter les arguments du Paradoxe sur le comédien. Mais, qu'il ait été ou non touché de la grâce, M. Lucien Guitry nous a crayonné hier soir une figure de héros militaire vraiment sublime. Ce qui me séduit le plus dans ce bel art, c'est la sûreté et le sommaire de l'indication. Tous les détails sont éliminés, il ne reste que l'essentiel, et l'effet est sai- sissant. Il me semble que Lucien Guitry a quelque chose du génie de notre Forain, et que tous les deux ont une même façon de dessiner. M. Paul Capellani a joué avec beaucoup de sincérité, d'intelligence, de force, le rôle plutôt ingrat de Pierre Eulin. MM. Mosnier et Decœur ont été simples et tou- chants, M m * Gilda Darthy pathétique et très belle. La Chienne du Roi, qui précède sur l'affiche Servir, est une sorte de divertissement historique, où M. Henri Lavedan a fait le plus agréable usage de son érudition. M 1 " Jane Hading a su donner à M"" du Barry une grande allure, un peu déhanchée M. A. Calmettes. décidément voué aux rôles ecclé- siastiques, a interprété celui de l'abbé O'Gorman avec autant de talent que, le mois dernier, celui d l'archevêque de Paris. LE THEATRE 1912-1918 221 10 Février COMÉDIE-FRANÇAISE. — L'Embuscade, pièce en quatre acte» de M. Henry Kistemaeckers. La Comédie-Française n'est pas un théâtre de quartier, et je crois qu'elle méconnaîtrait son intérêt ainsi que sa tradition, si elle ne maintenait pas une différence essentielle entre son répertoire et celui de Belleville ou de l'Ambigu. Je ne crois pas non plus qu'un auteur soit fort avisé, de produire sa pièce dans ce beau cadre, et de la mener dans le inonde si elle n'est pas habillée pour cela. En re- cherchant le voisinage, du moins théorique, de Ra- cine, de Marivaux, de Beaumarchais, il nous oblige de prendre garde à la qualité de son œuvre, et, en l'espèce, de nous apercevoir qu'elle n'appartient à la littérature, comme ce personnage d'Emile Augier appartenait à la noblesse, que par ses prétentions. II m'est assurément pénible de le constater ; mais je me demande à quoi pourrait servir la critique, si ce n'était à tracer une ligne de démarcation bien nette entre ce qui est littérature et ce qui ne l'est point. Et puis, je n'aime pas les inégalités trop riantes. L'on a proprement assassiné, il y a trente ans, pour quelques phrases malheureuses, M. Geor- ges Ohnet, qui savait bien autrement que M. Kiete- ruaeekers camper un personnage et ordonner une action. Il n'est pas question d'infliger à l'auteur de 1' Embuscade un traitement si cruel les mœurs se 222 LE THÉÂTRE 1912-1913 sont adoucies. Nous le reconduirons seulement par la main jusques au delà des frontières de notre Ré- publique, avec tous les ménagements de la politesse — sans toutefois couronner son front de bandelettes, ni répandre des parfums sur ses cheveux. Mais, me dira-t-on, Y Embuscade, si ce n'est point de la littérature, n'est-ce point du théâtre ? Certes oui puisqu'il paraît qu'il y a divorce entre ces deux choses. J'avouerai même que c'est du bon théâtre, et que du bon théâtre est bon, comme dirait Molière qui n'a jamais on amie. On sent que peu à peu il revient à la règle r[ h l'ordre ; il ne détournera même pas Hélène d'y revenir comme lui ; et cependant, pour elle, il s'agit de reprendre la chaîne conjugale, de se soumettre à un mari indigne, médiocre, qui l'a naguère aban- donnée, qu'elle ne hait même plus qu'elle a oublié. Hélène s'y résignera, avec désespoir, mais avec rai- son Mon cœur se révolte, dit-elle, mais mon esprit se soumet. » Mais le hasard est parfois pitoya- ble Hélène mourra. La mort n'est pas seulement, comme le disait Goncourt, le dénouement le plus distingué, c'est aussi celui qui arrange tout le mieux. Te dénouement, de M. Capus demeure donc opti- timiste, d'un optimisme mélancolique. A vrai dire. 238 LE THÉÂTRE 1912-1913 nous avions pressenti dès le début cette mort oppor- tune et facile, et quelques palpitations d'Hélène, au premier acte, nous avaient laissé prévoir qu'elle s'éteindrait sous nos yeux, entre les bras de son ami, au cinquième acte. Car la pièce a cinq actes ! M. Capus n'a pas re- douté cette coupe aujourd'hui presque inusitée. 11 a osé écrire une grande comédie, bien ordonnée, conduite sans hâte, sans non plus cette nonchalance qu'on lui a reprochée quelquefois. Il a fait de gran- des scènes qui ne sont pas finies aussitôt que com- mencées, et où les personnages se disent tout ce qu'ils ont à se dire, sans avoir l'air d'être pressés par l'heure d'un train. Je le querellerai toutefois un peu sur son troisième acte il m'a paru donner une importance disproportionnée à l'un des épisodes, et ralentir fâcheusement, au milieu juste du spectacle, la marche de la pièce, jusque-là et ensuite bien sim- ple, nette et directe. C'est l'acte où Sébastien Real, qui a trouvé chez l'imprésario Cabaniès une situa- tion bien rétribuée, s'aperçoit que son patron est une canaille, et lui jette sa démission. C'est, comme bien vous pensez, le soir d'une représentation de gala où se pâment tous les rastaquouères et tous les snobs de Paris. M. Capus n'a pas su résister au plai- sir d'en crayonner quelques types il joue à mer- veille de ces fantoches, mais cette fois nous avons peut-être moins goûté un intermède, cependant, des plus joyeux, qui nous divertissait un peu trop long- temps des deux personnages vraiment intéressants LE THÉÂTRE 1912-1913 239 de la pièce. L'intérêt que ceux-ci nous inspirent, ils ne le méritent du moins par aucun artifice, par aucun excès de sentiment ni de langage, et voilà ce que j'estime, ce que je goûte le plus dans cette agréable, touchante et sérieuse comédie c'est la convenance, la justesse parfaite du ton, l'exacte modération. Les deux amants sont passionnés, l'un des deux mourra tout à l'heure ; jamais ni l'un ni l'autre ne se mon- trent inférieurs au drame où ils participent, à ce drame de l'amour et de la mort, qui est, dans un décor moderne ainsi que dans un décor ancien, avec des personnages rois ou anonymes, le plus gran- diose des drames humains, et jamais ni l'un ni l'au- tre ne paraît sentir, ni ne s'exprime autrement que ne ferait à l'ocasion un des spectateurs qui l'écou- tent. Nous les sentons proches de nous, pareils à nous, et nous en concevons un peu d'orgueil, dont il faut remercier M. Alfred Capus en même temps que nous l'applaudissons. Nous en devons remercier aussi les deux excel- lents interprètes, dont je veux louer plus encore la sincérité que le talent. M me Vera Sergine aime sans phrases, et elle émeut profondement sans exhaler une plainte. Son énergie n'est pas moins admirable que son intelligence, et l'on oublierait presque de parler de sa beauté. M. Rozenberg, passant avec aisance d'une petite scène à la grande scène du Vaudeville, a su rendre toutes les nuances du rôle de Sébastien Real. Son jeu a quelque chose de franc, de viril, de sain et de probe il convient tout à fait au person- 24J LE THEATRE 1912-1913 nage. M me Emilienne Dux a interprété avec le plus remarquable talent une belle-mère très estimable, mais un peu sévère. M. Lérand, M. Joffre et M mt Ellen-Andrée, dont les rôles sont peu de chose quant au texte, ont trouvé moyen de créer des types que l'on n'oubliera pas, et je voudrais citer tous les autres, mais ils sont trop ; tous mériteraient une mention, car la pièce de M. Capus est très bien jouée d'ensemble ; elle a été aussi mise en scène par M. Porel avec le goût le plus sûr. 18 Mars PORTE-SAINT-MARTIN. — Cyrano de Bergerac, comé- die héroïque en cinq actes, en vers, de M. Edmond Rostand reprise. Nous avons été, hier soir, les témoins d'une sort* 1 de miracle, sans précédent, je crois, au théâtre, où il ne se produit guère, cependant, que des événe- ments merveilleux. Il n'est point rare qu'une pièce âgée de quelques années plaise, à la reprise, par son mérite propre, par ses grâces ou par la mélan- colie des souvenirs qu'elle évoque car l'attendrisse- ment au théâtre n'est pas moins de règle que le pro- dige. Mais qu'un chef-d'œuvre reconnu, qualifié chef-d'œuvre par le consentement universel, dont la première représentation fut notée comme une vie- LE THÉÂTRE 1812-1913 241 toire du génie français, qui depuis fut représenta des milliers et des milliers de fois sur toutes les scènes des deux mondes, que tous les spectateurs d'une répétition générale ont eux-mêmes vu, lu, relu et qu'ils savent à peu près par cœur ; que ce chef-d'œuvre ressuscité les surprenne plus encore qu'il ne les séduit ; qu'avant de les transporter d'en- thousiasme il les frappe d'étonnement, qu'enfin ce soit comme une révélation, voilà bien qui est conce- vable à peine et miraculeux ; et je prie mes lecteurs de croire que, selon ma coutume, je parle à la ri- gueur, je dis, sans excès de langage, ce qui est. Si, contre ma coutume, je fais allusion au succès effectif de l'œuvre, c'est qu'il a ici une signification particulière je ne connais pas de pièce de théâtre qui soit plus de théâtre que celle-ci, et l'accueil du public me le confirme ; je ne connais pas de sujet de pièce plus dangereusement subtil, plus rebelle à la réalisation scénique ; le tour de force admira- ble de M. Edmond Rostand, c'est d'avoir, du pre- mier au dernier mot de son drame, perpétuellement et facilement résolu cette antinomie. La première de Cyrano fut saluée, il y a quinze ans, comme une renaissance du drame français en vers ce n'était pas assez dire. Je ne veux diminuer aucune des œuvres illustres qui sont notre richesse et notre orgueil ; mais, quand je songe à quel point les dra- mes de Victor Hugo, pour n'en point citer d'autres, tout en provoquant notre admiration, la désolent, je ne puis m'empêcher de reconnaître qu'avant u 242 LE THÉÂTRE 1912-1913 Cyrano nous possédions très peu de drames en vers, qui fussent tout ensemble des chefs-d'œuvre du théâtre et de la poésie. Je n'entends point par là que Cyrano soit fabriqué à la façon des drames de Du- mas père, auxquels on a osé quelquefois le compa- rer, à cause, j'imagine, de l'acte du camp et de la scène des victuailles. Même pour le métier le plus matériel — je ne parle pas naturellement du reste — M. Edmond Rostand n'a pas la moindre parenté avec Dumas père, dont les drames, ceux du moins qui sont tirés de romans, sont aussi mal bâtis qu'on peut le souhaiter, ou plutôt ne sont bâtis d'aucune manière. Des reprises récentes nous ont permis, d'ailleurs, de reconnaître qu'ils n'ont plus aucune action sur le public, même par ceux de leurs épi- sodes que l'on pourrait plus ou moins comparer a cette scène du camp de Cyraîin ; et la reprise d'hier nous a montré, au contraire, quelle action immé- diate, directe, peut exercer sur ce même public un poète qui a le génie du théâtre, par un épisode de la psychologie la plus précieuse et du lyrisme, si je puis le dire, le plus transcendant, comme celui de Roxane au balcon. J'ai si fortement éprouvé, hier soir, le sentiment d'une révélation et d'une nouveauté, que je me lais- serais volontiers aller à vous raconter Cyrano j'ou- blie qu'il s'agit d'une reprise. Celle-ci présentait un intérêt singulier. Sans doute, Cyrano a déjà été re- pris plusieurs fois, et même à Paris, quoiqu'il ne l'ait jamais été encore avec cette solennité ; et sans LE THÉÂTRE 1912-1913 243 doute il subira maintes et maintes fois pareille épreu- ve. Mais la plus périlleuse, la plus décisive aussi était celle d'hier soir, après quinze années révolues, si près et si loin d'un premier contact avec le public. Quinze ans, c'est l'âge auquel les pièces de théâtre risquent le plus de paraître démodées et vieillies. Je ne dirai pas qu'hier soir Cyrano n'a semblé avoir aucune ride, selon l'expression consacrée. Car, lors- que l'on dit que les pièces n'en ont point, c'est une façon polie et détournée de faire entendre que, si on y avait regardé de plus près, on aurait bien pu en apercevoir quelques-unes. La vérité est que per- sonne, hier, n'a songé à l'âge du drame de M. Ros- tand, ni même qu'il eût un âge. Je me souviens qu'il v a quinze ans on expliquait le succès immense de cet autre Don Quichotte par un renouveau d'idéal en France, par une crise de chevalerie, enfin par le pa- nache. Nous avons dû, depuis quinze ans. subir une quinzaine au moins de crises analogues et de réac- tions, puisque tous les ans et tous les six mois on nous tâte le pouls, et l'on annonce tour à tour notre décadence ou notre risorgimento. Les directeurs de la Porte-Saint-Martin sont bion habiles ; ils ont le flair de l'opportunité ; ils ont su reprendre Cyrano ;'i la minute précise où nous nous trouvions dans le même état d'âme qu'il y a quinze ans, à la fin de décembre ; à moins quo nous n'ayons pas changé depuis lors autant ni aussi souvent que l'on veut bien nous le raconter. Il s'est trouvé, hier comme en ce temps-là, que le héros de M. Rostand avait juste- 244 LE THÉÂTRE 1912-1913 ment la figure que nous souhaitions. Il est toujours, plus que jamais, notre héros national, le mauvais garçon tout débordant de bonté, le bravache plein de bravoure vraie, le hâbleur qui a de l'esprit, le li- bertin qui est religieux au sens le plus élevé du mot, le Quasimodo en qui rayonne une âme splendide, et dont même la laideur physique est une laideur à ca- ractère, une laideur pour les peintres. Il nous est revenu tout prêt pour une nouvelle popularité, et cette popularité, qui souffle, comme l'esprit de Dieu, où elle veut, a soufflé autour de lui en tempête dès sa première apparition. Les soirs comme hier soir, l'emploi de la critique se borne à une acclamation unanime. Qui pourrait être tenté de refuser sa voix à ce concert ? Il est si reposant, et si rare, et si bon de pouvoir admirer ! MM . Hertz et Coquelin ont monté Cyrano de Ber- gerac avec plus de luxe encore que naguère. Tous les décors sont beaux, celui du camp et celui du jardin d'automne, au dernier acte, sont admirables. L'interprétation est digne de la gloire de l'œuvre. Co- quelin avait fait de Cyrano une figure que l'on ne saurait oublier. M. Le Bargy ne l'a point fait ou- blier il en a dessiné une autre, toute différente, et c'est encore Cyrano. Comme il avait déjà joué le rôle en tournée, nous avions eu quelques écho9 de ces représentations. On prétendait, entre autres cho- ses, que M. Le Bartry était un Cyrano triste, et cela me portait à craindre qu'il ne fût trop gai. Il n'esl ni l'un ni l'autre il a composé le rôle avec la plu» LE THÉÂTRE 1912-1913 245 exacte intelligence du texte, et de ce qu'il y a sous le texte. Ses moyens d'expression sont vraiment extra- ordinaires, et je ne crois pas notamment que jamais un comédien ait disposé d'une voix plus puissante et plus souple. La physionomie et l'allure du person- nage sont rendues avec un art pittoresque qui mérite les plus grands éloges. C'est bien tour à tour le gueux, le soudard, le poète rêveur et philosophe. Au dernier acte, c'est un spectre effrayant ; il semble, quand il entre en scène, venir d'outre-tombe. Dans ce dernier acte de Cyrano, M. Rostand a touché au sublime shakespearien l'interprète aussi y a tou- ché. M me Andrée Mégard a joué Roxane avec infi- niment de grâce et de tendresse, parfois avec un peu d'afféterie, mais le rôle l'exige ; elle a le talent, aujourd'hui si rare, de dire les vers. M. Jean Co- quelin est un excellent Ragueneau. M. Max Desjar- dins et M. Jean Kemm ont joué en artistes accomplis les rôles de Guiches et de Carbon de Castel-Jaloux. 20 Mars RENAISSANCE. — Le Minaret, comédie en trois actes, de M. Jacques Richepin. Ceci est un conte, que l'on aurait même appelé philosophique au dix-huitième siècle, bien qu'il soit assez malaisé d'y apercevoir aucune philosophie, M. 246 LE THÉÂTRE 1912-1913 sauf la plus pratique. Mais combien de contes, en ce siècle-là, n'eurent de philosophique que le nom ! C'est aussi un conte oriental à la manière du dix-hui- tième, où l'on se souciait peu d'information précise, de couleur locale, et où l'Orient, pour les conteurs, était un lieu de mystère commode, asile de la chi- mère et de l'utopie, à peu près comme cet Incon- naissable que les agnostiques veulent bien assigner à la religion pour son domaine propre et son dernier- refuge. M. Jacques Richepin a été fort avisé de ne mettre à la scène qu'une Perse de fantaisie. Sans doute il en sait beaucoup plus long sur l'Orient que Voltaire et que Montesquieu, et il n'aurait pas eu grand'peine à trouver des personnes compétentes qui lui en eussent appris encore davantage. Mais c'est une chose curieuse que j'observe, et je serais fort em- pêché de l'expliquer, il ne semble point possible de donner, soit par la peinture, par la littérature ou par le théâtre, une représentation exacte et réaliste des races qui n'ont pas coutume de s'exprimer elles- mêmes par ces moyens. Nos peintres orientalistes n'ont que trop souvent démontré cette bizarre im- puissance ; et je crois qu'on la vérifierait surtout au théâtre, et que cela vient de ce qu'il n'existe pour ainsi dire pas de théâtre dans les pays musulmans. Je pense que, si M. Jacques Richepin, après s'être entouré de documents, avait prétendu nous faire connaître, par les procédés ordinaires de la scène, la psychologie des femmes de harem, ou même sim- plement leurs gestes, et les façons amoureuses des LE THÉÂTRE 1912-1913 247 jeunes premiers de là-bas, il aurait eu bien des chan- ces d'échouer. L'une des raisons de son succès est qu'il n'a pas eu d'ambitions si hautes ni si vaines il s'est amusé à nous raconter une histoire gauloise, à laquelle il a voulu ajouter une parure singulière- ment à la mode en ce moment-ci ; et comme il s'amu- sait de bonne loi en nous la racontant, cette joie n été communicative. Il nous a divertis, il nous a éblouis, — il ne nous a pas choqués la pièce est très libre, mais saine, et si jeune ! Il est réconfortant, par le temps qui court, de voir un jeune homme de l'âge de M. Richepin qui ne rougit point, ni qui ne baisse point les yeux quand il parle de l'œuvre 'de chair, qui se déclare franchement ennemi de la chasteté, et qui volontiers, comme Stendhal, qualifierait cette vertu de ridicule. L'idée du Minaret n'est pas sans quelque ressem- blance avec celle de la Veuve Joyeuse ; mais comme nous sommes en Orient, il y a plusieurs veuves c'est tout un harem qui est veuf, et joyeux. Les veuves musulmanes, dont la condition n'est guère enviable, ont ordinairement peu de raisons de se réjouir ainsi, et n'en manquent point de regretter leur maître et leur époux sincèrement. Mais le cheik... hélas ! je m'aperçois que j'ai oublié son nom j'aime mieux le taire que l'écorcher. Le cheik, tout court, n'était pas un époux égoïste, comme tant d'autres. Il ne s'est paé dit Après moi la fin du monde, — ou de mon harem. » Au lieu d'en faire des cadeaux à diverses personnes, ou de le laisser vendre à l'encan, il a dé- 248 LE THEATRE 1912-1913 cidé que ses femmes choisiraient elles-mêmes un nouveau maître, au suffrage universel, à la majorité absolue des voix, et sans représentation des mino- rités car il ne les laisse point libres d'en nommer plusieurs, mais un seul, après toutefois avoir établi une liste de trois admissibles. L'élection définitive doit avoir lieu à la suite d'un concours ; et je dois avouer qu'au premier mot de ce concours j'ai trem- blé que l'auteur ne fût allé un peu loin ; mais, au contraire, la principale épreuve consiste, pour les concurrents, à respecter ces dames toute la nuit. Vous devinez bien que l'un au moins des candidats est aimé secrètement d'une des veuves ci-devant favo- rites du défunt, et que cette tendresse secrète a été cause de son succès au premier tour. Mais il s'agit de gagner au second tour plusieurs voix, et notam- ment celle de l'autre veuve cf-devant favorite. La première, Myriem, qui est la plus maligne, persuade à Noureddine, son amoureux, de faire la cour à l'au- tre, Zouz-Zuvabé. Noureddine obéit sans enthou- siasme et obtient un rendez-vous pour ce soir, sur la terrasse, au pied du minaret. La nuit est merveil- leuse et le décor est de M. Ronsin. Noureddine est à deux doigts de tromper Myriem avec Zouz-Zuvabé ; et le pire, c'est que Myriem n'est pas beaucoup plus loin de tromper Noureddine avec un autre préten- dant, Mustapha. Dans une tragédie symbolique, qui fut jouée jadis au Vaudeville, une bergère, après une longue conversation avec un berger, et finale- ment un baiser significatif, s'écriait tout d'un coup LE THÉÂTRE 1912-1913 249 Il m'a eue ! Il m'a eue ! » Ni Zoux-Zuvabé ni My- riem n'ont lieu de pousser cette exclamation, et elles se bornent à dire, l'une à Noureddine, l'autre à Mus- tapha, qu'elles ne les ont pas trompés tout à fait. Noureddine proteste d'autre part à Myriem qu'il a joué une comédie et que Zouz-Zuvabé ne lui chante guère. Naturellement, Zouz-Zuvabé entend cette im- pertinence, et le résultat de l'imbroglio est que ni Noureddine ni Mustapha n'obtiennent une seule voix, mais que le troisième concurrent est élu à l'unani- mité. C'est un riche et joyeux bossu. Comme My- ryem n'en aime pas moins Noureddine, elle le lui déclare, et le lui prouverait, si le bossu ne surve- nait à temps pour constater qu'il n'est pas encore cocu, mais que l'on peut l'être en Orient comme ailleurs. Sur ce, le cadi, à point nommé, produit un autre testament du feu cheik, qui annule les précé- dentes dispositions le harem suivra la destinée ordinaire, selon la loi de Mahomet, et le bossu Fel- Fel, après avoir failli être cocu d'avance, ne sera même pas mari. M m * Cora Laparcerie nous a donné, du joli conte de M. Jacques Richepin, une de ces éditions de luxe où chaque page est encadrée de dessins et de minia- tures, qui parfois même empiètent sur le texte. Les décors et les costumes ne laissent pas d'être à l'oc- casion un peu audacieux, et je ne crois pas cepen- dant qu'on y puisse relever une seule faute de goût. Il faut louer MM. Ronsin et Poiret d'avoir su donner à leur imagination tant de liberté sans lui permettre 250 LE THÉÂTRE 1912-1913 aucune fâcheuse incartade, et de nous avoir étonnés quelquefois, mais toujours charmés. L'interprétation du Minaret est excellente et tout à fait de même ordre que la pièce elle est jeune, elle est aimable, elle mérite presque toujours d'être applaudie, et là où elle le mériterait moins, elle a trop de grâce pour ne pas désarmer. M me Cora Laparcerie dit avec naturel des vers écrits avec facilité ; elle est voluptueuse, elle est passionnée, et elle sait avoir quand il le faut au- tant de belle humeur que de passion. M me Marcelle Yrven accorde à nos regards les mêmes faveurs que naguères à ceux du cheik défunt ; j'aime beaucoup la franchise et la simplicité de son jeu. M Ue Mireille Corbé sait se plaindre avec autant d'ingénuité qu'Iphigénie de n'avoir point connu les douceurs de l'amour. M. Jean Worms est un séduisant \oured- dine, et vraiment maître maintenant de son beau ta- lent. M. Claudius est un peu triste, mais le rôle du Grand-Eunuque est-il bien avantageux ? N'est-ce pas ce que l'on appelle, en argot de théâtre, un faux bon rôle » ? M. Félix Galipaux. en revanche, semble un bossu pleinement satisfait. Il a raison de l'être, cor il a trouvé cette fois un de ces rôl^s. aujourd'hui trop rares, où il peut tout ensemble débrider et mo- dérer son incomparable verve. M. Harry Baur a une magnifique prestance, une excellente voix et une diction que la vile prose ne lui avait pas encore per- mis de nous faire si bien apprécier. La musique de M. Tiarko Rirhepin est. comme la poésie de M. Jac- ques Richepin, savante, facile et colorée. LE THÉÂTRE 1912-1913 251 21 Mars BOUFFES-PARISIENS. — Le Secret, pièce eu trois actes, de M. Henry Bernstein. Le Secret n'est pas seulement une pièce profondé- ment touchante, intéressante, pathétique, sans doute la plus originale et la plus belle de AI. Henry Bern- stein c'est le premier exemple, et du même coup le modèle achevé, d'une sorte de pièce entièrement nouvelle. Peut-être que ces épithètes vont sembler bien emphatiques et bien excessives quand j'aurai dit a I M'es cela que tout l'intérêt du Secret est psycholo- gique, et que c'est une pièce à caractères il est vrai que les auteurs dramatiques n'ont pas attendu le commencement du vingtième siècle pour en écrire, que c'est même une assez vieille mode, et qui sem- blait depuis longtemps être tombée en désuétude. Mais, outre qu'un homme d'aujourd'hui ne se conten- terait plus de la psychologie sommaire et naïve des peintres de caractères d'autrefois, et que la mise en œuvre d'une science plus complexe, plus subtile, plus adéquate à l'innombrable réalité, lui rend donc la tAche plus difficile, il est empêché encore par toutes les règles arbitraires et par toutes les entraves que, depuis cent ans, la prétendue grammaire de l'art théâtral a multipliées. J'écrivais dernièrement, que pas une pièce de Molière n'est bien faite, et l'on a compris, j'imagine, que je l'écrivais avec approba- tion. Longtemps encore après Molière, la comédie 252 LE THÉÂTRE 1912-1913 est demeurée plastique et souple, et ce n'est qu'au début du siècle dernier qu'elle s'est raidie dans des formules qui ne lui permettent plus que les petits sujets, les imbroglios et les historiettes. Je sais bien que l'on peut faire bon marché de cette grammaire de Scribe, quoique cent ans d'usage et de succès lui aient donné l'autorité et le prestige, qu'une critique pédante l'ait promulguée, et que des hommes de la taille de Dumas fils, même en protestant ou à leur insu, s'y soient