1 "Il est gourmand comme la minette, comme la chatte" en patois auvergnat. Es goulard coumo lo mino1AbbĂ© Vayssier,Dictionnaire patois-français du dĂ©partement de lâAveyron, 1979. 1Ă la faveur de lâengouement rĂ©cent pour le haut plateau de lâAubrac, touristes, gourmets, critiques gastronomiques et originaires de retour au pays ont le goĂ»t de lâAubrac Ă la bouche un goĂ»t au sens de saveur original issu du terroir et pĂ©tri de cette nature si singuliĂšre et envoĂ»tante. Ainsi le journaliste Jean-Louis Galesne dĂ©finit-il lâexpĂ©rience gustative proposĂ©e par le chef cuisinier Michel Bras On vient du monde entier rencontrer cet homme de foi qui a mis sa cuisine au service de la nature, et recompose dans lâassiette avec exactitude son image nourriciĂšre Ă partir des ingrĂ©dients les plus divers, lĂ©gumes plus dâune centaine Ă lâannĂ©e, herbes, fleurs, etc., extraits de la terre avec le plus grand soin. Des assiettes animĂ©es dâune multitude de combinaisons quâil qualifie de âniacâ, structures dâĂ©lĂ©ments visuels, odorants et gustatifs, qui, assure-t-il, animent, dynamisent et provoquent la rĂ©flexion » Galesne, 2002. 2Mais de quel goĂ»t de lâAubrac parle-t-on ? Sâagit-il du goĂ»t forgĂ© par la nĂ©cessitĂ© exprimant les efforts quotidiens du cuisinier pour agrĂ©menter les prĂ©parations de quelques additifs destinĂ©s Ă complĂ©ter les besoins nutritionnels et Ă rompre la monotonie gustative ? Ou bien du goĂ»t esthĂ©tisĂ© et mĂ©diatisĂ© liĂ© Ă la prĂ©fĂ©rence pour lâenvironnement des expĂ©riences gustatives et au choix du lieu oĂč naĂźt le dĂ©sir de goĂ»ter Plet, 1995 ? 3La rĂ©flexion porte sur les relations nouĂ©es entre la dimension organoleptique et un espace et sur les modalitĂ©s dâĂ©mergence et de dĂ©veloppement dâun goĂ»t dans un contexte spatial dĂ©fini Ă travers la cuisine. Elle est nĂ©e dâentretiens avec Michel Bras, restaurateur triplement Ă©toilĂ©, natif, amoureux du lieu et de ceux qui lâhabitent, aurĂ©olĂ© dâune notoriĂ©tĂ© internationale, dans la volontĂ© de mieux comprendre le rapport goĂ»t/ territoire. Car, en lâentendant, il semblait quâil y avait deux façons de dĂ©finir le goĂ»t de lâAubrac. La premiĂšre hypothĂšse est quâil existe une ambiguĂŻtĂ© du sens de goĂ»t quand on lâassocie Ă un nom de lieu. La seconde est quâil se dessine une complexification rĂ©cente de la caractĂ©risation du goĂ»t de lâAubrac. 4On se propose donc ici de montrer le glissement dâun goĂ»t de lâAubrac Ă un autre. Dâun goĂ»t du terroir... Saveurs ordinaires lâacide et le gras 2 Le mange-tout de Saint-Fiacre Phaseolus vulgaris est une variĂ©tĂ© trĂšs anciennement cultivĂ©e de ha ... 3 Petite poire locale produite dans le RougiĂ©, prĂ©parĂ©e en compote ou cuite au four. Il sâagit dâune ... 5La saveur acide dominait trĂšs nettement dans les prĂ©parations culinaires prĂ©parĂ©es par le groupe social qui habitait et mettait en valeur le haut plateau de lâAubrac. Elle sâexprimait dâune part par lâaciditĂ© des produits locaux les lĂ©gumes verts chou, blette, mange-tout de Saint-Fiacre2, les herbes condimentaires oseille, ortie, pissenlit... et les rares fruits consommĂ©s pĂ©rous3 et dâautre part par lâaciditĂ© issue de la fermentation acide qui permettait de conserver sur de longues pĂ©riodes des productions saisonniĂšres les fromages et les vins de Marcillac au goĂ»t Ăącre et framboisĂ© reconnu. 