asservis. Les lois, ni dans l'ordre lit- téraire, ni dans l'ordre politique, ne durent pas quand elles n'ont pas de raison d'être ; il n'y a de lois du théâtre que celles que les conditions mêmes du théâ- tre imposent ; et nous avons vu, en effet, la comédie, tout récemment, s'affranchir de toutes celles-ci. Mais il est d'autres gênes, et même de nouvelles, dont elle ne saurait s'affranchir, parce que ce sont vraiment les conditions du théâtre qui les nécessitent, celles du moins du théâtre d'aujourd'hui cette brièveté, ce mouvement, cette hâte que le public contemporain exige, et faute de quoi on ne le prendrait pas, qui li- mitent le champ de l'auteur dramatique, et lui ren- dent notamment impraticable l'étude approndie des âmes. Il est à remarquer qu'on n'a jamais vu moins de caractères au théâtre que depuis que nous avons la prétention de les connaître mieux, je veux dire plus scientifiquement. Les efforts de l'école natura- liste dans cette voie, efforts aussi maladroits que vains, sont instructifs. M. Henry Bernstein est, le premier, venu à bout Je ce qui me paraissait, hier LE THÉATftK 1912-1913 encore, une impossibilité. Il a écrit un drame à ca- ractères, et ce drame, à première vue, par son as- pect, par sa construction, par ses façons de saisir, de secouer, de dominer le public, par tous ses pro- cédés enfin et par tous ses moyens, ne semble nulle- ment différer des drames précédents de M. Henry Bernstein ; et il n'est pourtant, du premier au dernier mot, que l'étude d'une femme ; étude complète, pres- que médicale, clinique ; sans une seule complaisance aux faussetés du théâtre, sans mise au point, sans souci de cette fameuse optique théâtrale ; et c'est, je le répète, la pièce la plus scénique, la plus drama- tique, la mieux conçue, la plus poignante que M. Bernstein ait jamais écrite. Ce n'est pas là un tour de force, mais le bel et heureux effort d'un art parfai- tement conscient, mûri, auquel je ne veux pas don- ner le nom de métier. M. Bernstein analyse aussi curieusement, aussi exactement que ferait un psy- chologue de profession, et avec autant de méthode. Seulement il ne nous expose pas les résultats de sa recherche il nous fait assister à son expérience et nous avons le sentiment de la poursuivre en même temps que lui. Il fait vivre son personnage devant nous, et il en règle toutes les actions, tous les gestes, de telle sorte que chacun nous trahisse un peu de ce mystérieux caractère, que nous ne cesserons pas de connaître à chaque minute un peu plus, et que nous ne connaîtrons tout entier qu'au dernier baisser de rideau. La gradation est merveilleuse au début, Gabrielle 15 254 LE THÉÂTRE 1912-1913 Jeannelot nous paraît tout ordinaire, une femme comme tant d'autres, à peine énigmatique. Belle, ri- che, heureuse, amoureuse, aimée de son mari, qui fut son compagnon d'enfance, elle est l'honnête fem- me qui n'a guère de mérite à l'être, mais à qui l'on ne saurait raisonnablement reprocher les commodi- tés de sa vertu. Son mari, Constant, est peintre à ses moments perdus, et préfère le golf. Ils sont dans leur salon, après déjeuner, ils disent des choses de peu d'importance, et leur bonheur serait complet si la locataire de l'étage supérieur ne les assommait de ses gammes. Hélas ! nos contemporains n'ont au- cune vertu sociale, ni aucun respect du repos et de la liberté d'autrui. Constant Jeannelot fait allusion à certaines difficultés d'intérêt qu'il a présentement avec sa sœur, Gabrielle lui donne des conseils de modération, de la voix la plus nette, et apparemment avec une entière franchise. Rien d'ailleurs n'attire notre attention sur ces répliques, et ne les marque d'un accent particulier. Puis, Gabrielle parle de son amie Henriette Hozeleur, de qui elle a reçu un mot, qui va venir ; Gabrielle et Constant sont comme la sœur et le frère d'Henriette, restée veuve d'un mari indigne, après deux ou trois ans de martyre. Un jeune secrétaire d'ambassade, Denis Le Guenn, re- cherche depuis assez longtemps Henriette, et n'en finit pas cependant de demander sa main, ni même de se déclarer. Constant él Gabrielle s'entretiennent de ce mariage probable, que Constant souhaite de tout son cœur ; Gabrielle manifeste quelques inquié- LE THÉÂTRE 1912-1913 255 tudes, mais que l'on ne saurait attribuer qu'à une tendresse ombrageuse, ou à sa prévoyance de grande amie raisonnable. Denis Le Guenn est un brave gar- çon, mais qui ne paie pas de mine. Il est peu bril- lant, Henriette l'éclipsera, Henriette est orgueilleuse ne se sentira-t-elle pas humiliée de sa propre supé- riorité sur son mari ? Henriette est fière elle est pauvre et Denis Le Guenn est riche, elle ne peut pas avoir l'air de courir après lui. Denis Le Guenn est un peu ridicule, il n'est pas grand ; Henriette est grande et élégante... Gabrielle Jeannelot est per- suadée que son amie et Denis s'aiment, elle craint qu'ils ne s'aiment pour leur malheur, et qu'ils ne se ménagent des désillusions, peut-être des catastro- phes. Henriette survient, on renvoie Constant, et elle montre à Gabrielle une lettre qu'elle a reçue de Denis le matin. La lettre ne peut guère laisser de doutes sur les intentions du jeune diplomate ; ce n'est pas toutefois une demande positive, Denis sol- licite d'abord quelques instants d'entretien avec M*' Jeannelot. Henriette a pris sur elle de répondre que son amie la recevrait cet après-midi. On l'annonce. Gabrielle fait passer Henriette dans la pièce voisine, elle le reçoit. L'entretien est extrêmement embarrassé, malgré les efforts de Gabrielle pour mettre à l'aise le pauvre jeune homme, timide jusqu'au comique. Il finit ce- pendant par faire entendre qu'un scrupule l'a jusqu'ici empêché, l'empêche encore de demander la main d'Henriette. Il est très tendre, il est jaloux, 256 LE THÉÂTRE 1912-1913 d'une jalousie raffinée. Il veut posséder toute, la femme qu'il aimera, qu'il épousera. Jamais, dans ses rêves les plus lointains, il n'a conçu que cette jalou- sie presque maladive lui permit d'épouser une femme qui ne fût pas vierge et neuve. Certes, il ne prend nul ombrage de l'abominable mari qui a fait tant de mal à Henriette. Mais elle est jeune, belle ; elle avait toutes les excuses, elle était libre. Comment croire que, jusqu'à ce jour, elle n'ait pas été aimée, qu'elle n'ait pas aimé, qu'elle n'ait pas vécu ? Cette pensée seule rend Denis presque fou. Il sait qu'il n'aurait aucun droit d'en vouloir à Henriette, mais il sait aussi qu'il ne pourrait pas se défendre de la torturer, et qu'il serait lui-même horriblement mal- heureux. Il ne pose pas à Gabrielle de question pré- cise, et il avoue son angoisse avec tant de délicatesse, avec de telles réticences, qu'elle n'est point choquée. Elle lui affirme, elle lui jure, en le regardant bien dans les yeux, qu'Henriette est sans reproche. Et, dès qu'il est sorti riant et pleurant de joie, elle rap- pelle M me Hozeleur ; et son premier mot est pour lui conseiller, toujours avec la même franchise, mais avec une étrange insistance, de tout avouer à Denis Henriette a un secret, Henriette a eu un amant. Elle a été pendant un an la maîtresse d'un certain Charlip Ponta-Tulli. qu'elle a même dû épouser. Gabrielle lui persuade qu'elle se prépare de terribles lende- mains si elle n'avoue pas cette liaison à Denis, qui soupçonne, qui sait peut-être ce qui en est. A la vérité, aucune des paroles de Denis ne nous avait LE THÉÂTRE 1912-1913 257 donné ce sentiment, et le conseil de Gabrielle nous étonne. Il n'étonne pas, mais il révolte M me Hoze- leur elle n'aura jamais le courage de risquer son bonheur et de faire cet aveu, peut-être inutile. Com- ment Denis saurait-il, soupçonnerait-il une liaison qui n'est connue que des deux intéressés et de Ga- brielle, car Constant lui-même l'ignore ? Mais M m ' Jeannelot est si affirmative, si alarmante, qu'Hen- riette se laisse enfin convaincre elle va tout dire à Denis ; et quand il reparaît, naturellement elle ne lui dit rien. Les fiançailles sont conclues, les deux fiancés partent ensemble. M. et M me Jeannelot res- tent seuls ; et, à brûle-pourpoint, à propos de rien, Gabrielle se met à raconter à son mari, qui n'en a jamais rien su, l'aventure d'Henriette. On sent, lors- que à temps le rideau baisse, qu'elle va lui donner sans malveillance, rien que pour s'amuser un peu, les détails les plus circonstanciés. II nous a paru que de scène en scène, de réplique en réplique, et continuellement, nous pénétrions plus avant dans la familiarité de Gabrielle, et que nous n'étions pas loin de surprendre le secret de son caractère qui, bien plus que la liaison ancienne de M mo Hozeleur, est le secret » de la pièce, mais nous ne saurions le définir, préciser une accusation nous ne sentons encore, à la fin du premier acte, qu'un malaise, une méfiance, des soupçons vagues. Ils s'aggravent, sans trop se préciser, dès le début du deuxième acte. Nous sommes à Deauville, chez une vieille tante des Jeannelot, qui reçoit également 258 LE THÉÂTRE 1912-1913 les Denis Le Guenn, et Charlie Ponta-Tulli est in- vité. Est-ce par hasard, ou bien qui aurait suggéré à la bonne dame, qui ne savait rien de cette histoire, l'idée de réunir Henriette et Ponta-Tulli ? Selon l'usage, Denis se prend d'amitié pour l'ancien amant de sa femme, et ce ridicule exaspère Henriette. Elle est au supplice. La présence seule de Ponta l'indi- gne, et ses galanteries insolentes l'effraient. Elle aime son mari, elle est heureuse, elle veut défendre son bonheur. Elle le défend gauchement ; elle a des allures bizarres ; elle parle rudement à Denis. Elle supplie Gabrielle de chasser Ponta-Tulli ; et, de nouveau, la mauvaise grâce de M m6 Jeannelot nous surprend, nous inquiète. Cette femme si évidemment intelligente a les mots les plus malheureux, elle raille mal à propos le mari devant la femme, elle calme Henriette de telle façon qu'elle l'excite ; elle congé- die Ponta-Tulli de telle façon qu'elle le retient. Elle finit par lui ménager un entretien avec Henriette, malgré la résistance désespérée d'Henriette, et nous découvrons, au cours de cette conversation, en même temps qu'ils le découvrent eux-mêmes, que c'est elle naguère qui a brouillé Henriette et Ponta- Tulli. Denis revient au plus fort du débat, demande à sa femme des explications qu'elle ne peut impro- viser, et tout se termine par des cris, par des injures, par une bataille entre les deux hommes. Henriette a enfin vu clair, et nous aussi, dans l'âme de Gabrielle. qui nous est révélée par cette série de coups de théâtre aussi sûrement, aussi précisément LE THÉÂTRE 1912-1913 259 que par une analyse à la façon des romanciers. Nous ne la connaîtrons cependant toute qu'à la fin, lorsque dans l'ardeur du remords, elle fera sa confession générale à son mari, au moment même qu'elle vient de dire que s'il soupçonnait son infamie et ses cri- mes, elle en mourrait et cette contradiction est d'une vérité admirable. Gabrielle est un monstre, qui, non par envie, non par jalousie vulgaire et humaine, mais par une effroyable malice innée, par sadisme, détruit autour d'elle le bonheur, dont la seule vue l'offense. Elle est la méchante », elle n'est pas vile, parce qu'elle n'est pas mesquine, et elle atteint à une sorte de grandeur par la monstruosité. Et ce qui lui vaut peut-être la miséricorde divine, ce qui lui vaut, à la fin, après le dégoût, la pitié de son mari, c'est qu'elle est, cette infâme créature, une créature capable d'aimer. Non seulement elle adore son mari, le seul à qui jamais elle n'ait fait aucun mal, mais elle aime ses victimes. Elle a vraiment aimé Henriette comme une sœur, et quand elle le lui dit, humblement, en se traînant à ses genoux, pour une fois la menteuse ne ment pas. Aussi, Henriette ne sera pas plus inflexible que Constant. Denis non plus ne sera pas inexorable pour Henriette, si peu coupable, et la tragédie s'achèvera dans la sérénité du pardon, sans que rien, vous pouvez le croire, n'en atténue jusqu'à la suprême minute et n'en gâte la magnifique âpreté. Je ne crois pas avoir vu depuis de longues années pièce mieux'jouée que le Secret. M me Simone est re- 260 LE THEATRE 1912-1913 venue d'Amérique plus maîtresse qu'elle ne le fut jamais de toutes les ressources de son art. Chose curieuse, après avoir, pendant plus de quatorze mois, joué uniquement en anglais, elle n'a plus au- cune de ces petites imperfections d'articulation et de débit que l'on pouvait auparavant lui reprocher. Sa voix est admirablement posée et nuancée, son jeu est précis, ses gestes sont nets et rares. Ce serait lui faire injure que de parler d'une intelligence qui est pres- que passée en proverbe. Quant à sa sensibilité, ce n'est pas au critique qu'il appartient de la contester ou de la défendre le public en a décidé ce soir, et son jugement ne sera pas réformé les jours suivants. Je doute qu'un seul des spectateurs du Secret puisse entendre ses cris de détresse sans être bouleversé. On ne saurait moins ressembler à M m ' Simone que M me Madeleine Lély, et elles sont égales. Depuis com- bien d'années n'avions-nous pas vu deux grandes artistes jouer ensemble ? Au lieu de se nuire, elles se font réciproquement valoir, et elles donnent une belle leçon aux autres étoiles, qui ne se soucient pas ordinairement de briller de compagnie. J'avoue que je me trouve à court d'épithètes pour louer MM. Claude Garry et Victor Boucher, dont la maîtrise a été bien proche de la perfection. M. Henry-Rous- sell a joué avec chaleur le rôle assez peu avantageux de Charlie Ponta, et M m ' Marcelle Josset fort bien aussi celui de la tante âgée, complaisante à son insu, chez qui se déroulent les terribles scènes du deu- xième et du troisième acte. LE THÉÂTRE 1912-1913 261 5 Avril COMÉDIE DES CHAMPS-ELYSÉES. — L'Exilée, pièce en quatre actes, de M. Henry Kistemaeckers. La nouvelle Comédie des Champs-Elysées est agréable et commode. Elle se trouve à plusieurs éta- ges au-dessus du sol ; mais en Amérique les salles de spectacles sont placées encore beaucoup plus haut. ; ce n'est une nouveauté que pour Paris. Des personnes bien informées m'expliquent le motif de cette élévation. Il y a, paraît-il, un autre théâtre dans le même immeuble je l'ignorais. A l'étage de M. Léon Poirier, le public est d'abord mis de belle humeur par l'excellent accueil qu'il re- çoit. Point d'ouvreuses, la mendicité est interdite, le service du vestiaire est fait par des domestiques cos- tumés. Le foyer est de petites dimensions, mais dé- coré de panneaux de M. Vuillard, fort beaux. Le ri- deau, de M. Roussel, est admirable, d'une composition classique, d'une vigueur de tons qui irrite et d'une harmonie qui enchante. Ce rideau est, à vrai dire, le seul ornement de la salle, et voilà qui est fort bien conçu. Lorsqu'on se tourne vers le fond, on est si rebuté par la nudité des balcons, si attristé par leur gris morne, et offensé par le rouge des lo- ges, qu'on n'a qu'une idée, c'est de se retourner au plus vite vers la scène si c'est pendant la représen- tation, et vers l'admirable rideau de M. Roussel si c'est pendant l'entr'acte. L'acoustique enfin de la 15. 262 LE THÉÂTRE 1912-1913 salle est d'une égalité parfaite ; il m'a paru qu'on entendait bien de partout, quand on entendait, et que, dans les moments où l'on entendait moins, les meil- leures places n'étaient pas privilégiées. Je pense que les interprètes de l'Exilée n'étaient pas encore accoutumés à la salle dont ils faisaient, hier soir, la première épreuve. Ils se sont mis peu à peu au diapason convenable, mais nous avons pres- que entièrement perdu une bonne moitié du premier acte. Cela n'a pas laissé de jeter quelque obscurité sur l'exposition, qui est faite, j'en suis persuadé, avec adresse, et qui n'a point paru l'être. La pièce a pu sembler aussi un peu compliquée elle est, au contraire, d'une simplicité extrême. Elle illustre cette thèse de psychologie, que les gens d'un même pays se doivent aimer entre soi, et qu'un jeune Français, par exemple, n'hésitera jamais à trahir une maîtresse étrangère, fût-elle princesse, quand le hasard met une Française sur son chemin. Henri Virey a même si peu d'hésitation à tromper la princesse Gina que nous en sommes un peu surpris, un peu choqués, et que nous aimerions bien voir plus avant dans son cœur. Mais nous sommes au théâtre, il ne s'agit pas d'analyse. Si vous me demandez comment cet Henri Virey se trouve à la cour de Goldavie », comment la com- tesse de Granviers-Charlieu et sa nièce, M lle Jacque- line de Téroines, s'y trouvent également, je crains de commettre quelque erreur, car c'est cela précisément que je n'ai pas bien entendu. Je crois que la com- LE THÉÂTRE 1912-1913 263 tesse de Granviers-Charlieu n'a pas de titre officiel, et qu'elle est surtout retenue dans une petite cour for- maliste et assommante par l'amitié qu'elle porte à la princesse Gina. Celle-ci est la femme de l'héritier, simple brute, à qui l'on ne saurait d'ailleurs repro- cher sa volonté bien résolue de sauver la couronne et la dynastie. Le frère cadet de l'héritier a des idées plus larges il est libéral, morphinomane, il a fait ses études de médecine à Paris. Henri Virey est un de ses camarades du Quartier, qu'il a fait venir pour instruire ou pour amuser les petits princes. Le jeune précepteur leur enseigne l'histoire de la Révolution. L'héritier le trouve mauvais et n'a peut-être pas tort. Virey, ce qui est plus grave, a noué des relations avec les chefs d'une émeute qui se prépare, et sert d'intermédiaire entre eux et le prince libéral, Léo- pold. Au moment où la pièce commence, Virey s'en est allé causer avec les révoltés, il ne rentre pas, et l'on s'inquiète. La superstitieuse Gina a cependant bon espoir, parce qu'elle voit comme un arc-en-ciel autour de la cigarette allumée de son beau-frère, et autour des bougies. Ce phénomène ne rassure point, mais trouble au contraire Léopold qui est médecin, et sur certaines questions qu'il pose à Gina, nous pressentons qu'il n'est pas impossible qu'elle de- vienne aveugle avant la fin de la pièce. Virey repa- raît enfin. Il a une scène d'amour avec Gina, à dis- tance, chacun de part et d'autre d'une porte grande ouverte. On peut les voir du salon de réception sans rien soupçonner de ce qu'ils disent, mais on n'a qu'à 264 LE THÉÂTRE 1912-1913 entrer au second plan pour Tes entendre. C'est ce qui arrive à M 11 * de Téroines, et nous devinons bien à son air qu'elle aime Virey, et qu'elle est désespérée d'ap- prendre qu'il est l'amant de la princesse ; mais ni Virey ni la princesse ne s'aperçoivent de rien. La Tière jeune fille garderait son secret si elle n'entendait, quelques minutes plus tard, l'âme dam- née de l'héritier, le policier Streck, ordonner à un garde de tuer Virey par accident, le lendemain, à la chasse. Elle jette sur ses épaules le premier manteau qu'elle trouve, et qui est justement un renard bleu appartenant à la princesse, et elle court avertir Vi- rey au milieu de la nuit. Virey comprend enfin que Jacqueline l'aime, puisqu'elle veut lui sauver la vie. Cette scène unique occupe tout le deuxième acte. Au troisième se produisent les divers coups de théâtre que ces préparations nous donnaient lieu d'espérer. Ce n'est pas pour rien que Jacqueline est allée chez Virey enveloppée d'un manteau de la princesse Gina Streck, toujours aux aguets, l'a vue sortir et l'a prise pour la princesse. Quand celle-ci veut sau- ver Virey qui vient d'être arrêté, Streck la dénonce à l'héritier, l'accuse d'avoir été la nuit chez le pré- cepteur. Elle découvre qu'une femme, en effet, y est allée, et que c'est Jacqueline. La révolution a éclaté dans le même temps. Toutes ces secousses hâtent le progrès du mal qui menaçait Gina, et elle est pres- que subitement frappée de cécité. Cette péripétie a pour objet de ménager, au der- nier acte, une scène un peu trop arbitraire peut-être LE THÉÂTRE 19121913 265 pour être vraiment touchante, mais enfin dramati- que. Gina a recouvré la vue à la suite d'une opéra- tion ; Virey et Jacqueline la croient toujours aveu- gle ; elle les torture en rappelant l'amour du passé a Virey, devant la jeune fille dont elle feint d'ignorer la présence, et elle ne se dément qu'à la minute où Jacqueline tombe évanouie dans les bras de Virey. Gina se souvient qu'elle est princesse et pardonne ; son mari le prince héritier ayant été fort à propos tué par les rebelles, et son beau-frère ayant abdiqué, elle deviendra officieusement la bienfaitrice et la pro- tectrice du royaume de Goldavie, dont Léopold sera le roi constitutionnel. La pièce de M. Henry Kistemaeckers a été remar- quablement jouée par M me " Marthe Brandès, Juliette Darcourt et Monna Delza, par MM. Gauthier, Ar- quillière, Maury, Henry Beaulieu, Arvel et Dumény. 7 Avril THEATRE FEMINA. — Eh !... Eh ... revue en deux actes, de MM. Rip et Bousquet. THÉÂTRE MICHEL. — Blanche Câline, comédie eu trois actes de M. Pierre Frondaie. Eh!... Eh!... la nouvelle revue de MM. Rip et Bousquet, est bien la plus amusante des pièces qui tiennent présentement l'affiche. Je suis fâché de l'avouer, car j'ai par principe horreur des revues 266 LE THÉÂTRE 1912-1913 mais la mauvaise foi a des limites et je ne peux pas m'empêcher de dire la vérité, quand on m'a fait rire sans désemparer pendant trois heures d'horloge. La revue de MM. Rip et Bousquet n'est pas seulement très amusante, elle est de la plus jolie qualité d'es- prit. Enfin, c'est une espèce de chef-d'œuvre. Je trouve immoral qu'un genre de théâtre aussi peu relevé prête au chef-d'œuvre, mais on n'y peut rien. Les auteurs de ce scandale ne se contentent pas, comme certains fabricants, de mettre leurs scènes bout à bout, de les assaisonner d'ordures, et d'inju- rier leurs plus notables contemporains. Ils ont souci de la composition, de l'art. Ils ont de la probité, et le respect de leur travail. Ils sont ingénieux ; leur esprit s'accommode exactement à la besogne théâ- trale qu'ils ont entre toutes préférée et choisie. Tout ce qu'ils voient, ce qu'ils observent, semble prendre de soi-même chez eux figure de scène de revue de même tout ce qu'Ovide, poète trop facile, tentait d'écrire, prenait forme de vers. Je ne veux point dire que MM. Rip et Bousquet ont trop de facilité ; je ne sais même pas s'ils ont de la facilité, c'est leur secret. Ce qui paraît, c'est qu'ils ont reçu du ciel un don singulier ils sont nés créateurs de revues ; et cela n'est peut-être point un magnifique privilège, ni même très enviable ; c'est du moins une originalité, il n'en faut dédaigner aucune, et il ne faut jamais omettre de louer très haut celui qui est passé maître en son métier. Un des mérites de MM. Rip et Bousquet, et, je LE THÉÂTRE 1912-1913 267 crois, une des raisons de leur succès, est qu'ils ne sont pas très méchants ni très cruels, ou qu'ils ont l'intelligence de l'être de moins en moins. Ils ne sont même pas très insolents, mais ils en ont l'air c'est l'essentiel. Ils sont plutôt effrontés ; et comme c'est une épithète qu'on n'attribue d'ordinaire qu'aux pa- ges, on est tenté de trouver leur verve très jeune par association d'idées. Elle est surtout très franche ; ils sont gais, c'est un cas presque unique les auteurs comiques ne sont presque jamais gais ; parmi ceux du répertoire, en citerez-vous un autre que Beaumar- chais qui ait jamais ri de bon cœur ? Enfin, MM. Rip et Bousquet ont osé, je crois, les premiers, faire de grandes scènes amplement développées, au lieu de ces bouts de scène de rien du tout que les autres nous servent. Ces grandes scènes nous font juger que les ressources de leur invention sur un seul sujet sont vraiment inépuisables, et elles mettent aussi bien mieux en valeur le talent des interprètes. Il faut, par exemple, que ces interprètes soient de premier ordre pour tenir le coup ; mais MM. Rip et Bous- quet, qui avaient hier soir toutes les chances, n'ont rencontré en effet que des interprètes de premier ordre. M. Signoret, qui jouait naguère, avec un ta- lent si mesuré, si juste, si fin, Y Assaut d'Henry Bern- stein et les Eclaireuses de Maurice Donnay, a joué trois des grandes scènes dont je parlais tout à l'heure avec une puissance extraordinaire de comique et même de burlesque, avec la plus brillante et la plus libre fantaisie. Voilà un enseignement pour tous les 268 LE THÉÂTRE 1912-1913 comédiens. Qu'ils soient bien certains que l'on n'a droit à la fantaisie qu'après avoir passé à l'école de la vérité, et que les talents les plus affranchis sont aussi toujours les plus disciplinés. M lle Edmée Fa- vart a chanté avec l'art le plus fin, le goût le plus sûr et une voix délicieuse, des refrains déjà un peu anciens, que l'on ne nous avait pas chanté si bien depuis Judic et Granier. L'on a souvent parlé, en ces derniers temps, de la résurrection de l'opérette française il est impossible qu'elle ne ressuscite point, quand nous avons une chanteuse d'opérette comme M lle Edmée Favart. M" e Régine Flory a dansé, et elle a plu. Sa danse de Cléopàtre, si déshabillée qu'elle soit, est beaucoup plus décente que ce qu'on danse dans les salons de la meilleure société. J'ai à peine besoin d'ajouter qu'elle a un caractère d'art qui manque tout à fait au pas de l'ours. Je crains que Blanche Câline ne soit pas la meilleure pièce de M. Pierre Frondaie. Mais l'auteur, qui est doublement homme d'esprit, avait pris d'avance sa revanche avec l'Homme qui assassina, et cela ne l'empêchera point sans doute de prendre une revan- che de plus un jour prochain. Blanche Câline c'est un surnom, Blanche Câline est une petite fille du peuple, modeste et tendre. Elle a pour amant un tout jeune peintre, dépourvu de talent, très joli garçon, point méchant, mais faible, capable de toutes les fai- blesses. Un homme fort la rencontre par hasard, LE THÉÂTRE 1912-1913 269 tombe amoureux d'elle et devient son protecteur, sans plus. Les deux amants, Blanche et André, s'aiment sous son nez avec une naïveté entière, et il les laisse faire, ne voulant causer aucune peine, même légère, ni à l'un ni à l'autre. Mais André se conduit fort mal. Dans un instant de détresse, au lieu de travailler, il emprunte vingt-cinq louis à une actrice qui le trouve bien physiquement et ne le lui a pas envoyé dire. Blanche Câline est indignée de ce procédé. Laforêt le protecteur jusque-là désintéressé veut délivrer Blanche de ce petit... comment dire? Il l'enlève, et cette fois la revendique pour lui, du droit qu'ont les hommes forts de prendre tout, même leurs femmes, aux hommes faibles. C'est ce qu'il explique avec un peu de solennité à André, qui vient réclamer Blan- che. Si vous ne me la rendez pas, je me tuerai ! » dit André. Voici un revolver », dit Laforêt. André est un peu gêné sur le moment, cela se conçoit, mais enfin il ne peut décemment pas se dispenser de pren- dre le revolver qu'on lui tend, et comme il n'est pas seulement faible, mais maladroit, il fait partir le coup sans le vouloir. Le plafond seul est atteint. La pièce de M. Pierre Frondaie est bien jouée par MM. Gaston Dubosc et André Lefaur. M. Bené Mau- pré ne manque ni de sincérité ni d'inconscience. M m * Michelle a beaucoup de charme, de naïveté, d'émo- tion, et une physionomie fort, intéressante de comé- dienne dramatique. M me Lucienne Guett a donné une belle allure a la maîtresse brillante que Laforêt 270 ix THÉÂTRE 1912-1913 quitte un peu brusquement pour la douce et humble Câline. 10 Avril THEATRE ANTOINE. — Le Chevalier au Masque, pièce en cinq actes et six tableaux, de MM. Paul Armont et Jean Manoussi. On a fait à la nouvelle pièce du théâtre Antoine une sorte de publicité assez étrange on nous a pré- venus que c'est une pièce d'été. Comme ni le calen- drier ni le thermomètre ne nous permettent point de croire que la belle saison soit venue, j'imagine que ces mots pièce d'été », ont un sens mystérieux, ou- tre leur signification usuelle, et je redoute même que ce sens mystérieux ne soit péjoratif. On entend peut- être par pièce d'été une pièce dépourvue de grandes ambitions, qui ne vise qu'à divertir un public com- mode et bon enfant ? Ce ne sont pas toujours celles- là qui réussissent le moins, et le Chevalier au Masque en serait donc le modèle, car il est fort divertissant, il a parfaitement réussi, et il pourrait bien se laisser jouer jusqu'au retour de la vilaine saison. Les au- teurs n'ont affiché qu'une prétention, qui est de faire quelque chose de neuf dans le genre historique, de n'emprunter à l'histoire que le cadre et les décors, et d'inventer entièrement les personnages et l'action. Je ne leur cacherai pas que cela ne me paraît point si neuf. C'est un procédé familier à la plupart des ro- LE THÉÂTRE 1912-1913 271 manciers et dramaturges historiques. Ils évitent au- tant que possible d'employer les événements connus, qui ne peuvent procurer aucune surprise à des lec- teurs ou à des spectateurs instruits — et qui n'est instruit par le temps qui court? MM. Paul Armont et Jean Manoussi n'ont pas d'ailleurs appliqué à la rigueur leur principe, puisqu'ils mettent en scène Bonaparte et Fouché, que le sujet de leur drame est une tentative d'enlèvement du Premier Consul en 1802 et que nous savons tous qu'on ne s'est débarrassé définitivement de lui qu'en 1821. Mais cela ne nous empêche pas du tout de nous intéresser au complot, de nous demander avec anxiété et même avec an- goisse s'il aboutira. Nous croyons que c'est arrivé, voilà le miracle du théâtre. MM. Paul Armont et Jean Manoussi sont des hommes de théâtre. Leur pièce est une excellente pièce de théâtre. Je n'en veux qu'une preuve elle est effroyablement compliquée, et cependant elle semble claire à la scène ; je parie que, si je vous la raconte, vous n'y comprendrez plus rien. Je vais cependant essayer. Voici Le chevalier de Saint-Genest, de son métier cons- pirateur royaliste, s'occupe particulièrement de sé- questrations et suppressions de personnes. Il excelle à enlever un haut fonctionnaire, même environné de ses satellites. Il rêve de s'en prendre à Bonaparte lui-même, et pour détourner les souçons sur une autre personne c'est l'enfance de l'art, il suppose, il suscite un faux Saint-Genest que l'on arrêtera a sa place. Il pousse même la perversité jusqu'à instruire 272 LE THÉÂTRE 1912-1913 la police de l'existence de ce faux Saint-Genest, qui aurait formé le dessein d'enlever le préfet d'Evreux. Une police bien avertie en vaut plusieurs. Celle de Fouché fait tout ce qu'une police peut faire, du moins au théâtre, pour empêcher un coup de théâtre amu- sant. Elle n'arrive qu'à faire coup de théâtre double. Le faux Saint-Genest qui est beau, jeune, brave s'introduit dans la préfecture, et enlève le préfet. Mais le préfet n'était pas le préfet. C'était un agent de Fou- ché, Brisquet. Le faux Saint-Genest, au lieu de servir les projets du vrai Saint-Genest, les a déjoués ; le vrai Saint-Genest veut se débarrasser de lui par le même moyen que précédemment, et va lui confier une mission non moins périlleuse que l'enlèvement du préfet, après avoir dûment averti la police, de sorte que cette fois-ci il soit bien pris, jugé sommai- rement et exécuté. Mais j'ai dit que le faux Saint- Genest — je ne sais pas en vérité pourquoi je ne l'appellerais pas par son nom Hubert de Trévières — j'ai dit que Trévières était beau, qu'il était jeune, qu'il était brave. Il est donc aimé. Mlle Laurette de Clamorgan, fille de l'un des principaux complices de Saint-Genest, aime Trévières elle lui révèle la machination dont on veut le rendre victime. Hubert s'indigne, puis fait bien mieux que s'indigner il veut damer le pion à son sosie, et pratiquer lui- même l'enlèvement du Premier Consul. Il se dé- guise en hussard, se trouve seul dans la rue avec Bonaparte, et au moment juste que l'autre Saint-Ge- nest, le vrai, tente son coup. Ici, par un revirement LE THÉÂTRE 1912-1913 273 soudain, le chevaleresque Trévières se fait le défen- seur du Premier Consul menacé ; il est touché de la grâce bonapartiste ; il sauve l'homme providen- tiel. Bonaparte est reconnaissant il promet les plus hautes destinées à Trévières, et à Mlle Laurette de Clamorgan, que le conspirateur repenti ne va point manquer d'épouser. Le vrai Saint-Genest est moins excusable mais l'on s'aperçoit à propos que c'est une femme travestie, et l'on s'empresse de lui ren- dre la liberté. J'allais oublier de dire que Fouché, après de longues hésitations, accepte le ministère de la police ; mais il fallait s'y attendre. J'ai dû omet- Ire aussi dans ce compte rendu sommaire cent dé- tails amusants, et notamment une foule d'évasions. On ne cesse point de s'évader dans cette pièce. On s'y évade comme à la Santé. M. Gémier ne paraît qu'au dernier acte ; il ne s'en est pas moins donné la peine de composer, de la façon la plus curieuse et la plus authentique, la figure de Fouché. M. Saillard ne ressemble pas phy- siquement à Bonaparte ; mais il en joue le rôle avec tant de conviction, qu'on ne peut s'empêcher de croire qu'on voit le Premier Consul en personne. On sent également que M. Candé ferait n'importe quoi pour son roi et pour son Dieu. M. Escoffier Hubert de Trévières, est un aventurier séduisant. M me Germaine Dermoz a de la beauté, de la gran- deur d'âme et une bien belle voix. M lle Jeanne Fusier est intrépide et charmante, et M m * Alice Aël a beau- coup d'esprit. 274 LE THÉÂTRE 1912-1913 12 Avril THÉÂTRE DE L'ŒUVRE. — La Brebis égarée, pièce en trois actes et un prologue de M. Francis Jammes. THEATRE DES ARTS. — Les Deux Versants, pièce en trois actes de William Vaughan Loody, traduction de Mme Madeleine et de M. Louis Cazamian. Mis en goût par le grand et légitime succès de V Annonce faite à Marie, M. Lugné-Poë nous a don- né hier soir un nouveau spectacle de caractère chrétien, la Brebis égarée, de M. Francis Jammes. M*. Lugné-Poë est un directeur avisé, bien qu'il ne dirige qu'un théâtre intermittent. Il sait d'où le vent souffle. Je crois pourtant que cette fois il s'est trom- pé. J'aperçois une petite différence entre M. Paul Claudel et M. Francis Jammes, c'est que M. Paul Claudel a peut-être du génie. Il a sûrement de la littérature, du style, un tempérament puissant et riche. M. Francis Jammes n'a que la foi elle ne dé- place pas toujours les montagnes. M. Francis Jammes a dit de son propre style qu'il balbutie. Je le trouve indulgent. Il a l'habitude fâ- cheuse de parler à ses lecteurs, ou aux spectateurs, le langage dont usent les nourrices quand elles veulent agacer leurs poupons. Lorsqu'il élève le ton, M. Francis Jammes atteint assez ordinairement à l'éloquence d'un prédicateur de catéchisme ; mais nous avons passé l'âge de la première communion. Nous savons aussi faire la distinction de la naïveté LE THÉÂTRE 1912-1913 275 et de la niaiserie. Nous concevons que les amis et les admirateurs de M. Francis Jammes comparent ses petits vers à ceux des vieux noëls de France, mais nous ne saurions nous empêcher, n'étant point aveuglés par une admiration amicale, de leur trouver infiniment plus de ressemblance avec ces autres petits vers qui courent à l'entour des mirlitons. Après un interminable prologue de cette poésie, où la Brebis égarée s'entretient avec la Femme adul- tère, bien que cette femme et cette brebis ne soient qu'une même personne, M. Francis Jammes nous conte, en une série de petits actes étriqués, l'aven- ture édifiante d'une jeune femme qui abandonne son pieux mari pour faire un petit tour en Espagne, avec un amant non moins pieux. Cette communauté de foi arrange tout au dénouement il suffit de l'inter- vention d'un capucin. Le rôle de ce religieux a été interprété avec beaucoup de vérité par M. Lugné- Poë, qui n'a pas été moins remarquable dans un rôle de brocanteur. L'heureux événement de la soi- rée a été la révélation de M me Gladis Maxhance. Quant à M. Francis Jammes, la représentation de la Brebis égarée n'ajoutera rien à sa gloire, qui est universelle comme la plupart des gloires mécon- nues, mais elle lui fera certainement la meilleure publicité. La pièce du théâtre des Arts, jouée te même soir, nous offre un choix de personnages plus sanguine 27b' LE THÉÂTRE 1912-1913 et moins falots que ceux de M. F" rancis Jammes. Malheureusement, ils ont aussi des âmes, et comme ces âmes sont primitives, elles manquent parfois de simplicité. Ruth Ghent a beau vivre au désert, ses sentiments nous paraissent aussi peu explica- bles que ceux de maintes héroïnes d'Ibsen. \ous avions été charmés au premier acte de l'adresse et de l'énergie dont elle use pour n'être pas violée par trois sauvages, mais seulement enlevée et, s'il vous plaît, épousée par le mieux dégrossi des trois. Il nous a paru qu'ensuite elle mettait un peu trop de temps à pardonner ce rapt, légitimé par le mariage, et qu'elle discourait un peu trop. Heureusement la venue d'un enfant, d'un bébé, comme dirait M. Jam- mes, arrange tout au troisième acte, et le dénoue- ment de cette pièce frénétique est presque aussi attendrissant que celui de la Brebis égarée. Les décors des Deux Versants sont de M. Maxime Dethomas. Ils sont fort curieux et fort beaux. La pièce est très bien jouée d'ensemble, et surtout par M. Janvier. 17 Avril THÉÂTRE NATIONAL DE L'ODÉON. — La Rue du Sen- tier, comédie en quatre actes de MM. Pierre Decour- celle et André Maurel. Comme il y a plus de choses au ciel et sur la terre que les philosophes n'ont coutume d'en aper- LE THÉÂTRE 1912-1913 277 cevoir, il y a aussi dans La société maintes espèces qui échappent ordinairement aux naturalistes, aux observateurs qualifiés des mœurs, je veux dire aux romanciers et gens de théâtre, — ou qui ne les inté- ressent que de loin en loin. Certes, un Balzac, un Zola s'avisent qu'il est des hommes doués d'une sen- sibilité humaine parmi ceux qui exercent les profes- sions libérales, ou même qui pratiquent les métiers serviles. Mais la littérature, après des incursions en fin de compte assez rares dans le domaine de cette humanité-là, se hâte toujours de revenir à l'é- tude de l'homme et de la femme du monde, que Paul Hervieu a si ingénieusement comparés aux rois et aux reines de tragédie, et qui ont en effet remplacé, pour la commodité de nos psychologues, les person- nages dématérialisés, les types abstraits de notre lit- térateure classique. Le haut commerce est, je crois, celle des classes de la société présente que nos ro- manciers et nos dramaturges ont le plus résolument et le plus iniquement négligée. On nous a montré quelquefois les grands industriels et leurs épouses détraqués par l'excès de richesse et de luxe, et qui font la fête on n'a guère pris la peine de nous les faire voir à l'état normal. Les œuvres que la Rue du Sentier a pu nous rappeler, hier, par instants, sont déjà anciennes. C'est Fromont ieune et Rister aîné, ce livre charmant, où l'on trouve, avec tout le savoir- faire de Daudet, toute la sensibilité de Dickens ; c'est Serge Panine je cite le livre et la pièce de M. Georges Ohnet qui appartiennent plutôt à la 16 278 LE THÉÂTRE 1912-1913 littérature d'études mondaines, pour le beau carac- tère de femme de tête, de commerçante retirée et enrichie, si net, si parisien, si français, et rendu par M. Georges Ohnet avec un art peut-être un peu rude, mais puissant. La plus belle parure de la Rue du Sentier est un caractère de femme justement de même naturel et de même valeur. Ce qui peutrêtre aussi m'a suggéré le souvenir de Serge Panine, c'est que Mme Grumbach, qui interprète le rôle de Mme Morisset, rapelle Mme Pasca, et non pas seu- lement par la beauté farouche du masque. Le drame naît de l'antipathie de Mme Morisset et de sa bru. Mme Morisset, veuve, a deux fils ; l'un, le cadet, Théodule, fait des bêtises ; l'autre, l'aîné. Julien, est le modèle des fils et des commerçants. Il est l'associé de sa mère, mais elle reste la vraie, la seule patronne du Mûrier d'Argent, et, comme on l'appelle, la grande patronne. Julien est peu sédui- sant, timide, il passe pour faible. Il témoigne cepen- dant en maintes occasions, une véritable force de vo- lonté; il prouvera, au moins à deux reprises, qu'il est bien le fils de cette mère. M me Morisset veut, pour un anniversaire, offrir une fête à ses employés ; elle s'adresse à un vieux cabot, Labourdette qui se nommerait aussi bien Delobelle, et qui dirige un conservatoire d'amateurs. Elle retrouve là une amie d'enfance. M™ Herbelin, qui a vécu en cigale, tandis qu'elle-même suivait l'exemple de la fourmi. M"* Herbelin a une fille, Catherine, qui se destine au théâtre, et qui fut naguère l'amie d'enfance de Ju- LE THÉÂTRE 1912-1913 279 lien Morisset, sa compagne de jeux, son premier rêve. Les jeunes gens se retrouvent, comme tout à l'heure les deux mères ; mais, dans l'intervalle, plu- sieurs messieurs, qui représentent la peinture, la puissance de l'argent, celle du journalisme et celle de la publicité, ont fait entendre assez brutalement à Catherine qu'elle n'a aucune chance de parvenir si elle leur résiste. La pauvre fille, qui est naïvement honnête, se trouve toute désemparée ; son ancien petit amoureux survient à propos ; et quand il lui offre de la sauver par le mariage, elle est éperdue de joie, de reconnaissance, mais aussi de peur la terrible M me Morisset consentira-t-elle jamais à ma- rier son fils, l'héritier du nom, avec une comédienne, même repentie ? La grande patronne, en effet, ne consent point, et c'est ici que le faible Julien montre qu'il n'est pas si faible. Il menace sa mère des actes respectueux et d'une liquidation. M m * Morisset, ulcé- rée, cède, d'assez mauvaise grâce, et non point ce- pendant sans bonté. Elle est impérieuse et dure, elle n'est point sèche. Elle fait son possible, du moins pendant l'entr'acte, pour s'entendre avec sa bru leurs natures sont trop diverses. Catherine a un peu d'esprit, un peu de culture, une élégance bien innocente, mais effrayante. Catherine lit des romans elle les choisit bien, elle aime Madame Bovary la grande patronne ignore Madame Bo- vary, mais devine que c'est une lecture dangereuse pour une femme indépendante, déplacée dans le milieu bourgeois, et qui s'ennuie. Mme Moris^l. 280 LE THÉÂTRE 1912-1913 qui n'a jamais eu le temps même de s'amuser, croit que l'ennui est un péché elle n'a pas tort ; cette grande patronne m'inspire beaucoup de sympathie. Elle n'a pas raison de monter Julien contre Cathe- rine, mais elle a peut-être des raisons. Catherine, à force de s'ennuyer, cherche des divertissements, qui ne sont pas encore coupables, qui sont déjà inquié- tants. Elle n'aime d'amour que son mari, mais elle a trop d'amitié pour le peintre du premier acte, Vilfroy. Julien se défend mal, il est tiraillé entre sa mère et sa femme. Il fait une scène mal justifiée, et Catherine commet une inconséquence elle vient à cinq heures, seule, chez Vilfroy, qui peint des choses médiocres dans un magnifique atelier aux environs du parc Monceau. Toutes ces péripéties, bien ménagées, manquent peut-être d'imprévu, mais voici une situation neuve, et qui assurera, je pense, le succès de la Bue du Sentier. Catherine est à peine arrivée chez Vil- froy, que l'on apporte au peintre une lettre un ano- nyme lui donne avis que M me Morisset et Julien viennent surprendre Catherine chez lui. Us attri- buent cette lettre au cadet, Théodule c'est le mari lui-même qui l'a écrite. Il croit que sa femme le trompe, mais il a voulu lui épargner l'humiliation d'être prise sur le fait par la belle-mère. Catherine s'envole. Mme Morisset reconnaît son erreur et est obligée de s'excuser. Julien revient sans elle deux minutes plus tard, avoue son subterfuge et demande raison à Vilfroy. Ce Vilfroy n'est pas un méchant LE THÉÂTRE 1912-1913 281 homme. Il sent bien que Julien et Catherine s'aiment toujours. La grandeur d'âme du mari le touche. Il jure que Catherine n'a jamais été sa maîtresse, et engage lui-même Julien à une réconciliation que le beau trait de la lettre rendra facile. Elle n'est point si facile, et le dernier acte commence par des mena- ces de divorce ; mais il s'achève, comme nous n'avions jamais cessé de l'espérer, par un dénoue- ment heureux, honnête, et de plus parfaitement vrai- semblable. La mise en scène est juste, souvant amusante. J'ai déjà dit qu'il faut admirer M me Grumbach. M ,Ie N'ory, qui a tant de grâce, a aussi beaucoup de force. M. Vargas est vraiment un comédien du premier rang, plein de goût et de mesure, d'une sensibilité pour ainsi dire secrète. M. Grétillat a bien joué le rôle de Vilfroy mais il semble que le costume moderne l'étonné un peu. C'est un membre de Y Epa- tant qui ressemble au bouillant Achille ou à T'Atrid^ Agamemnon, roi des rois. 24 Avril COMEDIE-FRANÇAISE. — Riquet à la Houppe, comédie féerique en quatre actes, en vers, de Théodore de Ban- ville. — Venise, comédie en un acte, en prose, de MM. Robert de Fiers et G. -A. de Caillavet. Je ne serais pas étonné d'apprendre que les jeunes poètes d'aujourd'hui méconnaissant Théodore de dfi. 282 LE THÉÂTRE 1912-1913 Banville. Je n'en serais pas bien attristé non plus. On lui rendra justice un jour ou l'autre, bientôt. On le relira, quand on aura tout doucement perdu l'habitude de croire que Théophile Gautier est im- peccable et que Leconte de Lisle est intéressant. On s'apercevra qu'il est l'un des deux grands poètes de sa génération, et que l'autre est Baudelaire. On s'a- percevra aussi qu'il ne faut point le flétrir des épi- thètes de parnassien et de virtuose. Sans doute, il a rimé ; il a tranché d'un mot la question des licences poétiques en disant qu'il n'y en a point ; il a écrit Le plus simple est d'avoir du génie », et je ne ju- rerais pas qu'il eût du génie ; mais il eut infiniment de poésie et d'esprit ; et ce fut un virtuose d'un genre singulier le virtuose sceptique. Il sourit et il joue de sa perfection, mais il est parfait. Il est virtuose comme Renan est religieux. Sa poésie res- semble à celle des anciens, parce qu'elle est d'une beauté merveilleuse et à la fois d'une charmante familiarité. Elle est divine à portée de la main. Elle est divinement puérile ; et je ne crois pas qu'aucun de nos contemporains soit jamais arrivé, en s'y efforçant, à être aussi enfant que cet Anacréon parisien ; mais la puérilité de Banville n'est pas aux dépens de son intelligence ni de sa malice ; elle n'est pas sotte, ni niaise ; elle n'est pas une de ces maladies qu'on ferait bien d'aller soigner dans un sanatorium. On découvrira ausi, un jour, que ce poète est un excellent homme de théâtre, comme Musset, comme LE THEATRE 1912-1913 283 tous les vrais poètes. Je viens d'en faire l'épreuve. J'ai voulu lire son Riquel à la Houpe avant de le voir jouer. L'avouerai-je ? J'ai été d'abord désen- chanté. Je suis arrivé à la Comédie-Française pré- venu ; et dès les premiers vers, j'ai été saisi de voir comme cette fantaisie, comme cette poésie se réali- sait sur les planches pour quoi elle semble si peu faite, comme ces personnages de rêve prenaient de la substance et de la vie, comme tout passait la rampe. J'avais craint d'entendre réciter, en guise d'hommage à un vieux poète glorieux, un poème un peu morne, un peu traînant, un peu ennuyeux ; et j'assistais à une véritable pièce, pleine d'action et de mouvement, amusante ! Je ne saurais guère, cependant, la raconter. Vous connaissez, d'ailleurs, le conte d'où elle est Urée. 11 est vrai qu'elle ne lui ressemble guère. Elle est plus significative et plus profonde, et avec cela, chose curieuse, d'une naïveté certainement plus naturelle et plus sincère. Le roi Myrtil, dont le trésor est à sec, vit parmi les dé- combres de son château. Son fou Clair de Lune, son page Zinzolin, lui-même, sont vêtus de haillons ; les fleurs libres ont envahi ses parterres et transformé ses jardins à la française en un parc anglais. Sa fille Rose est plus belle que les roses ; mais hélas, elle est bête comme une oie. Le prince Riquet à la Houppe la vient demander en mariage il est affreux, il est borgne, il est bossu ; elle pousse des cris d'ef- froi ; elle aimerait mieux, à la rigueur, le joli écuyer Luciole. Riquet à la Houppe tombe amoureux de 284 LE THÉÂTRE 1912-1913 Rose et se désespère. La fée sa marraine lui ensei- gne qu'il ne faut jamais désespérer quand on a de l'esprit. Il lui suffit de débiter à la princesse quel- ques vers délicieux pour éveiller cette intelligence qui sommeillait ; et soudain, comme par miracle, voilà que Rose sait tout. Elle lit, elle chante, elle raisonne. Les prétendants accourent. Elle les dédai- gne, et par pitié d'abord, puis par reconnaissance, puis par amour, c'est le hideux Riquet à la Houppe qu'elle choisit. Mais comme l'amour de Riquet a donné l'esprit à Rose, l'amour de Rose donne à Ri- quet la beauté — du moins dans une certaine me- sure, ajoute le poète, qui tient à sauver la vraisem- blance. La pièce est montée avec un peu trop de luxe, et peut-être un peu trop bien jouée. L'excès en tout est un défaut. M. Georges Berr est un très admira- ble Riquet, mais je crains qu'il n'ait vu le rôle trop grand. Du moins dit-il les vers à la perfection je ne ferai pas le même compliment à tous les inter- prètes. M. André Brunot est un Clair de Lune aima- ble et réjoui ; M. Croué est du meilleur comique en roi Myrtil ; M. Guilhène est tout à fait agréable en écuyer Luciole et M me Berthe Bovy, en page Zin- zolin, a égayé à plusieurs reprises toute la salle par ses mimes, par sa drôlerie, par son intelligence futée. Après Riquet à la Houppe, la Comédie-Française nous offrait une pièce en un acte. Venise, de MM. Robert de Fiers et Gaston de Caillavet. J'écrivais LE THEATRE 1912-1913 285 dernièrement, à propos de la reprise du Détour, que les critiques aiment bien de préférence les pièces de début d'un auteur ultérieurement arrivé. Il y a une autre petite perfidie du même genre qui consiste à préférer leurs saynètes, au détriment de leurs pièces en trois, quatre ou cinq actes. Je n'userai pas de ce procédé envers MM. Robert de Fiers et Gaston de Caillavet, et je n'irai pas crier par-dessus les toits que Venise vaut mieux que V Habit vert ou Primerose ; mais aucune considération ne m'empê- chera de dire que c'est une petite œuvre exquise, et qu'après celle de Banville, qui nous préparait à la sévérité, elle nous a procuré le plaisir le plus déli- cat. Venise ne se passe point à Venise, comme la Semaine folle que donne présentement l'Athénée, et dont je ne saurais, pour des raisons de modestie, dire moi-même tout le bien que j'en pense. Mais, comme dans la Semaine folle, il est fort question de l'atmosphère de Venise. Henriette n'a jamais trompé Georges, son mari, non par excès de moralité, mais parce que ses flirts ne lui ont jamais parlé d'amour dans un décor approprié. Et voici qu'à l'instant même où un nouveau candidat, Max, se déclare, on apporte un tableau que Georges qui est amateur vient d'acheter. Ils ne savent pas d'abord trop bien ce que cela peut représenter. Puis ils voient à peu près que c'est Venise, ils croient y être, et naturelle- ment tout ce qui s'ensuit. Georges revient juste à temps pour les calmer et leur apprendre que le tableau est une étude de Billancourt pendant les 286 LE THÉÂTRE 1912-1913 inondations. Max est expédié aussitôt. Henriette reste seule avec son mari et le fait parler de Venise. Il n'en parle pas plus mal que Max, les deux époux fredonnent ensemble sole mio, et le rideau tombe assez précipitamment. Cette très jolie pièce est joué à ravir par M.