6Le pain de lâAubrac se distinguait aussi par son aciditĂ© prononcĂ©e. En effet, il Ă©tait fabriquĂ© avec du levain aigre qui permettait une meilleure conservation mais dĂ©veloppait une forte ĂącretĂ©. Pourtant, le pain Ă©tait lâaliment de base bien quâil fĂ»t de mauvaise qualitĂ©, peu agrĂ©able au palais et relativement indigeste comme le rappelle Jean- Michel Guilcher dans une Ă©tude pluridisciplinaire consacrĂ©e Ă lâAubrac La plus grande pauvretĂ© rĂšgne sur les campagnes. Le cultivateur ne possĂšde rien, pas mĂȘme les meubles grossiers dont il se sert ; il nâa souvent pour toute nourriture que du fromage avec des chĂątaignes et des pommes de terre. Son pain, fait dâun tiers dâorge sur deux dâavoine, est peu substantiel, on en compte quatre livres par personnes ; dans deux cantons il est de seigle pur, mais dans le Causse il est souvent dâavoine seule » Guilcher, 1970-73, p. 19. 7Dans le mĂȘme temps, le pain Ă©tait Ă©galement un ingrĂ©dient essentiel de la cuisine. La patranque Ă©tait un plat de pain de campagne trempĂ© et liĂ© de tome fraiche de Laguiole. Les soupes se composaient de pain mouillĂ© de bouillon gras voire simplement dâeau chaude. Ainsi Jean-Michel Guilcher relate-t-il le souper dâun groupe de faneurs au XIXe siĂšcle sur le plateau A Chaudes-Aigues, ils feront halte. Une maison amie leur prĂȘtera une marmite. Ils y couperont du pain graissĂ© dâun peu de saindoux. Ils y verseront de lâeau chaude puisĂ©e Ă la source publique. Ce sera leur soupe » Idem, p. 21. 4 CrĂȘpes de sarrasin arrosĂ©es dâhuile de noix. 8De mĂȘme, le beurre burre de montanha, fabriquĂ© non pas Ă partir du lait entier mais du petit lait rĂ©servĂ© aprĂšs le caillage lors de la fabrication de la tomme de Laguiole, prĂ©sentait un goĂ»t particuliĂšrement acide sâexpliquant par la prĂ©sence de prĂ©sure. Dâune maniĂ©re gĂ©nĂ©rale, les corps gras Ă©taient trĂ©s apprĂ©ciĂ©s et usitĂ©s en cuisine. Les pratiques culinaires rĂ©vĂ©laient lâutilisation des trois graisses principales le beurre aligot, fouace, gĂąteau Ă la broche, les huiles de noix et dâolives estoufinado, pompe Ă lâhuile, bourriols4 et le saindoux ou graisse de porc salĂ©e pica-aucel, gargouilllou. 9Les associations culinaires gras /acide Ă©taient frĂ©quentes. Le pica-aucel en Ă©tait un exemple 5 Christian-Pierre Bedelet les estatjants del canton de La Giola, 2001, p. 208. Le jour oĂč lâon cuit le pain, maman prĂ©pare le pica-aucel. Elle hache du persil, des blettes, de lâail, du lard cuit avec la soupe. Elle mĂ©lange ce hachis avec de la farine, des Ćufs, un peu de lait. Elle ajoute des pruneaux secs en hiver et, Ă la saison, des cerises. Sel et sucre Ă volontĂ©. Elle le fait cuire Ă la cocotte, dans le four Ă pain. Il se mange froid ou chaud »5. 10Il pouvait ĂȘtre Ă©galement rĂ©alisĂ© avec de lâoseille, des orties, des pissenlits et des poires. Donner du goĂ»t 11Un goĂ»t Ă©lĂ©mentaire sâexprime par la valorisation quotidienne des bas morceaux et des sous-produits carnĂ©s et de la pomme de terre. 6 Le plat est cuisinĂ© le dimanche matin et dĂ©gustĂ© avant de se rendre Ă lâĂ©glise. Il est accompagnĂ© d ... 