™ Ma- rie Leconte, M. Georges Le Roy et M. Numa. 29 Avril VAUDEVILLE. — Les Honneurs de la Guerre, comédie en trois actes, de M. Maurice Hennequin. On ne se marie pas pour s'amuser, du moins les hommes. Le comte Frédéric de Cermoise, qui aspire au repos, a voulu épouser une vraie jeune fille, et comme elles deviennent rares à Paris, il l'est allé chercher au fin fond de la Bretagne, à Quimper. Yvonne de Kersalec ne sait rien de la vie ; mais c'est justement pourquoi elle ne demande qu'à s'instruire. Rien ne lui paraît si neuf ni si enivrant que de se coucher à trois heures du matin. Elle prend goût aux restaurants de nuit, et quand elle a fini de souper à l'aube, elle veut encore aller faire un petit tour au Bois. Nul ne lui paraît plus beau, plus élégant, plus spirituel, et homme du monde plus accompli, que Stanislas de Pressigny, surnommé Cotillon Premier ce surnom seul me dispense d'en dire plus long. LE THEATRE 1912-1913 287 Cotillon Premier lui enseigne la valse chaloupée, elle se pâme entre ses bras ce n'est qu'une figure de chorégraphie, mais indicative d'un danger pro- chain, et Frédéric de Cermoise, outre l'ennui de ne se jamais coucher à dix heures, a une crainte affreuse d'être cocu. Il ne veut point l'être, il préférerait de divorcer à temps. Vous avez bien deviné qu'il aime Yvonne et qu'elle l'aime. Mais il n'en sait rien, ni elle. Il croit qu'il perdrait sa femme sans douleur, il appréhende seulement d'être ridicule. Or, ce n'est pas tout de divorcer, encore faut-il se tirer de cette épreuve avec les honneurs de la guerre ; et c'est comme à qui perd gagne quand on est condamné pour avoir trompé sa femme, cela est honorable ; lorsque l'on fait pour ainsi dire authentiquer par les tribunaux son propre cocuage, c'est le désastre. Aussi, Frédéric de Cer- moise a beau surprendre chez Cotillon Premier Yvonne, qui n'y faisait d'ailleurs point de mal, il refuse de porter plainte, et veut se faire à son tour surprendre par elle. La naïve jeune femme est tou- chée de cette générosité, qui nous paraît suspecte, d'autant que nous savons à quoi nous en tenir, Cer- moise ayant parié devant nous vingt-cinq louis avec un sien ami qu'il obtiendrait les honneurs de la guerre. M ma de Cermoise va donc chercher le com- missaire n'oublions pas que nous sommes chez Cotillon, mais on lui a dit simplement de passer dans la pièce voisine on le fait tourner comme un toton. 288 LE THEATRE 1912-1913 M. de Cermoise s'est muni d'une comparse pour le flagrant délit. C'est une aimable petite modiste, Francine Leroy, qui fait de très jolis chapeaux ; mais, comme elle les aime trop, et qu'au lieu de les livrer à ses clients elle les porte, son commerce languit. Au cours de l'entretien, elle avoue à Cer- moise qu'elle n'est pas noctambule et qu'elle se couche volontiers à dix heures ; il commence de concevoir pour elle un sentiment sérieux. Puis, il est pincé, successivement, par son beau-père, le marquis de Kersalec, et par sa belle-mère, la mar- quise, lesquels arrivés de la veille à Paris, croient naturellement que c'est leur gendre qui fait la fête et ne soupçonnent point que c'est leur fille. Le com- missaire survient c'est un ancien croupier de l'Epa- tant, qui connaît Cermoise. Il n'en rédige pas moins son procès-verbal, et les Kersalec, bons chrétiens, sont suffoqués d'apprendre que leur fille veut di- vorcer. Ils la maudissent. Ils lui rouvrent leurs bras, au début du troisième acte, quand elle leur annonce qu'elle a déchiré le procès-verbal et qu'elle ne divorcera point. Les Ker- salec imaginent qu'elle s'est rendue à leurs bonnes raisons. Ce n'est point tout à fait cela. Dans l'inter- valle, elle a rencontré l'ami qui venait payer à Fré- déric les cinq cents francs du pari. Cotillon Premier lui a, de plus, expliqué l'état d'âme de son mari et le titre de la pièce. C'est elle qui veut avoir les hon- neurs de la guerre. Elle pardonne à l'époux censé infidèle, et elle installe Cotillon-Stanislas de Près- LE THÉÂTRE 1912-1913 signy dans sa chambre et dans son lit. M. de Cer- moise s'empresse d'installer dans son lit et dans sa chambre la jolie Franchie Leroy. M. et \l me de Ker- salec, qui n'ont jamais rien vu de pareil en Breta- gne, sont atterrés. La situation est, comme on dit, trop tendue pour durer plus longtemps ; et, en effet, elle ne dure point. Mme de Cermoise, quand elle voit son mari embrasser la modiste du côté cour, ne peut plus maîtriser sa jalousie ; M. de Cermoise ne peut da- vantage maîtriser la sienne quand il voit sa femme embrasser M. de Pressigny du côté jardin, et dès lors le dénouement est acquis. C'est un vaudeville bien construit, un peu trop bien, et trop symétrique mais c'est un vaudeville élégant, d'une qualité supérieure, et qui justifie son adresse rue de la Chaussée-d'Antin. Ces sortes de pièces ont fait naguères la fortune du théâtre qui porte aussi le nom de Vaudeville. Je ne vois pas pourquoi le genre n'y réussirait point une fois en- core. Il est un peu suranné, qu'importe ? Les genres ne sont pas si nombreux, ils passent le temps à mou- rir et à ressusciter. L'essentiel est de plaire la pièce de M. Maurice Hennequin a beaucoup plu. Elle est fort spirituelle et de très bonne compagnie. Le plus gros mot qu'on y relève est celui de Molière, avec quelques jurons véniels. J'ajoute que M. Maurice Hennequin écrit avec soin et en français. Mais je m'arrête j'ai peur de lui faire le plus grand tort. La pièce est bien montée et bien jouée. M. Rozen- 17 290 LE THÉÂTRE 1912-1913 berg joue avec aisance et naturel le mari. M. Flateau a donné une physionomie plaisante au rôle de Sta- nilas de Pressigny, qui aurait pu aussi être distri- bué à M. Rosenberg. M. Lérand est amusant dans un rôle à transformations. M" 6 Frévalles a un peu plus de mélancolie que d'entrain. M lle Ariette Dor- gère est aimable et même touchants. M. Joffre est un vieux chouan, si j'ose dire, tout craché. La beau- té et la gaieté de M me Marie Magnier sont également éclatantes. 30 Avril LES ESCHOLIERS. — Ainsi soit-il, comédie en un acte, de MM. Charles Gallo et Martin Valdour ; la Bonne Ecole, comédie en un acte, de M. Jean Herwel ; l'Etat second, pièce en trois actes de M. François de Nion. THÉÂTRE SARAH-BERNHARDT. — Le Bossu, drame en cinq actes et dix tableaux d'Anicet Bourgeois et Paul Féval. Le cercle des Escholiers, qui aura sa petite page dans l'histoire du théâtre contemporain, est certai- nement le plus discret des cercles dramatiques ses spectacles sont rares, mais toujours choisis et bien montés. Celui d'hier m'a semblé particulièrement heureux. La première pièce, en un acte, de MM. Charles Gallo et Martin Valdour, n'est pas un lever de rideau, puisqu'elle ne se joue pas devant les LE THÉÂTRE 1912-1913 291 banquettes, et qu'elle se laisse écouter avec intérêt. C'est le dialogue, finement, et parfois même un peu précieusement écrit, d'un bon curé de campagne et d'une fameuse comédienne, devenue châtelaine sur le tard, demeurée philanthrope, mais qui a changé le genre de sa philanthropie. Elle donne au curé des leçons de diction, et même d'éloquence sacrée. Sur l'entrefaite, il apprend d'un sénateur réaction- naire que sa bienfaisante paroissienne est une pé- cheresse repentie. Il a d'abord quelques scrupules et veut suspendre les leçons. Mais il s'avise à temps que le pasteur chrétien doit préférer les brebis qui se sont égarées momentanément à celles qui n'ont aucune fantaisie. Et tout finit le mieux du monde ainsi soit-il ! c'est le titre. M. Bénédict, en vieux curé, est d'une onction, d'une naïveté et d'une ma- lice charmantes. La pièce de M. François de Nion est l'adaptation à la scène d'un cas de pathologie nerveuse, rare, mais fort connu le dédoublement de la personna- lité, accompagné de la manie ambulatoire. Ces bi- zarreries de notre pauvre humanité .ne sont pas si malaisées que l'on pense à mettre sous forme de roman ou de pièce. Je croirais même plutôt qu'elles fournissent à l'homme de lettres ou de théâtre des péripéties et des dénouements trop faciles. J'ignore d'ailleurs si M. de Nion a fait sa pièce avec facilité, mais je sais qu'elle est fort habilement conduite. Lucienne Dalbet est la fille d'un émule de Charcot, le professeur Josnard, qui ae trouve ainsi à portée 292 LE THÉÂTRE 1912-1913 de nous expliquer le cas des dédoublés et des am- bulants, sans avoir trop l'air de le 'aire exprès. Nous sommes avertis, au début, que Lucienne est un sujet », et que l'an dernier, en Bretagne, elle a eu, à la suite d'une mauvaise nouvelle, une crise de catalepsie. Nous sommes également avertis que son mari, Gaston Dalbet, qu'elle adore, ne tardera pas à la tromper avec sa cousine Madeleine. A la fin de l'acte, nous avons tout lieu de croire que Lu- cienne trouve la mort dans une catastrophe analo- gue à celle du Bazar de la Charité. Mais nous ne sommes pas très étonnés d'apprendre, au deuxième acte, qu'elle a été sauvée par miracle, qu'elle est tombée dans le sommeil cataleptique, et qu'à son réveil elle s'en est allée tout droit devant elle, sans rien se rappeler de son existence antérieure, et affu- blée d'un nouveau moi. Une vague influence du passé l'a cependant ramenée en Bretagne, et c'est là que ses parents la retrouvent, dans une boutique de mercerie. Son père la réveille, ou la ressuscite par des procédés qui m'ont paru un peu sommaires. En outre, il n'a pas songé, avant de pratiquer cette résurrection, que Gaston, dans l'intervalle, avait épousé Madeleine, et qu'il en allait falloir informer la ressuscitée. C'est la situation du colonel Chabert, avec quelques changements. Lucienne, qui est une femme énergique, veut d'abord défendre ses droits et revendiquer son mari. Mais elle apprend que Madeleine est enceinte. Alors elle veut céder la place, disparaître ; elle ne eonnaît qu'un moyen de LE THEATRE 1012-1913 293 disparaître c'est de mourir. Mais son père en con- naît un autre, et pour lui sauver du moins la vie, il la remet, encore par le moyen de quelques passes très simples, dans son état second. La curieuse pièce de M. François de ion est fort bien interprétée. M 1,e Andrée Méry nous a ravis par la netteté, par la justesse, la mesure de son jeu, et par une certaine grâce brusque. La représentation s'achevait par une saynète intutulée la Bonne Ecole, qui n'est guère que la reproduction phonographique d'une scène de ménage, mais assez plaisante. M. Georges Baillet a interprété avec talent le rôle d'un mari pacifique, et M me Amélie Diéterle a été, de toutes les femmes insupportables, la plus agréable à entendre et à regarder. 9 Mai THEATRE ANTOINE. — L'Entraîneuse, pièce en quatre actes, de M. Charles Esquier. Poursuivant sa saison d'été avec une persévérance digne d'un meilleur printemps, M. Gémier nous a donné hier une pièce assez intéressante, l'Entrat- neuse, déjà représentée avec succès le mois dernier à Bruxelles. L'auteur, M. Charles Esquier, fut na- guères pensionnaire de la Comédie-Française il y paraît. C'est peut-être parce qu'on le sait, maÎ9 je crois bien qu'on s'en apercevrait si par hasard on 294 LE THÉÂTRE 1912-1913 ne le savait point. Nous nous demandons quelquefois ce que l'on apprend au Conservatoire ce n'est certes pas à jouer la comédie, c'est peut-être à en écrire. Seulement les œuvres d'acteurs se recon- naissent à des réminiscences, à un emploi immodéré de ce qu'on appelle les effets ». Chose curieuse, ces mêmes effets, qui réussissent de temps en temps, ou du moins qui ont réussi, dans les comédies des auteurs qui r \ sont pas comédiens, ne portent pres- que jamais ins les comédies des auteurs-acteurs. Cela s'explique par l'habitude qu'ils ont de toujours voir les pièces à l'envers, comme les ouvriers des Gobelins voient les tapisseries. C'est un phénomène de cette fameuse optique théâtrale, que nos aînés de la critique ont inventée, en négligeant de la dé- finir. Les pièces des auteurs-acteurs sont aussi très bien faites. On désespère d'y rencontrer une mala- dresse. Aucun assaisonnement n'y manque, même celui de l'imprévu. Mais, par une malchance, cet imprévu-là est toujours celui où l'on s'attendait, et bien que nos aînés de la critique nous aient seriné qu'il faut toujours réaliser les vœux secrets du spectateur, j'estime pour ma part qu'il vaut encore mieux prévenir se9 désirs, étonner son imagination, et qu'il nous sait gré d'une surprise, au lieu qu'il ne sait gré qu'à lui-même d'un pressentiment vérifié. Le compositeur Jean Césaire demeure encore à Montmartre. C'est dire qu'il est jeune, qu'il a du génie, de l'enthousiasme, une femme amoureuse et pauvre, et que les directeurs de théâtre ne lui re- LE THÉÂTRE 1912-1913 295 connaissent aucun talent. Il n'arrive pas à faire jouer son opéra, l'Ile Fantôme, qui est un chef-d'œuvre naturellement. Il est aigri, il est nerveux, il fait des scènes à sa femme Françoise, qu'il rend responsable de ses déceptions. C'est dans l'ordre. Elle se jure de le faire parvenir, fût-ce au prix que l'on devine elle n'est pas la première amoureuse qui se dévoue de cette façon-là, et ne sera pas la dernière, espé- rons-le. Justement, elle est aimée d'un député so- cialiste, Le Goulet, qui est millionnaire, comme tous les députés socialistes. Le Goulet invite Françoise à devenir sa maîtresse, moyennant quoi il comman- ditera un théâtre, et sur ce théâtre l'Ile Fantôme sera jouée. Françoise devient la maîtresse de Le Goulet, l'Ile Fantôme est jouée, triomphe, et Jean Césaire devient l'amant de sa principale interprète, bien entendu. Françoise apprend l'infidélité de son mari et le supplie de rompre avec la cantatrice. Elle est peut-être la première femme de qui une prière si maladroite soit exaucée. Jean rompt. Ger- maine la cantatrice, pour se venger, lui révèle que Françoise le trompe avec I î Goulet. Françoise vient précisément de signifier à Le Goulet qu'elle préfère désormais s'en tenir là. Le Goulet crie, et se juge volé il n'a pas ton. Césaire se juge également volé ; j'ose dire qu'il a du toupet. Il demande avec arrogance à Françoise pourquoi elle le trompe. Ce n'est pas bien malin à deviner, mais c'est le sujet de la grande scène du trois. Elle est bien traitée et ne laisse pas d'être pathétique. Elle est fatale à la 296 LE THÉÂTRE 1912-1913 pauvre Françoise, dont le cœur nous a inquiété dès le début, et qui meurt brusquement au quatrième acte, par une fatalité déplorable, au moment où les amis de Césaire se précipitent sur la scène pour lui apprendre qu'il est décoré. Le rôle de Françoise s'ajuste à merveille au talent et au physique de M lle Juliette Margel. Elle n'est point la femme que l'on sacrifie, mais celle qui se sacrifie elle-même avec une sombre résolution. Elle a de l'énergie, une sensibilité profonde c'est une belle artiste. M. Francen donnait, m'a-t-on dit, de très grandes espérances. Il en donne encore beau- coup, il en a déjà réalisé quelques-unes. M. Candé a bien joué le député socialiste. Nous avons vive- ment applaudi M me Dermoz et M. Saillard. îi Mai COMÉDIE DES CHAMPS-ELYSÉES. — Le Trouble-Fête, comédie en trois actes et un épilogue, de M. Emond Fieg ; la Gloire ambulancière, comédie en un acte, de M. Tristan Bernard. Félicitons d'abord II. Léon Poirier de nous avoir offert un spectacle de la plus rare distinction et d'une qualité littéraire. Il est honorable pour lui d'avoir monté le Trouble-Fête, de M. Edmond Fleg, la Gloire ambulancière, de M. Tristan Bernard ; et. si ces deux pièces obtiennent de surcroît le succès ma- LE THÉÂTRE 1912-1913 297 tériel qu'elles méritent, que je prévois, que je sou- haite, cela sera honorable pour le publie. La eomé- die de M. Edmond Fleg manque peut-être d'un gros intérêt, sans être pour cela moins intéressante. Elle est aimable, elle est plaisante, elle est pathétique, elle est dramatique, avec un sujet qui ne semblait point, à première vue, fort théâtral ; je lui reproche- rais même d'être un peu artificiellement composée et de ne pas assez surprendre ou décevoir nos pré- visions. Mais il n'importe, car si la composition en est arbitraire, les sentiments et les mœurs y sont ob- servés et rendus avec une entière naïveté. Le cadre est rigide et géométrique, le tableau est une étude d'après nature, où la nature n'est point déformée. Le trouble-fête, c'est l'enfant, que des parents trop jeunes, trop amoureux ou trop égoïstes ne dé- siraient point mais M. et M me Florent n'ont pas été malins », comme le dit ingénument M m * Florent elle-même. Elle s'aperçoit, au premier acte, qu'elle a de ces craintes qu'on appelait autrefois des es- pérances. Elle n'ose les avouer à son mari. Un petit accident banal de grossesse l'oblige a révéler ce fatal secret, et Julien Florent, cinq minutes après avoir pesté contre une paternité éventuelle, pleure de joie dans les bras de sa femme telles sont les charman- tes inconséquences des gens qui ont le cœur léger, mais bien placé. Voilà tout le premier acte vous sentez que ces sortes de pièces sont à peu près im- possibles à raconter. Au deuxième acte, l'instinct de în maternité s'est éveillé chez la femme, et celui de 17. 298 LE THÉÂTRE 1912-1913 la paternité s'est rendormi pour un temps, selon la règle, chez le mari. Lise Florent est mère avec excès, si le mot excès n'est point sacrilège. Elle a voulu nourrir elle-même son enfant, elle refuse de le se- vrer c'est le mari qui est sevré — je ne sais pas je me fais bien comprendre. Hélas ! la nature a de_ exigences, et il n'est que trop vrai que les droits les plus légitimes de l'amour ne s'accordent pas tou- jours avec les devoirs de la maternité. Julien Florent, qui aime Lise de tout son cœur, est cependant sur le point de la tromper avec une détestable femme de lettres, dont il plaide le divorce. Lise veut retenir son mari, elle ne veut pas sacrifier son fils c'est un conflit qui en vaut bien d'autres. Julien quitte le domicile conjugal, et va même jusqu'au bas de l'es- calier, mais il remonte par l'ascenseur il a, comme dit joliment M. Fleg, l'esprit de l'ascenseur ». A l'épilogue, nous retrouvons les deux époux récon- ciliés, Lise assagie, c'est la paternité de Julien qui passe maintenant toute mesure pendant l'entr'acte, l'enfant a veilli de deux ans, et est devenu un petit homme. La comédie de M. Edmond Fleg est fort bien jouée. M. Louis Gauthier sait toujours exprimer de la façon la plus touchante les sentiments honnêtes et sains. Il n'est pas seulement l'un de nos meilleurs comédiens, mais l'un des plus humains et des plus sympathiques. M. Mauloy, dnns un rôle difficile et peu développé, a de la correction, de l'émotion, une justesse d^ fon parfaite. La grâce de M œ " Gladvs LE THÉÂTRE 1912-1913 -99 Maxhence est peut-être un peu apprêtée, mais cons- tamment agréable. Elle ne manque ni de sensibilité ni de force. Je n'ose dire que M me de Pouzols soit la simplicité même. Je veux chercher une petite querelle à Tristan Bernard ; il a imaginé naguère les plus jolis titres du monde le Fardeau de la Liberté, le Petit Café, le Danseur inconnu. Pourquoi semble-t-il, à présent, avoir une prédilection pour les titres, tranchons le mot, hom, les, comme les Phares Soubigou et, cette fois, la Gloire ambulancière ? Cette réserve est d'ail- leurs la seule que je puisse faire, et c'est bien pour- quoi je la fais, car il faut rompre la monotonie des éloges. Cette Gloire ambulancière, qui a un si vilain titre, est une des farces les plus amusantes que nous devions à Tristan Bernard, et l'on sait qu'il y a l'em- barras du choix. Il s'agit d'une dame affligée d'une certaine infirmité, beaucoup moins rare chez les femmes que l'infirmité passagère dont il est question au premier acte de M. Fleg. Cette infirmité a pris, au cours de la nuit dernière, un caractère soudain de gravité. Je ne sais pas trop comment dire. Bref, la dame a le ventre ballonné, au point que le méde- cin illustre qu'on a appelé en consultation n'arrive pas à le palper commodément ni à voir de quoi il retourne. Dans le doute, il prescrit une opération chirurgicale. Brusquement, la nature agit d'elle- même, et vous devinez, je l'espère, sans qu'il soit besoin que j'y insiste davantage, quel est ce dénoue- ment, véritablement heureux. La pièce est jouée 300 LE THEATRE 1912-1913 avec l'entrain le plus louable et une impayable drô- lerie par MM. Dumény, Beaulieu, Arvel, Gorieux, Herrmann, Fugère, par M mes Juliette Darcourt, Mil- ler, Madeleine Lyrisse et Fonteney. 15 Mai AMBIGU. — Mon ami l'assassin, pièce en cinq actes et six tableaux de MM. Serge Basset et A. Yvan. On a remarqué souvent que les grands observa- teurs n'observent pas ils inventent, ils anticipent, et c'est la réalité qui a la complaisance d'imiter après coup leurs descriptions. Il paraît que les ro- manciers et les auteurs de drames ou mélodrames, qui combinent des événements et n'imaginent que de l'action, peuvent anticiper tout comme les peintres de mœurs. Cette heureuse aventure est arrivée à MM. Serge Basset et Antoine Yvan, et leur vaudra sans doute un grand succès, quoique, dans Mon ami l'assassin, personne ne chante la Marseillaise. Ils ont prévu les bandits en automobile ! Ils ont prévu l'attaque à main armée d'une banque ! Je dis bien qu'ils l'ont prévue, puisque leur drame est écrit, dit-on, depuis cinq ans. Il se trouve aujourd'hui ac- tuel, grâce au retard coutumier du réel sur l'ima- ginaire ; et, d'autre part, MM. Serge Basset et An- toine Yvan, qui ont cette chance, n'ont aucune res- ponsabilité car il est peu probable que les Bonnot, LE THÉÂTRE 1912-1013 301 les Garnier et les Callemin, si infectés qu'ils fussent de littérature, aient forcé les coffres-forts de l'Am- bigu pour prendre des leçons de crime dans le ma- nuscrit de Mon ami l'assassin. D'ailleurs, on le sau- rait. Le drame de MM. Yvan et Basset ne vaut pas seu- lement par l'intérêt historique ; il pose un cas de conscience, qui n'est pas très ordinaire, mais qui n'est pas non plus invraisemblable. Nous comptons tous parmi nos relations les meilleures des gens qui ont fait un peu de prison — pour des motifs unique- ment correctionnels, ou, s'il s'agit de cour d'assises, pour des erreurs de simple moralité il est plus rare, quand on appartient à la bonne compagnie, que l'on ait l'occasion de serrer une main sanglante ; mais enfin cela peut se présenter. Un médecin me contait naguère qu'un apache, à qui il venait de sauver la vie, lui avait proposé, en guise de paie- ment, de le débarrasser d'un ennemi ou de plusieurs, s'il en avait. Supposez qu'un gredin de cette espèce vous ait rendu ce service-là ou un autre, et que, par la suite, il soit sur le point d'être arrêté, jugé et guillotiné. Le sauverez-vous ? Le livrerez-vous ? Moi, je n'hésiterais pas. et je crois que tout Fran- çais, pris individuellement, serait pour le bandit contre la police et la société. Mais les spectateurs, même Français, dès qu'ils sont réunis, éprouvent des sentiments collectifs, qui ne s'accordent pas tou- jours à leurs sentiments individuels. Ils n'aimeraient pas que l'obligé faillît à ses devoirs de reconnais- 302 LE THÉÂTRE 1912-1913 sance, et livrât son ami l'assassin ils n'admettraient pas davantage qu'il faillit à son devoir social, et ne le livrât point. MM. Serge Basset et Antoine Yvan se sont tirés de ce dilemme d'une façon bien ingé- nieuse ; car c'est la police qui découvre elle-même la retraite de Cravero, et Armand Gilette, enfermé dans une chambre blindée, asphyxié déjà plus qu'à demi par l'acide de carbone, se trouve dans l'im- possibilité d'intervenir quand même il le voudrait. — Je m'aperçois que je commence par le dénoue- ment, et que vous ne connaissez ni Armand Gilette ni Cravero. Armand Gilette est un fils de famille. Il est fianc 1 à M" e Huguette de Valleray, et veut en conséquence rompre avec sa maîtresse, Emma Pantzer. Emma est une fille de la dernière catégorie, mais elle a les mêmes prétentions que si elle appartenait à la ga- lanterie la plus huppée. Elle réclame un cadeau de rupture de cent mille francs. Armand Gilette refuse. Cravero est le frère d'Emma ; c'est un coquin, mais il a fait ses études à Louis-le-Grand. C'est aussi un bon frère, point trop scrupuleux. Il ne répugne pas au chantage, il vient menacer Armand à domicile, et reconnaît en lui un labadens. Il lui prête aussitôt trente mille francs, au lieu de lui en extorquer cent mille. La marraine d'Huguette de Valleray, M me Josion. s'occupe d'oeuvres de charité. Elle a maintes fois prêté de grosses sommes au frère d'Huguette, Paul de Valleray, brave garçon, mais dont la conduite LE THÉÂTRE 1912-1913 303 laisse beaucoup à désirer. Elle refuse aujourd'hui de le recevoir ; il s'en va en proférant des menaces il est pris de vin. Un personnage équivoque, nommé Cocuelle, vient justement de déterminer M m8 Josion à retirer de chez son notaire, M e Robichon, une somme de cent mille francs. La nuit tombe. M me Jo- sion est seule. Cocuelle reparaît, suivi d'un compa- gnon mystérieux qui pénètre dans le boudoir de M me Josion, la tue et s'empare des cent mille francs. Armand Gilette arrive à cet instant même, se pré- cipite sur l'assassin, qui lui échappe, mais qu'il re- connaît c'est Cravero, c'est son bienfaiteur, c'est son ami ! Naturellement, les soupçons planent sur Paul de Valleray qui tout à l'heure a proféré des menaces. Armand seul sait la vérité. Il ne veut pas dénoncer Cravero, mais sa conscience est le théâtre de ce que Spinosa appelait un combat intérieur. Je n'ai pas très bien saisi pourquoi il prenait pour confidents de ses angoisses les employés de la banque Roberty, à Choisy-le-Roi ; mais cette indiscrétion n'a aucune conséquence ; car, cinq minutes plus tard, les ban- dits arrivent dans leur automobile, et fusillent les employés de la banque Roberty, qui ne raconteront plus jamais rien à personne. Armand Gilette, qui est sorti de scène un instant avec Paul de Valleray toujours soupçonné du premier crime, revient à point pour assister au départ des bandits. Une fois onrore il reconnaît Cravero, et il ne balance plus à le dénoncer. 304 LE THÉÂTRE 1912-1913 Mais il préférerait que Cravero se dénonçât lui- même. Pour l'y résoudre, il se risque dans le re- paire des bandits. Ce repaire est un magnifique hô- tel de l'avenue du Bois de Boulogne. Cravero y a installé les bureaux d'une agence, dont l'objet n'est pas fort bien défini, mais dont le titre est rassurant Conscience et Vérité. Armand Gilette invite donc Cravero à se dénoncer, et comme il manque d'en- thousiasme, le menace d'un revolver. Les amis de Cravero, qui sont cachés dans les armoires, en sor- tent brusquement, coiffent Armand d'une cagoule, le ligotent et lui annoncent qu'il va mourir asphy- xié. Nous assistons à la première partie de cette opération, et le décor, comme je le disais plus haut, est une cellule blindée. Armand Gilette est déjà en proie aux hallucinations, il croit revoir Huguette, sa chère fiancée, quand la police survient, avertie par Huguette elle-même, qu'Emma Pantzer a mise assez maladroitement sur la piste de Cravero, en essayant une fois encore de la faire chanter. Cravero est enfin pris, la justice des hommes sera satisfaite espérons qu'Armand Gilette n'aura aucun remords. et surtout qu'il ne rendra jamais les trente mille francs. Mon ami V assassin est mis en scène de la plus amusante façon. Le tableau des bandits en automo- bile est très bien réglé, et je dirais que voilà un clou. si je ne eraisnais de discréditer, par ce jeu de mots, la marque Panhard-Levnssor si avantageusement eonnue. L'interprétation est fort bonne. M. Armand LE THEATRE 1912-1913 305 Bour a composé le rôle de Cravero avec autant de soin, d'intelligence et d'art qu'il eût fait un rôle de grande comédie. M me Carmen de Raisy est belle et fatale, M 1Ie Guyta-Réal naïve et tendre, M. Damorès inquiet et passionné. 19 Mai COMEDIE-FRANÇAISE. — Vouloir, pièce en quatre actes, de M. Gustave Guiches. Bien que l'homme moral ait été probablement in- divisible et complet à toutes les époques de l'histoire, les psychologues, du moins littérateurs, en tiennent pour la vieille distinction des trois facultés de l'Sme et attribuent une prédominance tantôt à l'une, tantôt à une autre, tantôt à la troisième, selon la mode, qui varie assez régulièrement. Il y a une trentaine d'années, c'est l'intelligence qui avait le pas ; comme elle n'est point la plus banale de nos trois facultés, cette préséance avait quelque raison d'être on pour- rait encore la revendiquer aujourd'hui. Le tour de la sensibilité est venu, à la génération suivante. Main- tenant, la volonté est à l'ordre du jour, comme au temps de la Terreur, la vertu. La volonté paraît si belle que nous l'admirons sous foutes ses formes j'en compte jusqu'à trois, que je désignerai par les mêmes épithètes que les théologiens font les Eglises. Nous avons la volonté souffrante, la volonté mili- 306 tE THÉÂTRE 1912-1913 tante et la volonté triomphante. La première est celle des neurasthéniques et des malades imaginaires ; elle n'est pas sans agrément, c'est au moins une dé- lectation morose. La seconde est celle qui s'évertue à se ressusciter soi-même dans les maisons de santé, ou qui, déjà, se mêle aux luttes de la vie. La troi- sième est celle qui, dans la vie ou au théâtre, assure les dénouements. M. Gustave Guiches, rien qu'en in- titulant sa pièce Vouloir a déjà su toucher le public au bon endroit. J'ajoute qu'il ne nous a pas, Dieu merci ! donné une pièce à thèse sur la volonté, ni une pièce d'observation, si je puis dire, clinique, mais bel et bien une comédie dramatique et roma- nesque cela ne doit pas nous surprendre. N'est-ce pas le conflit des volontés particulières et de la fata- lité qui crée dans le réel des incidents de drame et des péripéties de romans ? Philippe d'Estal a perdu, voilà deux ans, sa fem- me qu'il adorait. Ce coup l'a jeté bas. Député, grand orateur, Philippe avait déjà renoncé, du vivant de M™ d'Estal, à sa carrièie et à sa gloire, dont elle était fière, mais jalouse, et s'était confiné avec elle dans un vieux château dont l'aspect seul engendre la mélancolie. Il n'est cependant devenu tout de bon mélancolique et hypocondriaque qu'après le veuvage. Il n'admet auprès ùe lui qu'une petite cou- sine, qui le veille, et le vieux médecin du pays. Il fuit dès que les malades d'un sanatorium voisin font invasion chez lui par la grille entr'ouverte du parc. Ce sont pourtant de bien joyeux malades, el LE THÉÂTRE 1912-1913 307 terriblement bien portants. Le médecin mondain qui les soigne, le docteur Didiaix, est d'une gaieté fé- roce ; et c'est la première fois, entre parenthèses, que nous avons vu M. Henry Mayer jouer, sur la scène de la Comédie-Française, un rôle un peu ré- veillé. Ce docteur Didiaix est aussi un vilain homme, qui a des embarras d'argent, et mettrait sans scru- pule l'embargo sur une jeune et riche veuve, soit pour le mariage ou pour la commandite. Il en a jus- tement une sous la main, qui passe deux ou trois jours au sanatorium, mais à titre d'invitée. Or, cette veuve fut neurasthénique, elle aussi, précédemment, et fut guérie par un grand médecin des nerfs, le doc- teur Richard Lemas. Richard Lemas est le beau- frère de Philippe d'Estal. Il vient au château, à la fois comme beau-frère et comme médecin. Bien qu'il garde pieusement le souvenir de sa sœur défunte, Richard Lemas pense qu'une autre femme pourrait seule opérer la cure de Philippe ; il songe à Lau- rence la riche veuve, dès qu'il apprend qu'elle se trouve dans le voisinage ; et il a d'autant plus de mérite à la réserver pour son beau-frère qu'il fut jadis passionnément amoureux d'elle. Il y a un peu de complaisance dans toutes ces rela- tions, ces alliances et ces rencontres, mais qu'im- porte, s'il en résulte une belle situation de théâtre ? Le sacrifice de Richard Lemas est héroïque ; mais qui est illustre médecin est un professionnel de l'hé- roïsme, ou de la volonté c'est la même chose. Il dira tout à l'Heure, avec une magnifique et doulou- 308 LE THÉÂTRE 1912-1913 reuse éloquence Ah ! maintenant, je sais ce que c'est que vouloir. C'est vouloir ce qu'on ne veut pas. » Il fait cependant de bon coeur et sans trop se forcer le premier sacrifice, qu'il croit utile. Il en est bien payé, il a le bonheur de voir Laurence heu- reuse et Philippe ressuscité. Mais la guérison de Philippe est encore précaire ; il est irritable, jaloux. Un imbécile, qui écrit des revues pour les salons, chante devant lui un couplet sottement perfide à l'adresse de M me d'Estal il la soupçonne d'avoir un passé. Deux minutes plus tard, Lemas donne une verte leçon au docteur Didiaix. encore à propos de M ms d'Estal. Il y a envoi de témoins, duel. Les soup- çons de Philippe se précisent. Il accuse sa femme d'avoir été la maîtresse de Lemas. il la malmène, il l'insulte, et voilà le fruit du sacrifice ! Lemas ne peut se défendre d'avouer à Laurence qu'il l'a jadis aimée elle lui reproche de n'avoir pas parlé plus tôt elle lui déclare qu'elle aurait été fière de de- venir sa femme. Mais est-elle encore la femme de Philippe ? Il l'a chassée, elle est libre ! Elle prétend quitter cette maison, et la quitter au bras de Richard Lemas. Lemas hésite, il est déchiré a-t-il le droit de profiter de cette brouille, de cette rupture ? Lau- rence paraît si déterminée au divorce qu'il est près de céder. Mais le désespoir de Philippe, une me- nace Hé suicide l'effraient. Il n'est pas de ceux qui vivent leur vie et. qui vont leur chemin en passant sur les tombes il achève le cruel sacrifice, il récon- cilie Philippe et Laurence. LE THÉÂTRE 191^-1913 309 La belle pièce de Al. Gustave Guiches, intéres- sante, touchante, parfois profonde, a été dignement mise en scène et interprétée de la plus remarquable façon. M. Maurice de Féraudy a joué le rôle du doc- teur Lemas avec une énergie, une sensibilité virile et une simplicité vraiment admirables. M me Cécile Sorel a donné à Laurence une belle figure au dé- but, peut-être un peu trop grande dame pour ce mi- lieu bourgeois, elle n'est plus, au moment de la crise, qu'une vraie femme qui aime et qui souffre. M. Georges Grand m'a rarement paru plus émou- vant M lle Maille a su faire d'un rôle de rien la plus spirituelle composition. MM. Siblot, Falconnier, Granval, Nurr a, Lafon, Jacques Guilhène, Gerbault et Raynal, M mes Suzanne Devoyod, Andrée de Chau- veron, Jeanne Rémy, Laurence D'uluc, Léo Malrai- son, ont su donner d'amusantes physionomies à des personnages de second plan que l'auteur a très légèrement mais très joliment crayonnés. 21 Mai ODÉON. — Dannemorah, comédie en deux actes, en vers, de M. P. de Puyfontaine. — Réussir, pièce en trois actes, de M. Paul Zahori. Les efforts que fait M. Antoine pour découvrir le uénie deux fois environ par mois, méritent notre admiration. On ne peut espérer qu'ils soient ton- 310 LE THÉÂTRE 1912-1913 jours couronnés de succès ; mais le spectacle que nous a offert l'Odéon hier soir est d'une inutilité qui passe vraiment la permission. Il se compose de deux pièces. La première, Dannemorah, de M. Philibert de Puyfontaine, est une légende Scandinave. Elle manque de clarté, comme il fallait s'y attendre. C'est proprement la nuit polaire, où brille une seule étoile, celle de M Ue Guintini. Il s'agit d'un roi, fou comme le roi Lear ; mais le roi Lear était en mau- vais termes avec ses filles ; celui-ci aime trop la sienne. Son excuse est qu'elle ressemble à sa mère, qui est morte. Il y a aussi une marâtre, qui veut sup- primer la jeune princesse, de qui elle est jalouse, comme toutes les marâtres. Mais la jeune princesse est sauvée par l'intervention d'un jeune prince, qui l'aime, et qui m'a paru avoir avec elle des liens de parenté encore assez étroits. L'autre pièce, de M. Zahori, est intitulée Réussir. Le principal personnage est un député sur le point de devenir ministre. Pour décrocher cette timbale, il se croit obligé de sacrifier sa vertueuse épouse, et j'imagine qu'il s'y résout sans trop de peine, car elle est raisonneuse et assommante. Mais il se croit également obligé de faire la cour à une intrigante, dont l'oncle, sénateur, doit former le nouveau cabi- net, et il n'a vraiment pas de chance, car cette intri- gante est prétentieuse et aussi ennuyeuse que sa femme légitime. Cette dernière finit par se retirer aux champs, en compagnie d'un cousin apiculteur, à qui M. Grétillat a su donner une physionomie sym- LE THÉÂTRE 1912-1913 311 pathique. M. Vargas est toujours un des deux ou trois meilleurs comédiens de Paris, mais il a rare- ment joué un rôle plus dénué d'intérêt que celui du député Vives. M me Métivier, MM. Coste et Bonvallet ont composé avec le plus grand soin des person- nages d'ailleurs insignifiants. M 1168 de France et Mi- chel sont assez plaisantes en petites ouvrières, cou- sines de ministre. Heureusement, M. Antoine, prenant d'avance et deux fois sa revanche, nous avait rendu l'avant-veille le touchant David Copperfield de M. Max Maurey, et nous avait conviés, il y a quelques jours, à une merveilleuse représentation d'Esther, d'après les ta- pisseries de de Troy. Je veux, à propos de reprises, signaler celle des Berceuses, de MM. Pierre Veber et Michel Provins, au théâtre Michel. Je crois me souvenir que je fus, l'an dernier, très sévère pour cette pièce. J'ai à peine besoin de dire que je n'aurais aucun scrupule à changer d'opinion, si mon article acerbe avait nui naguère aux Berceuses de façon à me donner des remords. Mais on les a jouées indéfiniment, et on recommence. Je suis heureux de constater, une fois de plus, l'impuissance de la critique nous pouvons juger en toute sécurité selon notre conscience, puis- que nous ne faisons de mal à personne. 312 LE THÉÂTRE 1912-1913 30 Mai ODÉON. — Moïse, tragédie en cinq actes, en vers, de Chateaubriand. CHATELET. — Marie-Magdeleine, drame en trois actes, de M. Maurice Maeterlinck. Si l'on n'avait un sentiment vif du devoir, ce n'est assurément pas pour le plaisir qu'on irait, par trente degrés de chaleur, entendre Moïse l'après- midi et Marie-Magdeleine après dîner. Il est vrai que la première de ces deux cérémonies sacrées avait lieu à l'Odéon, où nous allons si souvent que nous finirons par y aller sans nous en apercevoir. M. An- toine a eu d'ailleurs bien raison d'offrir à notre curiosité un peu molle la tragédie de Chateaubriand, précisément le même jour que le Châtelet nous a offert le drame de Maeterlinck. Cette coïncidence nous a permis de faire entre les deux un parallèle, à quoi autrement nous n'aurions pas songé. Nous avons ainsi remarqué, entre autres, qu'il y a beau- coup plus de vers dans le drame de Maeterlinck, qui est en prose, que dans la tragédie de M. de Chateau- briand, qui est hélas ! en vers. On sait que M. Mae- terlinck a un faible pour les vers blancs. Des scènes entières de Marie-Magdeleine sont écrites comme le prologue du Sicilien. J'avoue que je ne puis com- prendre ce système. Rien n'est si déplaisant à l'oreille qu'une prose entremêlée de vers au petit bonheur, et sans que rien justifie le mélange ni le LU THEATRE 19i2-1913 313 dosage. 11 me paraît, de surcroît, extraordinaire qu'un bel écrivain cérame M. Maurice Maeterlinck substitue, quand il a la sagesse d'écrire en prose, le rythme pauvre et monotone du vers français au ry- thme innombrable de la prose française. La comparaison de Moïse et de Marie-Magdeleinc nous a obligés, en outre, de prendre garde à une chose que le respect dû à l'auteur de Pelléas et de VOiseau Bleu nous aurait empêchés probablement de voir ou de signaler c'est que son drame est une amplification de rhétorique, du même ordre que la tragédie de M. de Chateaubriand ; qu'elle n'en dif- fère pas sensiblement, ni de cent tragédies de cette époque où le classicisme agonisait ; et que notam- ment, cédant à la mode de ce temps-là, M. Maeter- linck a cru devoir égayer d'une petite histoire d'a- mour celle de la passion de Xotre-Seigneur Jésus- Christ, de même que M. de Chateaubriand a cru de- voir déranger Moïse qui causait avec l'Eternel, pour lui faire rompre, si j'ose m'exprimer aussi vulgai- rement, le collage d'un Israélite et d'une jeune Ama- lécite. Si grave que soit la figure de Moïse, cela ne me choque pas outre mesure je suis plus étonné d'apprendre que Marie-Magdeleine, si elle avait voulu couronner la flamme de Lucius Verus, Jésus n'aurait peut-être pas été mis en croix. Evidemment toute l'histoire du monde en aurait été changée. On assure que cette idée n'est pas de M. Maeterlinck et qu'il Ta empruntée d'un auteur allemand, M. Paul Héryse. Il eût mieux fait de laisser à M. Paul Héryse it SU LE THÉÂTRE 1912-1913 une si étrange invention. On ne prête, dit-on, qu'aux riches, mais les riches n'ont pas besoin d'emprun- ter. Je goûte davantage les idées personnelles de M. Maeterlinck. J'ai admiré la scène où Lazare, à peine sorti du tombeau, vient chercher la Magdaléenne pour la conduire au Christ. 11 y a là un magnifique symbole. Je suis moins sensible à la philosophie même de l'œuvre, et les combats, encore symboli- ques, d'instincts ou de doctrines morales, qui se li- vrent dans l'âme obscure de la pauvre petite cour- tisane, m'étonnent, mais ne m'intéressent guère. Je ne crois pas devoir m'émerveiller non plus du pro- cédé de théâtre grâce auquel Jésus, personnage principal de l'œuvre, nous est dérobé. Ce procédé n'est pas neuf il est renouvelé de YArlésienne. Au surplus, le Christ ne paraît pas sur la scène du Châ- telet, mais on l'entend dans la coulisse ; on est même surpris de l'entendre dire à la foule qui veut lapider Madeleine Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Il l'avait déjà dît à propos de la Femme adultère il est inconcevable que la parole divine se répète. Marie-Magdeleine est jouée fort convenablement. La critique me paraît bien sévère, bien injuste pour M me Georgette Leblanc. Elle a, du moins à première vue, toutes les apparences d'une grande artiste. Je conviens qu'il lui manque quelque chose ; mais je n'ai pu démêler si c'est le métier ou le don. M. Ro- ger Karl, en Lucius Verus, est beau et brutal. M. LE THÉÂTRE 1912-1913 315 Roger Monteaux a dit avec beaucoup d'habileté et d'enthousiasme le récit de la résurrection de Lazare. Ce n'est pas sa faute si ce récit est un peu long. Enfin M. Denis d'Inès, de l'Odéon, a été fort re- marquable dans le rôle du philosophe Silanus. Cette transition, que je ne cherchais pas, me ra- mène à Moïse. La tragédie de Chateaubriand est aussi convenablement jouée, et M. Joubé nous a of- fert une belle réplique vivante de la statue de Michel- Ange — qu'on revoit toujours avec plaisir. Mais je ne veux point m'extasier, comme c'est l'usage, sur les tours de force hebdomadaires qu'accomplit la troupe de l'Odéon. Je les trouve méritoires, mais re- grettables. Les jeunes comédiens ou tragédiens ne sont pas à l'Odéon pour faire des tours de force, mais pour appliquer l'enseignement du Conserva- toire, ou pour apprendre leur métier, s'il ne l'ont pas appris rue de Madrid. Ce n'est pas les exercer, c'est les gâter, et peut-être à jamais, que de récla- mer d'eux une besogne fastidieuse, excessive, hâ- tive et improvisée. î" Juin ATHÉNÉE. — Reprise du Bourgeon, comédie en trois actes, de M. Georges Feydeau. Le Bourgeon, de M. Georges Feydeau, méritait d'être repris. Ce n'est pas seulement une jolie et 316 LE THÉ\TRE 1912-1913 amusante pièce, à qui son titre défend de jamais vieillir, — bien vivace, puisque entre les mains de M. Porel, naguère, elle n'a pu mourir provisoire- ment qu'après la centième, — c'est aussi une pièce exemplaire qui prouve que rien n'est impossible à un auteur dramatique sûr de son métier, et surtout à M. Georges Feydeau. Je ne connais pas de sujet plus scabreux. M. Feydeau n'est pas assurément le premier qui ait osé prendre la puberté pour thème. D'autres, plus ingénus, avaient eu cette audace avant lui, et il me suffira de citer Paul et Virginie, qui peut être mis entre toutes les mains. Mais si nous sourions à peine quand un Xéron nous proteste que son innocence commence à lui peser, nous ris- quons d'être scandalisés lorsque c'est un jeune sé- minariste qui fait un aveu du même genre à un brave curé de campagne, et lorsque, de plus, il s'accuse d'avoir pressenti dans un rêve poétique, mais toute- fois précis, la délectation morose du péché. Nous risquons nous sommes devenus si bégueules !, nous risquons d'être scandalisés bien davantage, et peut- être de nous révolter, quand la nature reprend déci- dément ses droits, quand notre séminariste, Mau- rice de Plounidec, après avoir étreint d'un bras puissant, pour la sauver des eaux. M 1Ie Etiennette de Marigny, qui se noyait, l'étreint encore, cette fois pour se perdre soi-même. Mais ces diverses péripéties sont présentées avec tant d'art qu'elles ne nous inquiètent pas un instant. Elles n'inquiètent même pas le bon curé. Tout passe, grâce à des chan- LE THEATRE 1912-1913 317 gements de costumes. Vous devinez dans quelle tenue Maurice, qui prenait un bain, a opéré le sau- vetage d'Etiennette ; lorsque, tout émue de recon- naissance, et déjà d'amour, elle veut, cinq minutes plus tard, le remercier, il reparaît en soutane Ah ! dit-elle, c'est dommage ! » Lorsqu'il est sur le point d'oublier des vœux que, d'ailleurs, il n'a pas en- core prononcés, il est militaire qui oserait lui re- procher de se comporter avec les belles en véritable soldat français ? Voilà un des bienfaits de la loi qui a mis, selon l'expression vulgaire, le sac au dos des curés. Ces divers changements de costumes sont si naturels qu'à peine s'avise-t-on à quel point ils sont ingénieux mais il fallait y penser. La pièce abonde en trouvailles de cet ordre. C'est une idée charmante d'avoir purifié, du moins momentané- ment, l'amour d'Etiennette, et d'avoir montré de quelles touchantes et de quelles comiques abomina- tions est capable la maman la plus austère, quand elle croit que la santé de son fils est en jeu. La mar- quise de Plounidec ne craint pas de venir solliciter elle-même Etiennette d'un service que je ne saurais définir, et qu'elle est encore beaucoup plus empê- chée que moi de préciser. C'est Etiennette nui re- fuse. La scène pouvait être pénible, M. Georges Fevdeau en a fait un vrai petit cb>f-HV**nvtfe ; Ge qui me plaît, c'est que toutes ces h^biMés ont un air facile et bon enfant. Il v faut re^ard^r rlf» très près pour apercevoir qu'elles sont de l'art le nl'is raffiné. Le ton même de la pièce ne la rend pas, à 18. 318 LE THEATRE 1912-1913 première vue, fort différente des autres œuvres du même auteur. M. Feydeau n'a nullement cru devoir réprimer sa verve, parfois un peu grosse, mais tou- jours si abondante, si franche, — si française et si classique. Si jamais pièce a mérité le nom de comé- die, c'est bien le Bourgeon ; si parfois cette comédie se déguise en vaudeville, croyez que c'est par pure coquetterie. Le Bourgeon, qui avait obtenu au Vaudeville une interprétation fort brillante, n'a guère été moins heu- reux à l'Athénée. M. André Brûlé a repris le rôle de Maurice de Plounidec ; il semble, comme le rôle et la pièce, n'avoir pas vieilli d'un jour. Ce comédien excellent jouit du privilège fort rare, à peine conce- vable, de pouvoir interpréter avec la même vrai- semblance les rôles d'amoureux, les premiers rôles et Les rôles d'adolescents. Il n'a jamais rencontré de personnage plus avantageux que celui de Maurice de Ploudinec, ni qui pût mettre mieux en valeur la souplesse et la variété de son talent. M Ue Madeleine Carlier, qui a la réputation dangereuse et méritée d'être jolie femme, aura bientôt, si elle continue, la réputation d'être une de nos meilleures comédien- nes. M Ue Jeanne Rolly, qui a créé le rôle d'Etien- nette, l'accusait, le chargeait un peu, et je crois qu'elle n'avait pas tort ; en le jouant avec un peu plus de mollesse, M lle Carlier l'a joué peut-être avec plus de vérité, et nous a montré qu'elle est capable de simplicité et de naturel. M me Marie-Laure la marquise ne nous a pas fait oublier Anna Judic, et LE THEATRE 1912-1913 319 au surplus ce serait un crime que nous ne lui par- donnerions pas, mais elle nous a charmés par sa tendresse, par sa bonté, par sa naïveté, par son au- torité. M. Guyon fils, qui a autant de conscience que de talent, et qui compose toujours ses rôles avec le plus grand soin, touche, dans celui du curé Bour- set, à la perfection. M. Jules Berry est un de nos rares jeunes premiers. M. André Dubosc, libéral égaré dans un milieu dévot, a autant de distinction que de bon sens. M. Gallet et M me Cécile Caron for- ment un couple impayable de tartufes, le mâle et la femelle. Et je ne veux pas oublier M ,le Harnold, ni M. Stéphen, ni MM. Cueille, Lagrenée, Térof, M me " Loury, Grane, Darlet et Norma. 3 Juin A L'ŒUVRE. — Marthe et Marie, légende dramatique en cinq actes de M. Edouard Dujardin. Le titre de M. Edouard Dujardin est symbolique. Il fallait s'y attendre, mais je n'osais pas l'espérer. Je redoutais encore une pièce évangélique, et je m'apprêtais à dire, mutatis mutandis Oui nous délivrera des Grecs et des Romains ? » Enfin, nous avons été quitte pour In peur. La scène du drame n'est pas en Judée, mais à Florence, Marthe et Marie sont bien nommées ainsi par allusion aux deux sœurs de Lazare, mais voilà tout ; et M. Edouard 320 LE THÉÂTRE 1912-1913 Dujardin a même poussé la discrétion jusqu'à donner le nom de Marthe à celle qui, selon l'évangile, devrait s'appeler Marie, et le nom de Marie à celle qui devrait s'appeler Marthe. Ces deux jeunes personnes sont les filles d'un aventurier, qui est mort elles sont donc orphe- lines, et une riche, une bienfaisante fermière les a recueillies. Elle est également morte, en destinant Marthe à son fils Félicien, et elle a chargé un vieil intendant, Bénédict, son exécuteur testamentaire, de surveiller à ce mariage. Le jeune Félicien revient de l'université pour être médecin de village. Mais il a secrètement d'autres ambitions. Il a vu de près les grands banquiers de Florence. Il ne distingue » pas Marthe si M. Edouard Dujardin veut bien me permettre d'emprunter cette expression au théâtre de Meilhac et d'Halévy. Marie, qui est ambitieuse, lui plaît davantage, et il file avec elle sur une ga- liote. Félicien n'est pas encore assez riche pour se faire banquier alors il se fait commis de banque ; d'ail- leurs il devient très vite patron, grâce à une suite d'heureux hasards. Il achète à un vieux seigneur ruiné son palais, moyennant une rente viagère, et le vieux seigneur n'a pas plus tôt signé le marché, d'une main tremblante, que la rente s'éteint avec lui. Félicien achète une cargaison de blé un incen- die au même instant dévore les greniers de la ville, mais épargne la fin!!