12Les prĂ©parations de sang et dâabats sont particuliĂšrement nombreuses et variĂ©es. Concernant la viande de porc, la courada est une saucisse de viande de porc coupĂ©e au couteau, agrĂ©mentĂ©e dâun mĂ©lange de cĆur, de rognon et de poumon cuit. Elle est consommĂ©e, soit demi-sĂšche, soit cuite dans un bouillon de lĂ©gumes avec des lentilles de la PlanĂšze. Les fricandeaux sont des boules de pĂątĂ© foie, poumon, hachis et rillons, blettes, choux enrobĂ©es par le pĂ©ritoine de lâanimal. Dans les communes de La Trinitat et de Saint-Urcize, deux boudins sont confectionnĂ©s un boudin gras formĂ© de sang, de viande hachĂ©e, de biscuits, de sucre, de sel et de poivre enfilĂ© dans le gros intestin et un boudin maigre formĂ© de sang, de sel et de poivre enfilĂ© dans lâintestin grĂȘle. Concernant les autres viandes, les tripous6 rĂ©gion de Laguiole, de Saint-ChĂ©ly dâAubrac et dâAubrac ou trĂ©nel rĂ©gion de Millau ou encore pĂ©tites rĂ©gion dâEspalion sont des prĂ©parations de tripes farcies assaisonnĂ©es dâail, dâoignon et de persil et agrĂ©mentĂ©es de jambon sec de porc, ficelĂ©es dâun boyau ou cousues puis cuites longtemps et doucement au four du boulanger Figure 1. Les tripous sont Ă base de veau panse farcie de fraise et dâabats dâagneau selon une recette de GeneviĂšve Bouldoire en 1864. Ils sont roulĂ©s ou faconnĂ©s en boule. En 1948, G. Subervie prĂ©sente la recette de M. Laplange dâEntraygues qui se compose de tripes de mouton coupĂ©es en carrĂ© et farcies de lard, de poitrine, de jambon sec de porc et de pieds de mouton dĂ©sossĂ©s. Le trĂ©nel est essentiellement Ă base de mouton, parfois de brebis gras-double et fressure ou de jeunes veaux selon une recette de Colette BarbĂ© en 1903. Les pĂ©tites sont Ă base de pansettes dâagneau. 13Lors des repas familiaux exceptionnels et des jours de fĂȘte, le pastre est cuisinĂ©. Il sâagit de la poche du gros intestin du porc garnie des petits os du sternum encore charnus assaisonnĂ©s de sel, de poivre et dâail, pendue Ă cĂŽtĂ© des saucisses et des saucissons durant tout lâhiver avant dâĂȘtre cuite dans une soupe. 7 Il sâagit du caillĂ© pressĂ©, non salĂ© et lĂ©gĂšrement fermentĂ©. 8 Lâaligot Ă©tait servi par les religieux du plateau aux pĂšlerins en route vers Saint- 14Le goĂ»t de la pomme de terre est omniprĂ©sent. Le trĂšs cĂ©lĂšbre aligot est une prĂ©paration Ă base de pommes de terre Ă©crasĂ©es et de crĂšme fraĂźche enrichie de tomme fraĂźche de Laguiole7. Son nom trouve son origine dans le mot baslatin aliquid qui signifie quelque chose Ă manger »8. Dans son Dictionnaire, H. Affre revient sur lâĂ©tymologie du mot Ce mot français dâorigine moderne a la mĂȘme signification que les mots patois oligot, oligouot qui dĂ©signent un mets particulier aux montagnes de Laguiole [...]. La recette de ce mets, quâon chercherait vainement dans le parfait cuisinierâ, est des plus simples. Dans une poĂȘle Ă frire bien lavĂ©e et bien frottĂ©e, on met une quantitĂ© convenable de beurre frais et lorsque, sur un feu clair et rĂ©guliĂšrement entretenu, le beurre est fondu, on prend des pommes de terre prĂ©alablement cuites Ă lâeau quâon dĂ©pose dans le beurre et quâon Ă©crase jusquâĂ rĂ©duction. Cela fait, on prend, en quantitĂ© Ă©gale aux pommes de terre, de la tomme ou fromage encore imparfait quâon divise en tranches aussi minces que possible et quâon met Ă son tour dans la poĂȘle [...]