*» de Félicien il peut affamer Florence, il est maître de la cité du lys rouge. Ce- LE THÉÂTRE 1912-1913 321 pendant, il vit entoure de parasites. Ai-je besoin de vous dire qu'il n'est pas heureux ? Vous savez aussi bien que moi que l'argent ne fait pas le bonheur. Félicien essaie de tromper Marie pour se distraire, mais elle a le mauvais goût de lui rendre la pareille. Ils se brouillent, ils se raccommodent. Comme on chantait naguère dans je ne sais plus quelle revue On se colle, on se décolle, c'est la vie ! » L'amant de Marie, un vilain homme, Patenta, tente d'assas- siner Félicien. Marie se jette au-devant du coup, elle est blessée dangereusement. C'est une bonne leçon pour tous les deux, ils reviennent à la vie cham- pêtre. Mais quand ils arrivent au villaere. ils y re- trouvent naturellement Marthe, à laquelle ils ne pen- saient plus. Marie comprend que Marthe est la véri- table épouse de Félicien elle se sacrifie, elle arra- che d'une main héroïque l'appareil posé sur sa bles- sure, qui se rouvre, et elle meurt en donnant à Fé- licien d'excellents conseils. La pièce de M. Edouard Dujardin a beaucoup de mouvement et d'intérêt ; elle est ensemble un peu primitive et un peu compliquée, elle est d'une naïve- té charmante. Elle est écrite sans obscurité. M. Edouard Dujardin, autrefois si srrave, a aujourd'hui le sourire, et c'est lui-même qui nous le dit en pro- pres termes, sans que cette expression d'origine récente jure avec les costumes de la Renaissance ni avec le décor florentin. M llB Blanche Dufrène a une voix délicieuse, de belles attitudes, de beaux gestes, et une grande véhémence dans l'apostrophe. M lte 322 LE THÉÂTRE 1912-1913 Blanche Jackson a composé avec talent le rôle de Marthe, qui n'est pas bien avantageux. M. Fon- taine Félicien a pris devant les spectateurs de l'Œuvre l'engagement d'obtenir son premier prix au Conservatoire le mois prochain. M. Bourny l'intendant a le sérieux et la politesse d'un vieux serviteur, M. Lugné-Poë la majesté et le style d'un vieux seigneur ruiné. 5 Juin AU GYMNASE. — Représentation du Théâtre national .polonais de Léopol. AU THEATRE CLUNY. — Les Loups noirs, pièce en cinq actes et huit tableaux de MM. Le Paslier et Pont. A LA COMEDIE DES CHAMPS-ELYSEES. — Reprise du Poulailler, comédie en trois actes de M. Tristan Bernard. AUX ESCHOLIERS. — Coup double, un acte, en vers, de MM. Jean Renouard et Léon Le Clerc ; Le Tournant, comédie en un acte de M. Lionel Nastorg ; l'Epreuve d'amour, un acte, en vers, de M. Henry Grawitz ; la Vraie Loi, pièce en deux actes, de M. René Carraire. A L'AMBIGU. — Reprise des Oberlé, pièce en cinq actes, d'Edmond Haraucourt, d'après le roman de M. René Bazin. Les directeurs sont en proie, depuis huit jours, à une sorte de frénésie maligne, que guérira prochai- nement, contre toutes les règles, non pas le premier froid, mais la première bonne chaleur. Quand cha- le 1 J 12-1913 323 cun crie On part, on ferme ! » ils rouvrent. Point de soirée sans trois générales ou premières ; c'est trop de deux, et encore je dis deux par excès de politesse. Je sens bien que les Polonais en général sont sympathiques, et en particulier les comédiens polo- nais du théâtre de Léopol, qui donnent en ce mo- ment des représentations au Gymnase. Ils sont dis- crets, ils ne font pas d'esbroufe, peu de réclame ils finiront par se faire remarquer, comme les gens qui ne portent pas de décorations. Mais j'avoue que je n'entends pas le polonais. Je ne suis pas le seul, et je crains que cette ignorance ne leur fasse tort. On n'a pas besoin de savoir le russe pour suivre un ballet russe. Cela est si évident que je ne crois pas devoir y insister davantage. On peut suivre un opéra dont le texte est étranger, la musique étant un langage universel. On n'y perd pas grand'chose, souvent même l'on y gagne, ou l'on y gagnerait, et si, par exemple, le livret de Julien était écrit en tamoul... Mais je ne veux pas empiéter sur mon éminent collaborateur et ami Reynaldo Hahn. Il est clair que, pour suivre une comédie, mieux vaudrait la comprendre ; faute de quoi elle se réduit à une pantomime. Je m'empresse toutefois de publier que la pantomime des artistes de Léopol est majes- tueuse, noble, d'expression vive, et qu'en s'aidant un peu du programme, on peut encore s'intéresser aux péripéties de leur jeu. Le théâtre Cluny nous a offert une pièce à grand 324 LE THÉÂTRE 1912-1913 spectacle, simplement. Les Loups noirs sont des apa- ches masqués qui se livrent à la traite des blanches . Je demande grâce pour cette plaisanterie médiocre; je ne serai pas seul, d'ailleurs, à la risquer elle s'impose ; et puis, en fin de saison, il ne faut pas être difficile. Les loups noirs enlèvent trois blan- chisseuses je ne le fais pas exprès. Les fiancés de ces blanchisseuses poursuivent les loups, qui sont dévorés par des requins, car l'action se continue pendant une traversée. L'un des bandits était un fils de famille égaré, l'un des fiancés était un mauvais sujet repenti. Il y a aussi une erreur judiciaire, et un innocent que je plains car, s'il est regrettable en tout état de cause d'être accusé d'un crime que l'on n'a pas commis, il est singulièrement désobli- geant d'être soupçonné de vagabondage spécial. Fi- nalement, l'innocence est reconnue, la vertu récom- pensée, le vice puni. Ce drame est un peu lent, mais l'excellente troupe de Cluny le joue le plus vite possible. La Comédie des Champs-Elysées a repris l'amu- sant Poulailler de M. Tristan Bernard, qui triompha naguère au théâtre Michel, et qui n'a aucune raison sérieuse de ne pas triompher chez M. Poirier. Le second spectacle des Escholiers n'est pas tout à fait aussi intéressant que le premier. Il se compose de trois petits actes et d'une pièce en deux actes. Le premier petit acte est en vers, c'est Coup double, de MM. Jean Renouard et Léon Le Clerc. Egalement malheureux en amour, un berger, Lucas, une ber- LE THÉÂTRE 1912-1913 325 gère, Muguette, pensaient se tuer. Ils se recontrent, ils s'arrangent ensemble, et ils ne sont plus malheu- reux. M. Got est le berger Lucas, M"° Ducos est la bergère Muguette. Jugeant que sa maîtresse, M me de Savigny, devient froide, Georges Maupreux lui signiiie qu'il vaut mieux rompre à temps et de bonne grâce, et l'exé- cute poliment. C'est le Tournant, de M. Lionel Nas* torg, où M lle Léonie Yahne et M. Henry Burguet ont témoigné la sensibilité la plus aimable. L'Epreuve d'amour est un acte en vers de M. Henry Grawitz. Le décor est antique. Une lune errante éclaire la scène, où \l lle Yvonne Garrick semble charmante sous le costume grec, à peine décolletée, mais M. René Rocher l'est davantage. Il joue le personnage d'un inconstant, Lucius, et M Ue Yvonne Garrick est Lydie, sa maîtresse. Une bonne amie conseille à Lydie de se faire passer, la nuit et la lune aidant, pour la courtisane Glycère, et d'éprouver ainsi l'amour de Lucius. Mais ce petit capricieux de Lucius devient tout d'un coup la fidé- lité même, et jure à Lydie de l'aimer éternellement. La Vraie Loi, de M. René Carraire, est une pièce en deux actes. Alfred Darbant, fils d'un banquier qui a mis fin à ses jours, vit dans l'indigence avec sa sœur Odile et sa mère. Un vieil ami, Mercœur, aide ces dames selon sa propre expression à join- dre les deux bouts. Alfred, employé de banque, prend de l'argent dans la caisse pour l'offrir à une chanteuse il joue aux courses, il perd, il veut se 19 320 LE THÉÂTRE 1912-1913 tuer. Odile et M me Darbant lui révèlent alors que M. Darbant père ne s'est tué, jadis, que sur l'injonc- tion de M me Darbant elle-même, qui a voulu ainsi sauver l'honneur de la famille. Cette révélation rend au jeune Alfred le goût de la vie, et j'avoue que je ne comprends guère pourquoi. Il n'importe. Mer- cœur épouse Odile et sauve une fois de plus l'hon- neur de la famille, mais sans drame, en rembour- sant tout bonnement la somme que son futur beau- frère a volée. M me Thérèse Kolb a ému tous les spec- tateurs quand elle a raconté la mort de son mari. M me Lara a de beaux mouvements. M. Maupré est un peu mou, mais c'est le rôle qui veut cela. M. Mar- quet est plein de dignité, de bonté, de tendresse. Enfin, l'Ambigu a fait une excellente reprise du beau drame que M. Edmond Haraucourt a tiré du beau roman de M. René Bazin, les Oberlé. Espérons que cette fois encore, le patriotisme réussira au théâre de l'Ambigu, et que la littérature qui s'y ajoute ne diminuera pas le succès. 10 Juin THÉÂTRE ANTOINE. — Reprise du Baptême, comédie en trois actes, de MM. Alfred Savoir et Nozière. Le Baptême, de MM. Alfred Savoir et Nozière, que M. Lugné-Poe vient de reprendre au théAtre Antoine pour la saison d'été, est une des rares piè- LE THÉÂTRE 1912-1913 327 ces neuves, fortes, hardies sans esbroufe, qui aient été jouées depuis dix ans. Elle obtint naguères, à l'Œuvre, un succès sans exemple, puisque les piè- ces y doivent être jouées régulièrement deux ou trois fois, et qu'elle eut dix-sept représentations. Elle a pourtant tout ce qu'il faut pour ne plaire à per- sonne. Les auteurs ont osé toucher la question juive; et comme ils n'insultent pas les juifs, ils ne se mé- nagent aucune sympathie dans le camp antisémite ; mais comme d'autre part ils leur disent certaines vérités, attristantes plutôt que désobligeantes, ils ne donnent pas moins d'ombrage aux juifs. Il n'y a point, dans ces trois actes, trace d'habile malveil- lance ni pour un parti ni pour l'autre ; il n'y a point de caricature ni, à proprement parler, de satire ; MM. Savoir et Nozière ont même résisté à la tenta- tion de crayonner avec trop d'ironie le jeune noble coureur de dots, ou le prélat mondain. Ils ont fait de Mgr Lecourtois un homme d'église politique, d'infiniment de tact et d'esprit, qui veut bien ramener les âmes à Dieu, mais qui ne veut pas les rafler. Ils n'ont pas refusé le comique, qui à mainte reprise jaillissait de leur sujet même. Leur comédie cepen- dant est sérieuse, parce que nulle part elle ne s'amuse aux surfaces elle pénètre jusqu'à l'intime des sen- timents, elle cherche, elle trouve et elle illustre la cause secrète des gestes. La psychologie des per- sonnages est juste, complexe et inconséquente, parce qu'elle est profonde. Jamais MM. Savoir et IVozière ne prêtent à leurs 328 LE THÉÂTRE 1912-1913 créatures un mobile unique, élémentaire, exclusive- ment mesquin et vil, ou noble. L'essentiel de leur pièce est l'attrait qu'exerce la religion chrétienne sur tous les membres d'une famille, d'une tribu juive déracinée, transportée de Francfort à Paris ; et certes tous obéissent plus ou moins à l'intérêt, intérêt d'affaires, snobisme ; mais ils obéissent en même temps à des influences plus mystérieuses, à l'inquiétude héréditaire du juif nomade qui. après tant de siècles, voudrait enfin se fixer, qui souhaite une patrie, et qui sent qu'on pourrait donner de la patrie à peu près la même définition que Salluste donne de l'amitié Vouloir et ne pas vouloir les mêmes choses ». Ils sentent que la religion est ce qui lie entre eux les hommes le plus fortement, et que leur religion est ce qui les sépare. M me Bloch veut conquérir les salons en se conver- tissant avec fracas, mais peut-on suspecter la sin- cérité de cette néophyte, si, contrairement à ce que Napoléon disait de la France, elle a en elle assez de religion pour hésiter entre deux religions, la catho- lique ou la protestante, et si elle apporte de sur- croît dans cette controverse tout l'esprit de subtilité d'une talmudiste ? Hélène Blbch n'aurait peut-être pas songé au baptême, si elle ne songeait aussi au mariage ; mais, dès qu'elle a ouvert le catéchis- me, c'est le baptême qui est la grande affaire. Elle souffrait obscurément d'appartenir à une race où les femmes sont à peu près exclues du temple ce qui la séduit dans le christianisme, c'est que Jésus est LE THÉÂTRE 1912-1913 329 le dieu des femmes. Elle l'attendait, et elle s'élance à lui d'une telle ardeur, qu'après s'être convertie pour se marier, elle ne se marie point, et entre su couvent. Le père lui-même, si préoccupé qu'il soit des résultats matériels d'une conversion, a encore des arrières-pensées mélancoliques, des hésitations et des scrupules. Seul, le fds aîné, André Bloch, ne paraît guère se soucier que d'être reçu, et n'a hâte de devenir chrétien qu'afin de pouvoir sans inconvé- nient épouser une juive riche ; mais, en revanche, le fds cadet, qui a, lui, toutes les tares physiques de la race, qui est laid, crépu, malingre, tend les bras à Jésus, dieu des humbles, et consolateur des disgraciés. Cette figure de Lucien Bloch est une des plus curieuses de la pièce, ensemble, par un assez bizarre mélange, touchante et peu sympathique. Elle fait opposition à la superbe figure de l'aïeule, qui survit presque centenaire, fière de la fortune et de la situa- tion acquise, encore ambitieuse, capable de com- prendre tous les calculs, tous les sacrifices, même de conscience, et cependant qui désapprouve, juive immuable, cet abandon de la tradition et de la foi des ancêtres. Ça, dit-elle en son jargon de Franc- fort, ça je n'aurais pas fait. » Et quand, restée seule avec son pauvre petit-fils Lucien, elle l'entend qui lit une prière Adorable Jésus, divin modèle de la perfection à laquelle nous devons aspirer, je vais m'appliquer... », elle lui retire le livre des mains et prononce avec solennité le grand acte de foi de sa 330 LE THÉÂTRE 1912-1913 race Ecoute, Israël, l'Eternel est notre dieu, l'Eternel est un. » Le succès du Baptême à la représentation d'hier a été éclatant. Il réjouira tous ceux qui aiment à voir, de temps à autre, une belle chose réussir. Les personnages de cette pièce forment une véritable galerie de types ; aussi n'est-elle pas fort aisée à dis- tribuer et à interpréter. Elle a été cependant fort honnêtement jouée, — très remarquablement par M. Lugné-Poé, ainsi que par M me Jeanne Cheirel. 13 Juin CHATELET. — La Plsanelle ou la Mort parfumée, comé- die en un prologue et trois actes de M. Gabriele d'Annun- zio, musique de scène, prélude et danses de M. Ilde- brando da Parma. Lorsque par hasard le public ne s'est pas très bien tenu à une répétition générale, l'auteur et le direc- teur mécontents ne manquent point de dire que ces gens-là n'ont aucune notion de la civilité puérile et honnête ; car ils étaient des invités, obligés comme tels à une perpétuelle et courtoise approbation. Je n'ai jamais souscrit, pour ma part, à cette doctrine. J'estime que, les soirs de générale, nous sommes de service, et non point toujours volontaire, et que, si nous n'achetons pas à la porte en entrant le droit de siffler, nous ne laissons pas cependant de la payer LE THEATRE 1912-1913 331 assez cher quelquefois. Mais hier, par exception, nous Minus bien des imités. i\os coupons, qui por- taient les noms de M me Ida Rubinstein et de M. Ga- briele d'Annunzio, en taisaient foi. La critique est donc désarmée, elle doit se réduire à une manifes- tation de politesse, à laquelle je m'associe bien vo- lontiers, — en priant seulement que l'on m'excuse, si mon tempérament plus calme ne me permet pas de pousser la déférence jusqu'à l'enthousiasme et jusqu'au cri, comme faisaient hier soir, dès la chute du rideau, après le silence morne des actes, cer- tains des admirateurs probablement plus intimes du poète et de sa belle interprète. Je suis bien aise d'avoir cet excellent prétexte pour vous parler peu ou ne vous parler point de la Pisanella elle-même. Je serais, à la vérité, bien em- pêché de le faire. J'ai la plus grande admiration pour M. Gabriele d'Annunzio, et même une admi- ration, dans une certaine mesure, effrénée ; car les sentiments qu'il inspire doivent être, ce me semble, au même diapason que ceux de ses personnages passionnés. Il est, en italien, un poète merveilleux, et miraculeux en français. Il sait notre langue com- me je souhaiterais à la plupart de nos compatriotes et confrères de la savoir. Il est aussi un grand hom- me de théâtre, et la Crinrnnda est vraiment une chose de beauté ». Je ne peux pas douter que la Pisanelle ne soit aussi une belle délivré, et que nous ne devions à la lecture y apercevoir des grâces, des témérités, des splendeurs d'images, qui seront ton- 332 LE THÉÂTRE 1912-1913 jours assez latines pour ne nous paraître pas étran- gères. Je me persuade aussi que nous y retrouverons la logique et la clarté méditerranéenne ; oui, nous serons étonnés que l'on ait pu nous la défigurer hier soir au point de nous la faire paraître incohérente. Mais un système étrange de déclamation, où alter- naient le hurlement et le murmure, tous deux éga- lement inarticulés, nous a empêchés de saisir un seul vers blanc, un mot, une syllabe ; et nous se- rions réduits à des hypothèses sur le sujet même de la pièce, si une réclame abondante qui passe un peu la permission ne nous avait d'avance infor- més de tout ce que nous devions à la rigueur savoir, pour ne pas nous croire durant la représentation déchus de notre intelligence, mais frappés seule- ment de surdité. Nous savons donc que la Pisanelle est une femme de Pise, amenée par des corsaires à Famagouste, dans l'île de Chypre. Ce n'est qu'une pauvre petite courtisane, mais sa venue monte les imaginations, déjà passablement échauffées et brouillées. Cer- tains des personnages, notamment l'oncle du roi, sont hantés par les souvenirs du paganisme et de Vénus, souveraine de l'île. D'autres, et le roi lui- même, sont des chrétiens mystiques, des disciples fervents et humbles de François d'Assise. La Pisa- nelle arrive au moment que l'oncle du roi vient de raconter une histoire de statue épousée par un mau- vais plaisant, qui rappelle une nouvelle célèbre de Mérimée ou le livret de Zampa, et au moment que le LE THEATRE 1912-1913 333 jeune roi, à qui l'on propose en mariage toutes les jeunes reines ou princesses d'Europe actuellement disponibles, déclare qu'il n'épousera aucune d'elles, mais de préférence dame Pauvreté. Je n'ai pas bien démêlé si la Pisanelle semble à ce petit roi dame Pauvreté en personne, et si elle apparaît à son oncle comme une incarnation de Cvpris, une femme de pierre analogue à celle dont l'histoire a été racontée tout à l'heure, ou simplement comme une courti- sâtes fort désirable. Toujours est-il que le roi met la Pisanelle dans un couvent où elle a, avec les nonnes, une conversation interminable à propos de figues, que l'oncle du roi vi^nt l'enlever, et que le roi tue son oncle. C'en est trop la reine mère, après avoir feint de flatter la Pinasellej la grise, ce qui l'excite à danser, puis, faisant tenir deux tigres tout prêts en cas qu'il soit utile, appelle une douzaine de haladins armés de bouquets de roses et ces ba- ladins, après avoir, si j'ose dire, srigoté d'une façon assez ridicule autour de la Pinaselle qui danse tou- jours. Y étouffent sous les fleurs c'est la mort par- fumée. J'ai goûté la musique de scène de M. Ildebrando da Parma. Quel beau nom. quoi qu'en dise Boileau ! Je ne puis croire que ce soit un pseudonyme, comme on me l'a prétendu. Cette musique est inspirée du plus oricinal de nos compositeurs français elle n'est donc originale qu'au second degré, mais elle est toujours en situation. Les décors de M. Bakst sont d'une beauté barbare ; ils manquent parfois 334 LE THEATRE 1912-1913 d'harmonie, mais il n'offensent ni le bon sens ni même le goût, et eette fois du moins on peut presque toujours assigner un nom aux divers objets qu'ils représentent. Les costumes sont proprement admi- rables. Nous avons eu peut-être de la peine à rete- nir le nom de M. Wsewolode Meyerhold, mais on nous l'a répété si souvent depuis un mois que nous ne l'oublierons plus. C'est lui qui a réglé la mise en scène. Il fait jouer toute la pièce au dernier plan de cet énorme théâtre, ce qui ne rend pas l'acousti- que meilleure ; mais les groupements de foule, les mouvements d'ensemble ou individuels, et les moin- dres attitudes sont des inventions du plus beau style, et sur ce point l'effet n'a pas démenti la pu- blicité préliminaire. Plusieurs des interprètes sont fort intéressants. M. de Max, dans le rôle de l'oncle du roi, a une fois de plus témoigné qu'il n'est pas un improvisateur, et qui s'abandonne à son seul génie, mais au con- traire le plus savant et le plus discipliné des tragé- diens. M. Hervé, qui nous avait accoutumés à un jeu plus mesuré, nous a étourdis par la violence de ses cris et de ses gestes. M. Joubé n'a pas crié moins fort, ni ne s'est pas tordu moins. M. Puyla- garde a eu le grand mérite de jouer avec force, intelligence et sincérité, un personnage dont il m'est impossible de comprendre la fonction dans la pièce. M me Eugénie Nau a bien composé le rôle de la devine. M me Suzanne Munte est bien la reine, poli- tique, ambitieuse, et au besoin meurtrière. Je ne sau- LE THÉÂTRE 1912-1913 335 rais, pour les motifs que j'ai allégués au début de cet article, louer Mme Ida Rubinstein qu'avec une extrême réserve. Mais nous devons la remercier une fois de plus du spectacle dont elle nous a réga- lés. Ce fut, comme on disait dans le français du temps de Corneille, un cadeau » magnifique. Ce fut aussi, malheureusement, une de ces épreuves où se soumettent de leur plein gré certains philosophes qui répudient les principes de la morale tradition- nelle, mais qui veulent être, de temps en temps, ascètes en amateurs, par orgueil ou par curiosité. Cette épreuve-ci nous a permis de mesurer, et non sans une fierté légitime, quelle prodigieuse force de résistance le savoir-vivre nous donne contre l'ennui. 15 Juin GRAND-GUIGNOL. — L'Affaire Zézette, pièce en un acte, de MM. A. Vély et L. Mirai ; la Buvette, pièce en un acte, de M. Pierre Montrel ; Terres chaudes, pièce en deux tableaux, de M. Lenormand ; la Petite Dame en blanc, comédie en un acte, de M. Paul Giafferi ; Dans la Pouchkinskaïa, drame en deux actes, de M. Gaston- Charles Richard ; la Réussite, de M. Max Maurey reprise. Le nouveau spectacle du Grand-Guignol est varié, intéressant. Je le recommande volontiers à toutes les personnes qui n'aimeraient pas mieux aller pren- dre le frais au Bois, ou simplement, comme Sarcey, à la Comédie-Française. Il se compose d'un drame 336 LE THÉÂTRE 1912-1913 nègre, d'un drame russe, et de quatre petites comé- dies, dont l'une, la Réussite, de M. Max Maurey, déjà représentée naguère, mérite sa réputation. L'une des trois autres, intitulée la Buvette, est un tableau de mœurs parlementaires et a naturellement pour auteur un député. La satire est gaie, juste, et il y a même, Dieu me pardonne, des clefs à cette buvette. Des deux comédies qui restent, l'une est une histoire de diamant, l'autre une histoire de col- lier de perles. Quelle fortune, mon empereur ! Le diamant est saisi, rendu, repris et donné. Le collier est perdu, trouvé, volé, restitué, et tout finit, pour lui comme pour le diamant, à la satisfaction des spectateurs. Des deux drames, le nègre et le russe, c'est le russe qui est le plus noir, si j'ose me permettre cette plaisanterie d'été car il se termine par une fusil- lade générale. L'autre, qui aurait pu être intitulé familièrement le Cafard, est une étude de mœurs coloniales. Elles ne sont pas belles. Il semblerait, d'après M. Lenormand. que les blancs, sous pré- texte de civilisation, n'ont importé chez les nègres que la méchanceté gratuite, le sadisme. Cette plante funeste a prospéré merveilleusement sous les tropi- ques, et les personnages nègres de la pièce sont encore pires que les personnages blancs. M. Lenor- mand a curieusement modifié, pour l'adapter à un tel sujet, l'esthétique ordinaire du mélodrame, et nu dénouement les méchants sont récompensée, tan- dis que les bons sont impitoyablement punis. Cette LE THÉÂTRE 1912-1913 337 conclusion, qui ferait scandale à l'Ambigu, ravira les clients ordinaires du Grand-Guignol. Les six pièces que nous a données M. Max Mau- rey sont, comme d'habitude, fort bien jouées, avec un grand esprit de solidarité les artistes du Grand- Guignol ne se soucient pas de briller individuelle- ment, et chacun se sacrifie à l'effet d'ensemble. 