. On reconnaĂźt que la cuisson est suffisante et lâaligot prĂȘt Ă ĂȘtre servi parce que la matiĂšre est devenue filante comme la fourme ou le gruyĂšre dans une soupe bien mitonnĂ©e » Affre, 1974. 15 Tourner » lâaligot demande une grande dextĂ©ritĂ©. En effet, une fois le fromage incorporĂ©, lâaligot doit ĂȘtre battu suffisamment longtemps pour quâil file » en formant de longs rubans homogĂšnes et souples. Si la prĂ©paration est trop battue, elle casse ». Si elle est trop chauffĂ©e, elle granule et ne file » plus. Plus lâaligot file », plus il est rĂ©ussi. Le retortihat ou truffade rĂ©gion dâEspalion se compose de pommes de terre cuites en robe des champs, coupĂ©es en rondelles puis poĂȘlĂ©es avec de lâoignon. La prĂ©paration est recouverte de tranches Ă©paisses de tome fraĂźche de Laguiole. Le gargouillou est un plat de pommes de terre mouillĂ© dâeau et ajustĂ© dâune tranche de jambon cru de montagne pour donner du goĂ»t. Un rapport local Ă la viande de bĆuf 9 PrĂ©cĂ©dĂ© de lâarticle dĂ©fini singulier, le mot montagne et non plateau dĂ©signe les monts dâAubrac ... 16Il existe un rapport ancien et ancrĂ© Ă la viande de bĆuf. Les vaches de race Aubrac occupent la montagne9 Ă©ponyme. Selon une particularitĂ© » soulignĂ©e dans lâInventaire du patrimoine gastronomique de la rĂ©gion Midi-PyrĂ©nĂ©es, il sâagit dâune race rustique qui vit en symbiose avec le milieu naturel de lâAubrac qui lui a donnĂ© son nom. Elle est bien adaptĂ©e et supporte les fortes amplitudes climatiques entre Ă©tĂ© et hiver » CNAC, 2000, p. 231. Le plateau est donc le berceau de cette race dĂ©crite dans une documentation interne du syndicat de dĂ©fense Union Aubrac les animaux ont une robe unicolore variant du fauve au gris froment, plus foncĂ©e sur lâencolure pour les mĂąles. Les muqueuses, la pointe des cornes et le bout de la queue sont noirs. Le tour du mufle et de lâĆil sont blancs soulignĂ©s de noir ». 10 Ă partir du XIIe siĂšcle, les abbayes dâAubrac et de Bonneval offrirent le gĂźte et soignĂšrent les pĂš ... 17LâĂ©levage est destinĂ© Ă la production laitiĂšre Ă orientation fromagĂšre10. Mais la viande de bĆuf dâAubrac est particuliĂšrement rĂ©putĂ©e depuis le XVIIIe siĂšcle. Les bĆufs Ă©taient engraissĂ©s durant lâhiver et le printemps pour ĂȘtre consommĂ©s lors de la fĂȘte des Rameaux et Ă PĂąques. La viande de bĆuf Ă©tait Ă©galement rĂ©guliĂšrement utilisĂ©e pour prĂ©parer des bouillons gras. Les plats de bĆuf ont toujours Ă©tĂ© garnis On ne sâĂ©tonnera pas que les plats de viande soient presque toujours des plats complets oĂč la viande et les lĂ©gumes ont cuits en mĂȘme temps. Câest une consĂ©quence directe des procĂ©dĂ©s de cuisson. Lorsque lâon porte un plat de viande au four du boulanger on ne va pas cuire des lĂ©gumes Ă part, chez soi. Autant que le jus de la viande profite aux lĂ©gumes » Bras. 18Les saveurs sont fondues. 