20 Juin THEATRE MICHEL. — Les Sauveteurs, un acte, de M. Claude Gével ; l'Amour à quinze ans, fantaisie en un acte, de M. Chappe ; le Démon, esquisse de M. Edmond Fleg ; la Lettre du soir, jeu d'acteurs, de M. Séverin-Mars. La vie, dit-on, serait supportable sans les plaisirs. MM. les directeurs de théâtre estiment que nous n'en avons pas encore notre content, et ils ont in- venté les saisons d'été. Il paraît que la clôture du théâtre Michel était un deuil public, au moins pari- sien le théâtre Michel vient de rouvrir, réjouis- sons-nous. Pour ne point nous charger l'estomac, M. Mortier nous a offert un spectacle coupé. D'abord, M Ue Mona Gondré nous a chanté de petites chansons anciennes. Cela n'est pas de ma compétence. Toutefois, puisque M" 9 Mona Gondré joue aussi la comédie, elle me permettra bien de lui donner un conseil qu'elle 338 LE THÉÂTRE 1912-1913 songe à l'enfance. Cette heure bénie va sonner. Vous avez quatorze ans, mademoiselle, vous n'en aurez bientôt plus trente. M. Stéphen, en revanche, a prodigieusement quinze ans, dans la fantaisie de M. Chappe. M me Annie Warley marque un peu plus, et c'est tant mieux, car la loi autorise la pratique de l'amour à cet âge, mais je ne sais pas si elle en autorise le spectacle. La Lettre du soir, de M. Séveriiî Mars, est un jeu d'acteurs ». Je me demande, sans trop d'an- goisse, si cela me concerne. Je me pose la même question à propos du Démon, de M. Edmond Fleg, qui est une esquisse ». Je suis bien sûr, en effet, que ce n'est pas une pièce. Les personnages, deux amants, qu'une haine réciproque rive l'un à l'autre, commencent à se disputer dès le lever du rideau, sans avoir pris soin de se faire présenter à nous. Mais la scène est âpre et belle, et elle a été jouée remar- quablement par M me Jeanne Iribe, qui fait d'éton- nants progrès. M. Burguet a de la sincérité, mais de la mauvaise humeur. Et pourquoi semble-t-il tou- jours près de pleurer, quand il se met en colère ? J'allais oublier les danses puériles et gracieuses de M me Karina-Karinowa. La reine douairière de Gran- de-Bretagne ne me l'aurait pas pardonné, car elle honore cette charmante ballerine de sa protection • elle est si bonne ! LE THEATRE 1912-1913 339 22 Juin COMÉDIE FRANÇAISE. — Les Ombres, comédie en un acte, en vers, de M. Maurice Allou. L'aimable comédie de M. Maurice Allou répond à un desideratum qu'on a exprimé bien souvent. Les pièces de théâtre ne sont pas toujours intéressantes ; mais il serait neuf fois sur dix passionnément inté- ressant de savoir ce qui va se passer entre les per- sonnages après le dénouement, ce dénouement fût-il la mort. M. Allou ose le premier nous donner un de ces épilogues, que notre curiosité réclamait. Les Ombres sont l'acte supplémentaire de toutes les pièces qui ont pour sujet le collage — dirais-je. si nous n'étions rue de Richelieu. Lycoris et Euryclée, après avoir été ensemble » sur la terre, sont encore ensemble aux enfers, depuis dix ans, et naturellement cela menace de durer l'éternité. Ils en ont assez tous les deux. A ce moment, le mari d'Euryclée, Nisias, meurt ; et comme d'être mari, cocu et veuf, cela n'empêche pas de faire des farces, il imagine de conter à son ancienne femm^ qu'il n'est pas mort, mais aussi vivant qu'Orphée, et qu'il va la ramener à l'étage supérieur, de même qu'Eurydice. Eurv- clée est folle de joie, pour trois raisons première- ment, il lui plaît de revivre, deuxièmement de quit- ter son amant, et troisièmement de reprendre son mari. Quand elle apprend que ce dernier lui a monté ce qu'on appelle, même sur les bords du Styx, un 340 Ltt THÉÂTRE 1912-1913 bateau, elle est bien fâchée ; mais elle se console en présentant l'un à l'autre le mari et l'amant, et en constituant pour jamais un de ces ménages à trois, où réside seulement, ci-dessous comme ici-bas, le bonheur et l'accord parfait. M lle Marie Leconte a joué le joli rôle d'Euryclée avec une grâce, une coquetterie et, si j'ose dire, une canaillerie vraiment infernales. M. Dehelly reste jeune, léger, vif, jusque dans le ténébreux séjour. M. Croué est un mari retors, mais en fin de compte bon enfant, et le Minos que nous présente M. Reynal n'est pas non plus bien effrayant. Je crois môme que c'est le bon juge. 28 Juin PORTE-SAINT-MARTIN. — Tartarln sur les Alpes, comé- die pittoresque en cinq actes et sept tableaux, de M. Léo Marchés, d'après le roman d'Alphonse Daudet. Je crois que MM. Hertz et Coquelin ont mis la main sur la véritable pièce d'été Tartarin sur les Alpes ! Nous y voudrions être nous-mêmes. La co- médie que M. Léo Marchés a tirée du roman célèbre d'Alphonse Daudet n'est pas seulement pittoresque elle est fidèle, elle est ingénieuse, enfin elle est amu- sante. Elle est amusante comme toutes les pièces à LE THÉÂTRE 1912-1913 *il accent. L'accent suffit à provoquer notre hilarité, par l'effet d'un mécanisme que les philosophes du rire devraient étudier. Les auteurs de pièces à accent n'ont pas besoin de se mettre en frais leurs per- sonnages pourraient à la rigueur dire n'importe quoi ; cela du moins permet d'aborder les sujets simples et de faire de l'esprit avec bonhomie, sans chercher midi à quatorze heures. Seulement, c'est tantôt un accent qui nous égaie, tantôt un autre, il m'est impossible de démêler pourquoi. Affaire de mode sans doute. Aujourd'hui, nous sommes tout à la Belgique. Pourtant, boufre vaut god ferdam, et si nous nous pûmons de rire à Sais-tu, monsieur?...» nous n'avons aucune excuse de bâiller à Vous me connaissez, Gonzague... » Ne craignons rien, nous n'en avons pas fini avec ceux de la Provence le Midi remontera. Si les hommes de quarante à cinquante ans m'ont paru, hier soir, en écoutant l'aimable comédie de M. Marchés, rire avec un peu de nonchalance et du bout des lèvres, c'est qu'il est bien mélancolique d'entendre, après un quart de siècle, des plaisante- ries que l'on a trouvées très drôle autrefois. Chose curieuse, cela est presque aussi mélancolique si on les trouve moins drôles, ou s'il paraît qu'elles n'ont rien perdu. Mais les tout jeunes gens et les enfants, qui étaient nombreux hier à Ta Porte-Saint-Martin, riaient à gorge déployée. C'est d'un bon augure pour la carrière de la pièce. Souhaitons que Tarta- rin prolonge, comme on dit dans le dialecte parti- 342 LE THEATRE 1912-1913 culier des chemins de fer, la validité de son billet de retour ; souhaitons même qu'il le perde. Son voyage est bien agréable, puisqu'il lui arrive encore des aventures ; et l'on prétendait qu'il n'en arrive plus ! Il est vrai que ces aventures ne paraissent pas dater tout à fait d'aujourd'hui, ni même d'hier, et M. Marchés n'a peut-être pas raison de faire plu- sieurs fois répéter au héros d'Alphonse Daudet que nous sommes en 1913. S'il avait gardé les chiffres de l'autre siècle, la peinture de l'hôtel du Righi-Kulm nous eût fait peut-être l'effet d'une peinture exacte, et non d'une caricature, d'ailleurs bien plaisante. Et, qui sait ? Les nihilistes russes auraient pris un petit air historique, sans rien atténuer de leur fan- taisie. Mais qu'importe ? On s'intéressera sans y croire — et n'est-ce pas justement ce qu'il fallait ? — aux amours de Tartarin et de Sonia; on ne prendra pas trop au sérieux, ni les dangers que court notre allié le tsar que Tartarin appelle familièrement Nicolas, ni ceux que Tartarin court lui-même en escaladant le mont Blanc ; on ne tremblera pas plus qu'il ne sied quand la corde rompt et qu'il glisse on ne s'étonnera pas, ne l'ayant qu'à demi cru mort. de le voir soudain reparaître à la séance du Club alpin, où la fanfare joue une marche funèbre ; et lorsque la marche funèbre se change brusquement en Marseillaise, on s'associera volontiers à la joie des Tarasconnais, en répétant avec eux le refrain de l'hymne national ; on s'y associera d'autant plus LE THEATRE 1912-1913 343 volontiers qu'il est un peu tard lorsqu'enfin cette Marseillaise éclate. Tartarin sur les Alpes est magnifiquement mis en scène. La monotonie était à craindre rien ne ressemble à un glacier comme un autre glacier ; mais rien ne ressemble moins à un décor de M. Jus- seaume qu'un autre décor de M. Jusseaume. Il était aussi bien difficile de donner, sur un plateau de théâtre, l'illusion d'une marche ascensionnelle. Je ne dirai pas que l'on ait réussi tout à fait à en donner l'illusion on a du moins donné la charge, et elle est fort amusante, je se saurais trop souvent répéter cette épithète. M. Vilbert, dans le rôle de Tartarin, est simplement admirable, d'intelligence, de naturel, d'autorité. M me Leone Devimeur est au^si Russe et aussi nihiliste que le texte de son rôle l'au- torise à l'être ce n'est pas beaucoup mais elle est charmante, et les femmes n'ont pas trente-six fa- çons de charmer selon les latitudes. MM. Lorrain, Chabert, Rasseuil. bien d'autres encore, M mes Dorsy, Gravil, Dancour, ont fort adroitement composé et. dessiné les physionomies de leurs rôles, petits ou grands. Imp. L. Caillot et Fils, Rennes. BIBUOtHCCA 1 g s n t 9 La Bibliothèque Université d'Ottawa Échéance JAN 2 6 \27\ The Library University of Otta< Date due a39003 00239136^b CE PN 1655 .H4 1914 COO HERHANT, ACC 1208954 A8E LE THEATRE {
Cest derrière sa Majesté que les Avengers et leurs super-héros, ont batifolé avec les fées papillon ainsi que le grand classique revisité du Le père Noël est une ordure, devançant El
🙏 Je suis aux anges ma cop' m'a demandé d'être son témoin cet été.. 😃 Le hic...bah maintenant, il faut trouver des idées pr le jour de l'enterrement de vie de jeune fille... 😮 Le bintz, ses témoins st éloignées et pas ds la même région 🙅 LA future mariée est en charente maritime 😒 L'une à internet, pas l'autre, reste juste le tél..ouff, heureusement qu'il existe..lolBah oui, car il y aura apparement une dizaine de personnes dc question organisation.. 🤪 Une bonne chose, le jour est fixé.. bon, les témoins arriveront qu'en soirée.. pas l'choix!.. distance & prix!..Et là..on se dirige vers un ti resto sympa..avec surprises, suivi d'une boîte..bon, j'essaie de chopper des idées à dte/à gche..mais,si vs avez des idées.. 😎 je vs lirai 😄[NB Pour la décrire.. elle aime la gym, danser en boîte techno/zouk,prendre soin d'elle, le shopping, les photos, son chien,les mag'"peoples/féminins", les experts.. tt ça 👋] & le net', dc je fais gaffe, elle risque de me lire.. 😇 > Ah, je sais qu'elle n'espère pas avoir le ridicule du déguisement.. 🙅 😁 dc je me suis mise à la recherche..et je vs demande conseil.. 😉 ??? Alors des idées ??? ..... ❓

Tiréd’une pièce de théâtre, Le Père Noël est une ordure se déroule principalement dans les locaux de SOS Détresse Amitié. Dans le film, l’adresse donnée est le 17 rue Montmartre, mais l’immeuble filmé se trouve au 17 rue du Faubourg-Montmartre. Les rebondissements s’y multiplient et les répliques devenues cultes fusent. Celle où Pierre (Thierry Lhermitte) répète

Programme off17Published on Jun 23, 2017Le programme du festival d'Avignon OFF 2017Web Contact
Lesoir de Noël, à la permanence téléphonique parisienne de l'association « SOS Détresse Amitié », des bénévoles sont perturbés par l'arrivée de personnages Colchique dans les prés... - Piqueuse really late Evidemment que ça craint un max, tu organises des défis coutures et tu rends ta copie à pas d'heure ou pas d'jour... de toutes les façons chez les piqueuses de jases on a le droit d'être à la bourre, on n'est pas obligée de publier à date fixe et même qu'on a jusque la veille du défi suivant pour publier... bon c'est vrai j'abuse mais hein... c'est pour la bonne cause... j'ai passé le nez sur une affaire qui m'occupe beaucoup et qui effacera mon ardoise à tous les coups. Donc pour ce défi des piqueuses de jases La feuille d'automne... j'ai choisi de coudre une Twist de Vanessa Pouzet. Je me rends compte que c'est certainement la jupe d'hiver que je préfère coudre... simple, effet boeuf, simple... plaisir de choisir un tissu qui peut "vraiment" s'accorder en jupe et qu'il faut pouvoir assumer... enfin non, je pense qu'avec cette jupe et les tissus il faut surtout savoir se projeter... c'est bien ce que j'ai fait. Pendant ma visite à CSF j'ai été carrément raisonnable puisque je suis partie en quête des tissus avec le métrage nécessaire en main. Ce qui m'évite d'acheter 1m50 de tissu car j'ai toujours peur de manquer. Ben quoi??!!! On voit bien que vous n'avez jamais fait la guerre vous... bon moi non plus... enfin si un peu... mais en attendant - prévoyante la meuf - je stocke... J'essaye d'expliquer à Loulou que le marché noir de tissu ça existe et je me vois bien faire une traversée de Paris avec un coupon de Liberty dans une valise après le couvre-feu... MAIS cette fois-ci à Paname j'ai surtout traversé les allées du CSF pour pêchot des tissus pour mes projets dont la TWIST fait partie. Alors j'ai hésité... et je suis revenue sur mes pas pour acheter un tissu coup de coeur chez Christel G. Design small bouquet of flowers pour le recto de la jupe que j'ai assorti au verso avec le vintage bleu. je vous glisse les liens de chez Rascol, et pour finir un passepoil jaune du stock. Que dire sur ces tissus et bien... ils sont TOP! très agréable à coudre et le motif vintage mais pas trop, juste comme il faut que cela soit pour éviter de faire croire aux scientifiques qu'une expérience arriériste vous a laissé des séquelles. Aurions nous une Orla Kiely sur l'hexagone? J'espère que cette collection Forrest Vintage est le présage de prochaines collections prometteuses. Pour revenir au modèle TWIST... je vous ai dit que c'était simple 3ème fois, je reconfirme... avec des astuces de feignasses... j'ai été tellement feignasse que je m'en suis passée mais à vrai dire j'aime autant. J'ai opté pour les plis devant, c'est suffisant. La jupe est un 3 ans en longueur ainsi que la ceinture, par contre pour l'élastique mes boulets sont fichues comme des brindilles donc je dois beaucoup raccourcir! Pour ce qui concerne la feuille... bon là c'est la loose... je voulais faire mes photos ce dimanche et quand j'ai commencé a canarder j'ai eu un éclair de lucidité 20 mn plus tôt Loulou me disait "je balayes les feuilles dans le jardin" et moi "oui".... AAAAAAAAAAAAAAAAhhhhhh enfer et damnation.... du coup on se contentera d'une rescapée du laurier... la loose... mais la feuille y est! ** NB je crois que je suis entrain de perdre mes filles en contradictions car je dis constamment "les feuilles c'est dehors, pas dans la maison" et forcément Minouche ne s'est pas privée pour me dire "je croyais qu'on n'avait pas le droit de mettre des feuilles dans la maison?"... je ne sais pas vous mais c'est assez chiant quand nos enfants finissent pas comprendre ce qu'on leur dit depuis des lustres et qu'ils nous prennent à défaut avec! ** Photos maestro! heuuuu... notion de recto/verso pour Chifoumi... La feuille d'automne! Hey Hey tentez de gagner du Tissu de Christel G. Design en vous inscrivant à la newsletter clic-clic et les autres piqueuses elles assurent par ici Just about... Youhouuuuuu encore en tag!!! Cette fois c'est Les Bricouderies de Penelope qui s'y colle... merci, vraiment merci... Bon aller en vrai même si c'est chiant de répondre à un tag il faut admettre que c'est carrément génial de se faire taguer. Bon et puis vous savez ce n'est pas comme si je n'avais jamais rien à dire. D'ailleurs je passe beaucoup plus de temps à parler en silence juste au bruit du tapotement de mes doigts sur le clavier qu'à palabrer sur la pluie et le beau temps avec mes voisins. Donc principe du TAG tu dis 11 choses sur toi, tu réponds à 11 questions et tu retagues tes copines sauf que moi à force je n'aurai plus de copines... donc comme j'en dis déjà beaucoup sur moi, je squizze la première partie et la dernière. C'est bien connu que c'est le milieu donc le coeur qui est le plus savoureux. Les 11 questions 1- Pourquoi le nom de ce blog? il fallait bien que je mette quelque chose quand j'ai créé ce blog, je n'y avais pas réfléchis avant. Finalement moi qui traîne en longueur dans mes textes j'ai un nom de blog à rallonge, une "expression" qui définit on ne peut mieux la chieuse au coeur tendre que je suis, et puis il faut dire que personne n'est insensible à cette citation qui vous met au minimum un sourire en coin. Je crois que si je pouvais changer de nom de blog et bien je n'en changerai pas. Je vois souvent des adresses de blog qui n'ont plus rien à voir avec l'intitulé de la bannière, je suppose que parfois on a besoin de se redéfinir. Ce n'est pas encore d'actualité ici. 2- Qu'aimes-tu coudre? je crois qu'on peut aisément dire que je prends mon pied à coudre des accessoires! 3- Qui est ton mentor de la couture? hahahaha... mentor?? c'est une blague? je n'ai pas de mentor. Je ne m'intéresse pas assez à la haute couture pour dire que j'aime ce que fait celui-ci ou celui-là. J'admire plus les filles débutantes ou plus averties en matière de couture qui arrivent à te balancer des trucs absolument géniaux. Je trouve que sur la blogo il y a matière à inspiration, cogitation et émulation. Je vois des choses absolument formidable, cela me motive. 4- Où trouves-tu ton inspiration couturesque? Un peu partout. Mais je crois que mon inspiration est dans l'utile et le joli. Je couds rarement pour rien, en général une couture est issue d'un besoin maintenant tout de suite. 5- Quel est ton projet actuel niveau couture? Heu alors en parallèle j'ai le projet couture pour Couture Lin, des cousettes pour les copines, des cadeaux, des robes... 6- A quel moment de la journée couds-tu le plus? Mais yé couds toute la journée! en fait le matin après 3 cafés 7- Depuis quand couds-tu? Depuis au moins 3 ans 1/2 et un peu avant rideaux, plaids, coussins... 8- Plutôt livre de couture, tuto gratuit sur le net ou free style total? number 1 et patrons téléchargeables mais pas gratuits! 9- Qu'aimerais-tu faire en couture que tu n'as jamais osé? un déguisement! 10- Où couds-tu? Dans le cagibi le cellier dans une pièce genre placard riquiqui pas chauffée donc je me les gèle! 11- A noël tu as commandé des cadeaux en relations avec la couture? Je n'ai pas encore fait ma liste mais j'apprécierai un bon d'achat chez Mam'zelle Fourmi que Loulou le père Noël serait bien inspiré de m'offrir que je puisse aller papoter chez Sandra et admirer le travail de son assistant! Voilà voilà... merci Pénélope! Custo-custo Le titre de ce post aurait dû être Custo-Casto mais malheureusement j'ai acheté mon matériel chez Leroy Merlin... D'ailleurs si vous croisez le roi Merlin, dites-lui que la petite Minouche est vraiment fan... Oui oui je sais, avec Loulou on est des teignes à faire croire des bêtises à nos filles mais Minouche croit tellement aux princes et princesses on a le DVD du mariage de Kate et William c'est dire!! que c'est trop facile... Bon samedi je lui ai fait croire que c'était le vigile en costume à l'entrée qui était le roi et qui accueille tous les gens qui rentrent dans son magasin royaume du bricolage.. du coup quand on est partis "j'ai pas dit au revoir au roi"... il était parti en pause mais ouf il est revenu 2 mn plus tard et moi j'étais cachée dehors à mater ma Minouche venir se positionner devant le roi avec le Big Smile et lui dire au revoir en minaudant... et encore plus gros smile quand elle est revenue en me disant "il m'a dit au revoir Petite Fille"... ahhh faire le bonheur avec rien c'est tout bonus... donc bref, on a été chez Leroy acheter du matos c'est pas de la drogue hein! domino, mèche de visseuse, ... et donc loin loin au fond d'un rayon des boites... en soldes... genre que personne ne veut parce que les emballages sont vilains et abîmés... mais moi à 2 euros, je m'en fiche de l'emballage. Donc... aller j'en prends une, aller 2... bon 3. Ces boites à tiroirs empilables sont des MiniQbox et je crois que je peux dire que j'ai fait du mieux avec du pas terrible j'essaye de ne pas trop me la jouer, rapport qu'on ne puisse pas dire dans les com que je me la pète et que je me passe de la crème dans le dosd'ailleurs c'est vachement dur de se passer de la crème dans le dos toute seule Avant... check tes deco nature zen... Et comme je ne suis pas une fille nature enfin pas dans ce sens là en tous les cas, ni très zen... Après Festival de Liberty Mitsi... Bon la Qbox vous permet de personnaliser vos boites, comme je ne suis pas addict aux petits chats et que je n'avais pas envie de voir la trombine de mes nanas qui sont déjà encadrées aux quatre coins de la maison, il était évident que j'allais mettre du tissu en avant. Au départ j'ai juste découper les rectangles de Liberty mais c'est si fin que cela gondole, donc j'ai renforcé le tissu avec une couche de thermocollant. et BANCO! ça le fait carrément et en plus elles sont ultra pratiques vu que le tiroir coulisse vraiment bien. Du coup j'en ai placé deux dans mon cagibi atelier et une dans ma salle de bain. Maintenant je vous le dis... j'aurai dû en prendre une dizaine! je regrettefaut que j'y retourne cette semaine Un petit bricolage vraiment rapide, simple et au final plutôt économique! Tutuyutu Et voici ce qui arrive quand je coud du Forrest Gump et que la folie nous gagne chez ma petite soeur! Bon en fait à la base il y a une vidéo de Minouche faisant sa Véronique et Davina coachée par ma sister mais... après réflexion, je ne souhaite pas partager cette vidéo tout simplement parce que je n'ai pas envie de retrouver ma louloute sur You tube c'est trop vite fait! et surtout quasi-impossible à enlever... Donc on se contentera de la version Tutuyutu back in the 80' avec ma boule qui a trop trop trop kiffée de pouvoir mettre de VRAIS patins à roulettes! Patins et guêtres de dansede tatie, bandeau et poignets de sport de bibi quand je faisais du sport... J'espère que vous avez remarqué les lunettes de Gigi de Minouche... je veux les mêmes! et pour bien commencer la journée D'ailleurs Véronique et Davina me remerciaient déjà personnellement dans la première émissionle pluriel est pour mes multiples personnalités! Just about - versatile Blogger award 1 Okay! Bon je suis taguée par Le coussin du singe, et pour une fois je vais répondre presto car avec celui-là je n'en aurai plus que 3 de retard... Donc as usual je dis des trucs sur moi 7 en fait. Je remercie platement Alice qui se cache derrière ce joli blog, oui je dis nonchalamment joli pour ne pas dire "foncez y a de la cousette de poulettes de ouf là-bas!" Par contre, par contre... je ne relaye pas parce ce n'est pas encore la saison du tag! et qu'à force de taguer on je tourne en rond. 1- Beaucoup de mes phrases commencent par "oui mais..." ou "non mais..." variante "oui mais dis donc" ou "non mais dis donc"... maintenant que je l'ai dit mes copines vont être à l’affût. Cette manière d'abonder pour contredire pour apporter de la matière à débattre c'est une de mes spécialités. 2- quand on me coupe la chique je dis "oui mais euh" ou "non mais heu" mais cela peut également signifier que j'ai perdu le fil de la conversation. 3- On a appelé notre chat Mai'heu, du coup cet abruti rapplique tout le temps! 4- Au départ je voulais l'appeler Méheut comme Mathurin Méheut le peintre, mais Loulou n'a pas voulu et comme on dit tout le temps "mais heu..." bref, je ne vous ai jamais parlé de Mathurin Méheut? Un de mes peintres préférés, j'apprécie énormément son oeuvre. Attention, attention on est loin des standards de la blogo pas de losanges, pas de triangles, pas de moustache... des lignes pures et modernes. 5 - J'ai faillit me battre dans le métro. Disons que j'ai bien bousculé le vieux moche en marcel au torse poilu qui a essayé de m'en mettre une. Cela fait plus de 15 ans et avec ma soeur on en rit encore! 6 - j'ai un soucis de la gestion de la priorité. En gros si on ne me harcèle pas... 7 - des fois souvent je regrette ce que je dis comme au point 6 Merci Alice pour ce TAG! La première séance Forrest Gump 14 Forrest traverse le pays en courant Forrest Gump Et ce jour là, sans raison particulière, je décidai d'aller courir un peu. Alors j'ai couru jusqu'au bout de la route, et une fois arrivé là je me suis dis que je pourrais courir jusqu'au bout de la ville. Et une fois arrivé là je me suis dis que je pourrai courir à travers le compté de Grinbow. Et puisque j'étais déjà allé si loin, autant courir à travers le grand état d'Alabama. C'est ce que j'ai fait, j'ai couru droit à travers l'Alabama. Puis sans raison particulière j'ai continué à courir, j'ai couru droit vers l'océan. Et une fois arrivé là bas, puisque j'étais déjà allé si loin autant faire demi tour et continuer ma course. Et j'suis allé jusqu'à un autre océan. Et puisque j'étais déjà allé si loin autant faire demi tour et continuer encore. Quand j'étais fatigué, je dormais. Quand j'avais faim, je mangeais. Quand je devais aller aux... Enfin vous savez... J'y dame Et alors ? Vous courriez tout le temps ? Forrest Gump Oui. ... Forrest Gump Maman disait toujours Il faut laisser le passé derrière soi, si on veut avancer. Et je crois que c'est à ça qu'a servi ma course. J'ai couru pendant trois ans, deux mois, quatorze jours et seize heures. Photo tirée de Forrest Gump. Réalisé par Robert Zemeckis. 