19Le goĂ»t de terroir est donc forgĂ© par le cuisinier. Il sâexprime par les tours de mains personnels du cuisinier pour donner du goĂ»t. Il nâest pas valorisĂ© câest un goĂ»t dĂ©pendant du rapport Ă la nĂ©cessitĂ© et au local mĂȘme si des Ă©changes avec lâextĂ©rieur existent. ⊠à un goĂ»t de pays 11 Le poĂšte Henri Pourrat en donne une description imagĂ©e "LâAubrac, on y est dans lâair. Jamais, je ... 20MalgrĂ© des conditions climatiques hivernales particuliĂšrement rudes11 et des paysages Ă lâallure dĂ©sertique et austĂšre, les regards extĂ©rieurs avivent une esthĂ©tisation du goĂ»t en relation Ă©troite avec le caractĂšre appĂ©tissant des paysages du plateau. Depuis une vingtaine dâannĂ©es, on assiste Ă lâĂ©mergence dâun goĂ»t de lâAubrac qui se charge dâune dimension visuelle lâesthĂ©tique des paysages voire pluri-sensorielle. RĂ©vĂ©lĂ© par le chef cuisinier Michel Bras, il est diffusĂ© par les gourmets, les touristes Ă©pris de culture paysanne, les nĂ©o-ruraux sous idĂ©ologie Ă©cologiste et les originaires de retour au pays. Stimulant les cinq sens, il figure lâAubrac. Manger » les paysages de lâAubrac Ă la fourchette 21MalgrĂ© une relative banalitĂ© et une franche austĂ©ritĂ©, les paysages de lâAubrac ont toujours fascinĂ©, envoĂ»tĂ© et attirĂ©. Julien Gracq donne une dĂ©finition poĂ©tique de cette petite immensitĂ© » Une attraction sans violence, mais difficilement rĂ©sistible, me ramĂšne dâannĂ©es en annĂ©es, encore et encore, vers les hautes surfaces nues â basaltes ou calcaires â du Centre et du Sud du Massif lâAubrac, le CĂ©zalier, les PlanĂšzes, les Causses. Tout ce qui subsiste dâintĂ©gralement exotique dans le paysage français me semble cantonnĂ© lĂ câest comme un morceau de continent chauve et brusquement exondĂ© qui ferait surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagĂšres qui sont la banalitĂ© de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austĂšres, dans notre chevelu arborescent si continu, images dâun dĂ©pouillement presque spiritualisĂ© du paysage, qui mĂȘlent indissociablement, Ă lâusage du promeneur, sentiment dâaltitude et sentiment dâĂ©lĂ©vation » Gracq, 1960. 22LâĂ©mergence du goĂ»t de pays est Ă mettre en relation avec la demande sociale actuelle de consommation rĂ©elle et idĂ©elle de paysages qui se traduit, sur le plan gustatif, par le dĂ©sir de manger » les paysages Ă la fourchette. Du cĂŽtĂ© de lâoffre, pour le chef cuisinier Michel Bras, plat et plateau se rĂ©vĂšlent mutuellement dans une consubstantiation. Aussi la composition de ses assiettes montre-t-elle une ressemblance avec les paysages Mes assiettes racontent une histoire, retracent une dĂ©marche intuitive. Je veux quâelles tĂ©moignent des paysages, des roches, des ciels et des lumiĂšres qui font ma vie » Bras. 23Câest pourquoi il a souhaitĂ© dessiner une salle de restaurant ouverte sur lâextĂ©rieur et a tournĂ© les tables vers le plateau de lâAubrac Le corps principal â restaurant, accueil et salon â est une forme basaltique longiligne qui jaillit de la terre, biaise et massive, buron retrouvĂ©. Elle est le toit, elle flotte sur un soubassement de verre, qui la rend aĂ©rienne, contrastant avec son origine souterraine, amenant une conscience de jaillissement. La salle de restaurant sâouvre sur lâextĂ©rieur, permettant Ă la lumiĂšre de se glisser [...]. De ce lieu que nous avons voulu magique, lâAubrac se met en scĂšne par des points de vue, des cadrages pour le plaisir de tous les sens. Un Aubrac qui nous rassure sur les vĂ©ritables valeurs du Bon et du Beau » Idem. 12 Selon le sociologue de lâalimentation Jean-Pierre Poulain, dans le cas dâune incorporation positive ... 24Du cĂŽtĂ© de la demande, le dĂ©gustateur communie donc avec lâenvironnement naturel de sorte quâil ait le sentiment de lâincorporer ». Il sâagit dâune incorporation positive qui consiste Ă ingĂ©rer les caractĂ©ristiques positives des paysages12. Tout en dĂ©gustant les produits cuisinĂ©s, le dĂ©gustateur communie directement avec les paysages qui les ont vus naĂźtre et communique, indirectement, avec les producteurs qui les ont façonnĂ©s Pitte, 1993. Bon et Beau13 le goĂ»t esthĂ©tisĂ© 13 Il sâagit de lâexpression utilisĂ©e par Michel Bras pour prĂ©senter son rĂ©pertoire de producteurs " ... 25Il existe un double processus dâesthĂ©tisation du goĂ»t de lâAubrac Ă travers, dâune part la valorisation de ce qui est le plus ordinaire et dâautre part la mise en scĂšne de lâexceptionnel par le truchement de lâalliage du beau et du bon. 26Ainsi existe-t-il une rĂ©cupĂ©ration positivĂ©e des propriĂ©tĂ©s gustatives de lâAubrac lisible, par exemple, Ă travers la rĂ©appropriation du rapport Ă la viande de bĆuf. La jolie description rĂ©alisĂ©e par Michel Bras est rĂ©vĂ©latrice Ă un moment oĂč la viande de bĆuf est en perte dâidentitĂ©, en Aubrac, les pĂąturages nourrissent des bĂȘtes aux yeux ourlĂ©s de noir qui offrent une alternative rassurante quant Ă lâavenir de la filiĂšre viande de goĂ»t. CertifiĂ© par un Label rouge, le bĆuf fermier Aubrac offre une viande mĂ»re qui renoue avec notre mĂ©moire. Elle est belle Ă regarder, prĂ©sentant une pigmentation rouge rubis, elle sent bon, offrant cette odeur franche pleine de promesses. Elle est goĂ»teuse, proposant une texture, une mĂąche qui peut parfois dĂ©ranger mais qui est Ă combien rassurante sur son origine ». 27Aussi propose-t-il de dĂ©guster la CĂŽte de bĆuf Aubrac â pure race â rĂŽtie Ă la braise ; beurre mousseux au lard et Ă lâail, riz au gras et blette ou encore la Hampe de bĆuf Aubrac â pure race â poĂȘlĂ©e ; croquettes de pomme de terre au fromage de Laguiole, jus aux truffes. 28Mais, il existe Ă©galement une esthĂ©tisation qui se prĂ©sente comme un jeu qui exacerbe la relation au terroir, mais la sort du pĂ©rimĂštre gĂ©ographique strict du plateau et du caractĂšre ordinaire et quotidien. Il sâagit dâune interprĂ©tation impressionniste qui modifie le rapport au goĂ»t et le recharge symboliquement. Le plat intitulĂ© Ombre et lumiĂšre, la lotte de MĂ©diterranĂ©e pochĂ©e Ă lâhuile dâolive noire ; cĂŽtes et feuilles de moutarde est en effet, selon Michel Bras, le plus reprĂ©sentatif de lâenvironnement paysager. Le poĂšte Patrick Mialon dĂ©finit cette ambiance dont est inspirĂ©e la recette. Et pourtant, plus que tout, câest vers le gris, lĂ -bas, que vont ma prĂ©fĂ©rence et ma fascination. Plus exactement au rayonnement subtil Ă©manant de cette presque absence de couleur, cette dispendieuse nullitĂ© se faisant jour â la lumiĂšre dans sa nuditĂ© â, ce refus de trancher entre clair et obscur qui fait toute