1994. Rendez-vous dès demain sur le blog de Charlotte pour voir la suite Okay les Meufs! Alors là... faut que je vous dise que je suis tombée dans un traquenard absolument terrible. Bon déjà des trucs secrets - partie carrément excitante - Rabbi Jacob il te dit Voui. Un film? Rabbi Jacob il te dit Voui. Forrest Gump! Forrest Gump! ???????? Rabbi Jacob il te dit non! Ouais ben trop tard Rabbi était déjà dans le bateau et comme on avait évacué les femmes et les enfants d'abord il ne restait plus que des couillus sur le rafiot. j'ai pas de couilles en vrai, c'est une imageje précise on sait jamaisnon je ne suis pas transsexuel Comme très souvent je vais à la rame, je voyais des messages s'accumuler jour après jour sur FB et mon poil de la main me démangeait, pourtant je n'allais pas voir ce qui se tramait. Du coup, quand j'ai enfin atteint l'appli FB du bout de l'index, il restait quoi comme scène? et bien étonnamment une des scènes les plus emblématiques celle ou il court forcément! Donc et bien let's go! Facile à dire hein! Bon alors je dois dire que ce projet il m'a plongé dans les affres du doute suprême et moi ce que je ne peux veux? pas faire le jour même, je le renvoie au mois suivant. Et puis sous la pression des "j'ai fini" - Marick je te hais - il aura bien fallu que je croche dedans. Ah oui, j'ai mis presque 2 mois à comprendre que je devais coudre pour une de mes filles et non pas pour Loulou. J'ai revisionné les séquences fin août j'avais le choix entre une tenue de ville masculine que ma fille ne reporterait jamais, un poncho de pluie kaki avec lequel ma nana grillerait toutes ses chances de "fille de blogueuse de ta race!" déjà que ce n'est pas gagné gagné..., ou une tenue de sport vintage recyclable en tenue de sport en pyjama. J'ai respiré un grand coup il me fallait un short rouge et un polo jaune. Direction Myrtille yeux globuleux face au jersey alors jaune pisse du matin ou pisse diluée??? dilemne dilemne! Je demande à une gentille dame, elle me sert le jaune poussin et "il me faudrait du biais aussi du satiné blanc et du vert... du vert... celui-ci... heu non celui là... ou alors celui là... bon montrez moi le jersey jaune... aaah mais c'est infâme... bon celui-là c'est peut-être le moins moche... pffff" et voilà que je lui raconte ma vie "voilà je dois coudre un truc dont je ne suis pas convaincue pour ma fille, vous me conseillez un vert sapin avec du jaune poussin ou un vert granny smith?" Bref... je repars avec mon butin. Pour le short hahahahaha j'avais un modèle parfait dans le Hors série Burda enfants n°37H, modèle 606... il fallait bien que je croche un jour dans ce burda de juillet 2012! Donc Burda and me on s'est compris immédiatement après les menaces de trouillotage à la perforatrice. Modif j'ai fait une ceinture élastiquée puisque je n'avais pas de bord-côte. Pour le polo... haaaa le polo! Je ne sais pas si vous l'avez remarqué je n'ai pas de garçon. Par conséquent pas de patron pour les nains XY. J'ai cherché sur le web un truc simple. Nada. J'aurai pu aller chercher de la ressource chez les copinautes mais moi vous savez je n'aime pas déranger j'étais en stress. Néanmoins je savais que je pouvais au moins customiser une pièce de ma tenue, je me suis dit allons-y gaiement... mais je n'avais pas de tee-shirt jaune et encore moins la gniak d'entreprendre un découpage sauvage de tee-shirt. Un café chez une copine et c'est elle qui m'a donné la solution un col amovible et aussi un tee-shirt jaune de ses filles. Banco! Je suis rentrée à la maison et en 2h c'était bouclé un col claudine de Vanessa Pouzet qui pour l'occasion s'est vu transformer en col pelle à tarte, une boutonnière pour de faux avec des boutons chinés, et j'ai rallongé les manches. En tissu sacrifice d'un mini coupon de chez H&H... vert à coeurs blancs! choupinou mais ultra minus le coupon! Du coup... il me reste le biais vert sur les bras! Ainsi soit-il la tenue est complète! ... et et... et là... je me rends compte que j'ai oublié la casquette... qui est restée à Nantes alors que les photos ont été prises à Brest. Merdoum cacatoum! Par ailleurs, je sens tout de même une pression intense monter alors que j'écris ce post en voyant les siouperbes tenues des copines dejà publiées! J'ai les boules même si je suis carrément amoureuse de mon short! Merci les filles de m'avoir inclue dans cette folle épopée! sondage - info - meet me Okay un post très court Qui va au salon CSF??? Moi j'y suis le vendredi aprem et un peu en nocturne et très probablement le samedi aussi donc si vous croisez un sac betsy porcelaine enduit c'est moi!! je ne mords pas Les Blogueuses de Noël sont des ordures Que de cachotteries n’est-ce pas ? Il suffit parfois d’une plaisanterie lancée au détour d’une conversation pour démarrer une aventure collective en particulier lorsque cela relève du pur délire. Nous sommes les blogueuses de Noël Muriel, Marie-Annick, Emilie, Sophie, Marie-Laure et moi-même. Nos points communs blogueuses et blagueuses. Noël c’est la période de l’année on l’on fait preuve de beaucoup de générosité et de gentillesse. Mais on peut aussi être des femmes généreuses et des ordures. A priori entre la vidéo de vendredi dernier, le titre de ce post et les quelques lignes ci-dessus, cela devrait faire TILT ! Mais OUI ! Bravoooooooooooo ! vous n’avez rien gagné ! on vous a dit qu’on était des ordures ! Les Blogueuses de Noël sont des ordures et elles ont décidé pour dérider encore un peu notre chère blogosphère de vous proposer le OMG ! OMG !OMG ! mais qu’est-ce que c’est que ce truc encore ? Ohhh c’est simple. Nous vous proposons un swap pourri ! alors heureuses ???? A vous les bougies en coquilles d’huîtres, les macramés en laine de Yak, la sculpture en moules… Les règles 1- INSCRIPTIONS * Pour s’inscrire il faut obligatoirement posséder un blog parce que c’est plus drôle ! * On envoie un mail à cette adresse zezetteepousexswap en indiquant NOM, Prénom, adresse, email et adresse de blog. C’est important de tout bien renseigner, sinon vous risquez de ne rien recevoir, ça serait dommage, non ? * Vous n’avez que 2 jours pour vous inscrire donc la limite c’est demain soir minuit ! 2- LE SUIVI * Dès la fin des inscriptions, on secoue toutes vos infos et on vous recontacte pour vous donner les coordonnées de votre co-swapeuse. Vous ne recevrez QUE les coordonnées de celle à qui vous devez envoyer votre colis. Gardez-cela secret ! * Date maximum d’envoi 25 décembre * Vous devez nous confirmer par email la réception de vos colis, afin que nous vous transmettions les coordonnées adresse blog et prénom de l’ordure qui vous a envoyé votre colis. si elle ne l’a pas indiqué dans son colis * Si le 5 janvier vous n’avez rien reçu contactez-nous que nous puissions envoyer un mail à l’ordure qui vous a oublié ! * Le mardi 14 janvier publication sur votre blog avec photos des magnifiques présents reçus celui envoyé et à qui et celui reçu et de qui. 3- QUOI ENVOYER ? Uniquement quelque chose que vous avez créé et qui doit être farfelu, moche, pourri, infâme, bizarre… enfin ce que vous voulez ! Oui on sait que c’est difficile pour des blogueuses créatives et talentueuses comme vous mais on est une ordure ou on ne l’est pas ! Assumez un peu ! Alors…. Vous en êtes ou pas ? Et avec un peu d’avance Joyeux Noël Félix ! Les Blogueuses de Noël sont des ordures Dédicace à La dame du Canal Special dédicace à la Dame du Canal... pour lui faire plaisir! Je ne vais pas expliquer le délire, trop long, trop naze, trop c'est trop! Mais si vous connaissez la chanson, alors ne me remerciez pas, vous l'aurez dans la tête pour la journée! Vous en étiez à "peau de couilles" je crois? Le 12 novembre, 6h30… d’ici là on vous présente toutes nos confuses… Novembre rose - Pink November Bon alors voilà je vais tout vous expliquer mais avant juste une précaution vous savez comme j'étire mes posts donc si cela vous barbe de lire des explications alambiquées un seul conseil FUYEZ! Pour les plus téméraires, chapeau-bas! prenez le temps de boire un café. Je vous avais parlé de Grain de Peau Laine qui a organisé un défi Octobre rose auquel j'ai participé avec mon petit coeur en crochet. Je me suis amusée à faire ce cœur au crochet et il fallait lire que cela m'a pris une soirée et non pas 20 minutes dans le tram. J'ai amené ce cœur lors d'une réunion du marché de Noël de notre école en disant "pourquoi ne pas en faire des plus gros à suspendre dans les sapins? bon si j'ai le temps - ce qui m'étonnerait - j'essayerai d'en refaire". Il s'est trouvé que Loulou m'a abandonné un soir. What! le drame ce n'est pas qu'il m'abandonne - c'est sympa aussi une soirée pour moi - non ce qui n'est pas cool c'est qu'il n'a pas pris les filles juste surexcitées à 24h des vacances. Oui Monsieur car mes filles aussi crevaient d'envie d'aller manger un couscous avec les collègues et d'aller faire du kart! Bon bref... la soirée alone ne se présente pas souvent disons pas depuis 6 ans en faitrectification pas depuis 10 ans donc j'ai couché mes boulets à 19h30. Au lieu de 20h! oui je sais je suis vraiment une fofolle! Ah hum... bon donc peinarde pour mater des cas sociaux à la TV, ex Mon mari se prend pour une majorette... Est-ce que j'embrayais sur une couture folle ou est-ce que j'allais végéter sur le canapé en matant la désespérance absolue sur NRJ 12? Option 2 biensur. Et avec le crochet stp! Et puis faisons donc un cœur... plus gros... sans tuto... avec mes additions et mes soustractions... oui oui! disons que j'ai un peu la flegme de chercher et de traduire un tuto en anglais puisque je ne suis pas encore familiarisée avec les termes et abréviations rosbeef, gouda, njut et texas-ranger. Bref, gros poil! Donc tout se passait assez bien finalement pour ce cœur... bien que au trois quart je trouvais que ma diminution était légèrement trop accentuée. Et puis bon quand même, ce cœur bien rose chair de cochon... Et là je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai littéralement pété un plomb, une durite ou ce que vous voulez mais clairement quelque part ça a fait KxIZZzzzzzzzz. Est-ce que c'est la solitude, alone in the dark enfin avec une lampe quand même sinon je fais comment pour crocheter? sur le canap'? Le désespoir de n'avoir pas mangé de couscous? rien à voir c'est certain! Un appel de mon subconscient à la chose? bref... j'ai arrêté les diminutions et j'ai monté monté monté mes mailles serrées, j'ai augmenté un peu et j'ai diminué. Je me suis arrêtée car Loulou est rentré, il s'est affalé en face de moi et il m'a dit "est-ce que tu crochètes ce que je crois?" "oui, tu crois bien ce que tu vois" Bref... j'ai crocheté un zizi! Zizi bucolique! J'ai bien pensé en ricanant comme une débile le proposer pour Octobre rose mais non quand même pas. J'ai montré ce zizi sur instagram et tout le monde s'est bien marré. Et NON je ne ferai pas de tuto! Et NON, ce n'est pas un projet pour le marché de Noël de l'école ou alors venez avec vos extincteurs pour éteindre le bûcher sur lequel on m'aura placé! Néanmoins, je suis heureuse de renouer avec le délire profond et le jemenfoutismeduquendiraton de mon blog qui pourrait si je n'y prend pas garde devenir... sage! Aux entrepreneuses créatives sachez que ce zizi se tient parfaitement en main et est idéal pour les bébés comme hochet et pour faire ses dents dessus. Approuvé et testé par un bébé de ma famille. Moi je dis qu'il y a une niche! Un grand merci à mon neveu d'amour qui n'a eu de cesse de piquer mon zizi de le balancer partout et de le machouiller. De grands moments de fous-rires avec ma soeur! O-bli-gée Je suis littéralement obligée de venir vous parler ici d'un truc ultra naze, débile, abrutissant, navrant et malgré tout un peu addictif, comme un patron d'Astrid en fin de compte!... Alors comme je vous ai programmé un post pour la fin de la semaine où je suggère un peu que je regarde que j'écoute des programmes TV croisés navets en même temps que je crochète, cela fera redondance mais décidément il faut que je vous parle de ce programme que ma sœur m'a fait découvrir. Elle et moi sommes parfois identiques j'ai dit parfois! ex elle fait un 34... tandis que moi... bref! et on aime regarder des cas sociaux à la TV surtout elle!, genre NRJ12, W9 ou D8... ce qui, je dois l'admettre, est nettement plus sexy que Bibliothèque Medicis sur Public Sénat. Oui et bien excusez-moi si je préfère crocheter en écoutant "immersion dans la banlieue marseillaise" ou "Marseille en guerre" ou "Mafia et drogue à Marseille"... Marseille c'est ultra vendeur! sinon il y a aussi la douane ou les gendarmes. Dernièrement il y a aussi eu une immersion dans un hypermarché sur W9, rediff cachée de Capital. La racaille c'est D8, Canal aime les djeuns! yo man! Bon de toutes les façons tous ces docs sont du réchauffé de chez réchauffé, on prend les mêmes images, on décale les séquences... et hop voilà la prostitution et les drogues mixés ensemble, cela aura coûté un demi-doc... ha non pardon on a utilisé les images de l'enquête sur la prostitution d'il y a 5 ans. D'ailleurs cela se voit... enfin moi je le vois. Et en général ce sont les mêmes boites de production! Oups agences de presse! Cela produit de la merde et les gens regardent, c'est magnifique ma chérie! Bon quand même il faut que je vous dise que je parle comme cela parce que avant c'était mon métier. Donc j'ai le droit de dire que c'est de la mierda. Mais de la mierda qui 1 rapporte de la thune 2 fait des audiences 3 passe en prime 4 est multi-diffusée. Moi ma mierda était 1 pour les intellos 2 passait vers 23h sur FT ou 20h30 pour un théma d'Arte 3 ne faisait pas d'audience enfin disons que Morandini n'en parlait pas! 4 ne rapportait pas de thune parce que très cher à produire. Je me suis traînée de nombreuses fois à genoux devant mon boss pour qu'on produise un documentaire sur le sexe en Thaïlande mais il préférait la torture en Algérie celle de la guerre d'Algérie ou le chômage de Geraldo au Brazil et c'était pas Carnaval comme programme, croyez moi. Des fois j'ai bien cru que j'allais devoir coucher pour finir de convaincre les acheteurs des chaines étrangères que Naguib Mahfouz prix nobel de littérature stp c'était hyper sexy. Enfin bref, dans ma boite on ne faisait pas vraiment de la merde, c'était quand même de très beaux documentaires enfin pas tous parce que bon Geraldo... mais surtout on ne gagnait pas de thune... alors oui, on peut, dans une autre dimension, subtilement glisser que j'étais un peu jalouse des agences de presse qui font de la thune avec des programmes aguicheurs... Mais c'est le passé! Revenons à nos moutons! Je voulais vous parler non pas des doc à 2 balles mais d'un programme de télé-réalité. En règle général je n'accroche pas vraiment sauf Top-chef qu'on commente en live avec les copines sur FB. Et je regarde aussi - je vous dis tout - si je tombe dessus, cet abruti de Stéphane Plazza parce qu'il me fait marrer et que j'aime j'adore voir les collections restrictives des gens. Les trucs comme un dîner presque parfait on peut oublier. Par contre, ma sister m'a montré un programme pendant les vacances "Les reines du shopping". Je ne connaissais pas... Normal ce sont des horaires... comment te dire... à 16h20 je suis à l'école et pour la rediff du matin... ben je fais semblant de faire le ménage à la maison. Bref, ce programme est très divertissant pour celles qui souhaitent voir des nanas suer pendant 3h pour se trouver une tenue et surtout, ah surtout, voir des nanas se critiquer, se bouffer le nez, bref de vraies salopes! Le tout avec la bénédiction de Cristina Cordula dont j'avais vaguement entendu parler qui y va à grand renfort de c'est maGniiiifik ma chairie ou Sublaïme. Cela remplace divinement Mia Frye avec les Pia pia pia dans ton corps et Happy Face. Décidément, sur le M6 ils ont le chic! Mais bon tant que les participantes se tirent dans les jambes, moi ça me va! Autant le "mignon" amoureux de Britney Spears, le pauvre gars instrumentalisé par Tellement Vrai tu ne l'as pas vu, cliques ici me semble pathétique; autant les mauvaises joueuses de M6 sont - grace au montage biensur - de vraies garces en folaïe! Donc mon message à toutes celles qui ont besoin d'une ambiance sonore dans leurs canapés en crochetant ou autres... profiter d'un replay pour voir de quoi il s'agit. Finalement, c'est un programme peut-être débile mais sincèrement drôle dans ce qu'il y a de plus mesquin chez la femme la jalousie, la mesquinerie, la mauvaise foi! ps je plains quand même un peu les participantes qui découvrent bien plus tard les émissions et le montage! Meet me à Grenoble Il y a parfois des posts qui mettent longtemps à sortir, des impressions sur lesquelles on a du mal à mettre des mots parce qu'il y a trop de mots à poser justement - ce en quoi je suis spécialiste hum hum - et il faut remettre de l'ordre dans mon esprit. En général cela arrive lorsque je dois exprimer ma rencontre avec une belle personne de la blogosphère. Oui c'est très dur voyez-vous de traduire ses impressions et d'essayer de faire passer le message pour qu'il marque les esprits ou en tous les cas quelques uns. J'avais commencé ce post en septembre. Je suis venue, revenue dessus... j'ai effacé et recommencé... plusieurs fois. J'ai la chance O_o???! de faire le tour de la France pendant les vacances pour voir la famille de Loulou et les copains. Nos pas enfin les roues nous mènent au moins une fois dans l'été à Grenoble où nous nous retrouvons à la montagne. Enfin montagne, il ne faut pas que j'exagère on est juste à 700m mais à 100m j'ai déjà les oreilles qui se bouchent... non mais attendez rappelez-vous le nom de ce blog Et puis la neige elle est trop molle!!! Ce qui en fin de compte traduit bien toute ma contradiction de vie je n'aime pas la montagne, je me marie avec un grenoblois fan de ski... Bon bref, je vais à Grenoble minimum une fois par an. Et à Grenoble il y a un noyau de blogueuses, si si je vous jure. Bon je n'en connais que 3 sur le lot il y en a un paquet je vous dis et j'ai essayé de concrétiser ces relations virtuelles par un "je suis à Grenoble, tu es là?". Vous le savez j'ai vu Coyote cet été. J'ai parlé d'elle assez vite ici pour la simple et bonne raison que et bien Coyote il faut la prendre sur le vif pour la voir et il fallait battre le fer tant qu'il était chaud j'ai aussi rencontré quelqu'un d'autre, d'ailleurs je l'annonçais déjà à la fin du post sur Coyote. Une personne que je voulais voir depuis un bout mais hélas on s'est toujours croisées. Mais là - hahahaha - l'occasion a fait le larron! Mais de qui est-ce que je peux bien vous parlez? Ohhh mais c'est tout simple de Nathalie Delimard, qu'on peut appeler également Nathalie. Est-ce que j'ai besoin de vous la présenter? bon je le fais quand même si il y a des personnes - comme moi pour donner un exemple concret - qui n'ont pas la mémoire des prénoms mais ceux des blogs. En effet, je ne tiens pas de fiches avec nom-prénom associés à tel blog et un pseudo ultra pas en rapport avec les deux premiers. Ex Blog La grenouille a l'index tordu nom de blog inventé; nom-prénom Karaboutchou Viviane inventé aussi et pseudo la pie qui chante inventé... non mais comment est-ce que je peux faire le rapport et m'en souvenir advitam??? hein quoi... je suis pareil... non mais vous êtes de quel côté??? bref, hors-sujet! Donc j'ai dîné avec Nathalie qui - rappelons-le - est - la femme à la folie douce mais ultra pertinente derrière le blog de Moi, mon nombril depuis 2006... respect - la journaliste de talent qui fait ronronner Abracadacraft - et excusez-moi du peu c'est aussi la maman d'Amineko star-commender de la famille Amineko et qui l'accompagne toujours! Il suffit d'aller sur Instagram pour le voir dans toutes les positions et situations! Avec Nathalie cela a commencé par une ITW de bibi sur Abracadacraft en juin 2012. Je connaissais un peu et j'ai été surprise que Nathalie propose un portrait de moi. Hein quoi comment, moi??? J'ai dit oui biensur. check ici je ne suis pas barge non plus C'est très impressionnant de se faire interviewer mais Nathalie sait mettre à l'aise son correspondant. Oui correspondant car cela se fait par téléphone et Nathalie rien qu'au son de sa voix, j'avais envie de la connaitre. C'est difficilement explicable son accent qui chante et puis beaucoup de douceur, une voix posée et qui parle normalement. Je précise parce que perso je parle très vite et je mange parfois quelques syllabes ce qui en Bretonie de pose pas de problème mais dès qu'il y a des tuiles sur les toits je dois faire gaffe! Donc blablabla... ce n'est pas difficile de me faire parler. Le plus dur est de me faire décrocher le téléphone. Toujours est-il que le courant est passé. Et biensur j'avais envie de la rencontrer. Mais enfin... enfin on a réussi à se voir. Et c'est drôle en écrivant cela, je souris bêtement devant mon ordi parce que c'était sincèrement un très agréable moment. Parler blog et de toutes les merveilles que l'on voit fleurir sur les blogs, la gentillesse des blogueuses, le partage. Et puis, dépasser ce stade et se raconter nos vies. Ne pas voir le temps passer. Faire durer le plaisir autour d'un cocktail. Tenter de subtiliser Amineko raté!. Aaaah oui c'était vraiment bien. C'est étonnant de se rendre compte après coup à quel point on peut s'abandonner lorsque l'on est à l'aise avec quelqu'un. Je l'ai déjà dit plus haut, Nathalie c'est la folie douce. J'y ai vraiment réfléchis et c'est cela qui se dégage d'elle. Elle sait mettre en confiance son interlocuteur et mon débit de paroles pour une fois était - je pense - plus posé. ça se trouve, je me fourvoie complètement. C'est en tous les cas mon sentiment puisque c'est un peu comme si j'allais revoir quelqu'un que je connaissais déjà. Vous voyez un peu comme c'est difficile de mettre les mots sur cette rencontre. Je reste positivement pensive et j'ai déjà hâte de la revoir. Bon euh quand même j'ai un peu les boules parce que je me dis que si Nathalie me proposait une rando je pourrai presque dire oui. C'est dire... Oh yeah! I met the incredible Amineko! Et là... là... je me dis que je n'ai pas de photo de Nathalie donc la prochaine fois je la canarde! ps Loulou nous accompagnait pour ce dîner... il a su s'intéresser à ce dont on parlait! Mais il a peut-être décroché au niveau du crochet! ;- ps 2 je souris encore... je viens de finir ce post et j'ai regardé mes mails, Nathalie va m'appeler aujourd'hui... elle ne se doute pas que j'ai enfin mis un point final à ce post. ps3 décidement je kiffe sa voix! et qu'est-ce qu'on se marre avec elle! Noël à ma porte Enfin disons plutôt Noël dans ma boite aux lettres. Noël dans mes méninges. Noël qui frétille. Créations de Noël. Copie de noël. Publication de Noël. Je vous explique pendant les vacances j'ai été contactée par Véronique de Couture Lin qui proposait à des blogueuses créatives moi!oui oui moiet certaines de mes copinautes de participer au défi Couture Lin Noël 2013 et je n'ai pas répondu. Bah quoi! j'ai reçu le mail juste avant le départ en vacances - alone avec les boulets - alors j'y ai pensé très fort pendant le trajet jusque Brest mais c'est tombé à l'eau lorsque Chifoumi a hurlé à la mort pendant 10mn parce que son put*** de doudou était tombé à terre. Bref, il a fallu trouver une sortie presto et pfffffffff il n'y a pas beaucoup de sorties entre Quimper et Brest. Bref, heureusement Véronique m'a envoyé un second email. Et j'ai répondu tout de suite ce qui pour celles qui me connaissent savent qu'on peut y voir une sorte de miracle en quelque sorte. Mais non je n'exagère pas du tout!!!! Donc je vous explique le 1er décembre je devrais rendre ma copie secrète à Véronique. Je dois utiliser les coupons de lin qu'elle m'a envoyé - au moins 2 sur 3 - et cela doit être sur le thème de Noël. Dès le 2 décembre attention- attention! vote du public! et vous ne saurez pas ce que j'aurai réalisé. Outre le fait que j'ai d'ores et déjà gagné de magnifiques coupons de lins, la grande gagnante sera récompensée de sa sueur et d'ailleurs mon petit doigt me dit que les votants ne seront pas en reste... chuuuuut. Voici mes tissus! Merci Véronique et Couture Lin! Pur lin coloris blanc optique Pur lin coloris semi-naturel Pur lin coloris argent métallisé Le métallisé me fait triper... Bon maintenant il faut que je réfléchisse... CataloguePDF Lettres & Manuscrits autographes - Salle des ventes Favart, mardi 17 décembre 2013 Experts thierry BoDin, Les Autographes Syndicat Français des Experts Professionnels en Œuvres d’Art 45, rue de l’Abbé Grégoire - 75006 Paris Tél. : + 33 (0)1 45 48 25 31 - Fax : + 33 (0)1 45 48 92 67 [email protected] avec la collaboration, pour les correspondances en russe (241 [note SCL si je lis bien les chiffres, le député de notre circonscription a reçu mandat de représentation de la part de moins de 30% des inscrits, ce qui laisse songeur. A l'échelle nationale, si on cumule abstentions avec votes blancs ou nuls, on arrive à un taux de "silence" de 43,69% des inscrits -comme disait Churchill en 1947, la démocratie est le pire des systèmes mais c'est le moins mauvais qu'on connaisse. Va-t-on finir par faire comme nos voisins de Belgique ? Ah, non, pas possible, représentants élus du peuple ou non, en fait ils sont encore asservis à un roi.] Corse-du-Sud / 2ème circonscription Résultats du second tour des élections législatives Inscrits 53 679 Abstentions 21 345 39,76% des inscrits Votants 32 334 60,24% des inscrits Blancs ou nuls 2 160 4,02% des inscrits / 6,68% des votants Exprimés 30 174 56,21% des inscrits / 94,32% des votants Camille de Rocca Serra UMP 16 053 voix 29,90% des inscrits / 49,65% des votants Jean-Christophe Angelini Régionaliste Femu a Corsica 14 121 voix 43,68% des votants Blancs ou nuls 2 160 voix 6,68% des votants Résultats du second tour des élections législatives à Aullène Inscrits 236 Abstentions 85 36,02% des inscrits Votants 151 63,98% des inscrits Blancs ou nuls 8 3,39% des inscrits / 5,30% des votants Exprimés 143 60,59% des inscrits / 94,70% des votants Camille de Rocca Serra UMP 121 voix 82,2% des votants Jean-Christophe Angelini Régionaliste Femu a Corsica 22 voix 14,57% des votants Blancs ou nuls 8 voix 5,30% des votants Résultats du second tour des élections législatives à Monacia d'Aullène Inscrits 462 Abstentions 84 18,18% des inscrits Votants 378 81,82% des inscrits Blancs ou nuls 13 2,81% des inscrits / 3,44% des votants Exprimés 365 79% des inscrits / 96,56% des votants Camille de Rocca Serra UMP 193 voix 51,11% des votants Jean-Christophe Angelini Régionaliste Femu a Corsica 172 voix 45,51% des votants Blancs ou nuls 13 voix 3,44% des votants . 172 482 155 420 673 689 700 28

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