lâintenable beautĂ© de la valse-hĂ©sitation chromatique Ă laquelle se livrent ces tourbillonnants, ses Ă©poustouflants, presque irrĂ©els nuages dans le dĂ©calque de lâazur. Ni blanc, ni noir mais blanc et noir. Gris. Gris mĂ©tallique de ces beaux ciels dâĂ©tĂ©, enceints dâorages magnĂ©tiques, lourds de menaces et qui font retentir jusquâĂ lâassourdissement le vert subitement plus profond des pĂąturages comme un tambour battant le rappel dâune promesse indĂ©livrable. Gris dâencre des ciels en cendres, dĂ©composĂ©s, maculĂ©s comme buvard sous la plume du cancre, aux reflets irisĂ©s de ce bleu dĂ©lavĂ©, dĂ©lurĂ©, presque maladif Ă force dâĂȘtre sombre, de ce mauve dâoutre-monde [...] » Mialon, 1999. 29Le plat est ainsi nĂ© de lâobservation dâune portion du plateau de lâAubrac lorsque les cumulus jouent avec le soleil Câest un ciel dâorage plombĂ© avec une trouĂ©e lumineuse juste au dessus du puech del pont ; et cela ne peut sâappeler âquâombre et lumiĂšreâ. Vous dĂ©taillez le filet sur son coulis dâolives noires ; et vous contemplez lâĂ©clat nacrĂ© Ă©mergeant du plomb ; au-delĂ de la perception consciente des aliments prĂ©sentĂ©s, le jeu des formes, des matiĂšres, des couleurs et de la lumiĂšre insinue en vous une inconsciente beautĂ©, dâautant plus puissante que vous avez confiance en celui qui lâa mijotĂ©e ! Et tandis que sâopĂšre en vous cette alchimie visuelle, lâarĂŽme vous pĂ©nĂštre jusquâaux moelles, et voici que votre corps sâapprĂȘte. Le nez sâactive. Les fumets suscitent en vous de vastes inspirations. Vos papilles en alerte sâĂ©veillent. Vos mains se mettent alors Ă lâouvrage et vous portez Ă vos lĂšvres une premiĂšre bouchĂ©e avant le goĂ»t, le toucher » Bras. 30Ainsi, alors mĂȘme que ce plat emblĂ©matique ne valorise aucun produit issu du plateau, il reste le plus reprĂ©sentatif de lâAubrac dans la mesure oĂč il traduit trĂšs fidĂšlement sa beautĂ© paysagĂšre et met tous les sens en Ă©veil. 31Le plat apparaĂźt donc chez Michel Bras comme la matĂ©rialisation, dâune part dâune intimitĂ© personnelle et familiale avec le plateau, et dâautre part dâun regard esthĂ©tique sur un paysage Ă un moment donnĂ© sur une impression » de paysage au sens pictural. Le goĂ»t de lâAubrac in situ 32Le goĂ»t de pays se charge dâune nouvelle dimension de la relation entre lâorganoleptique et le territoire gĂ©ographique la prĂ©sence in situ. Il nâest possible de goĂ»ter que si lâon est dans le paysage. Le goĂ»t de pays est forgĂ© par le cuisinier mais aussi par le dĂ©gustateur. De la part du cuisinier, il est liĂ© Ă la prĂ©fĂ©rence pour cuisiner lĂ et au choix du lieu oĂč naĂźt la volontĂ© de cuire et dâassaisonner des produits. De la part du dĂ©gustateur, il est liĂ© Ă la prĂ©fĂ©rence pour goĂ»ter lĂ et au choix du lieu oĂč naĂźt le dĂ©sir de manger et de boire. 33Tout en valorisant lâinnovation culinaire, la dĂ©gustation in situ se recharge de la mĂ©moire gustative. Aussi cette relation cuisinier / dĂ©gustateur / paysage revĂȘt-elle deux aspects. Dâune part, le goĂ»t affectif de lâenfance est re-convoquĂ© avec, par exemple, le Bouillon froid Ă lâorge, du caillĂ© de vache dâici et de jeunes blettes ; accompagnĂ© dâune tartine au gras de jambon. Il sâagit de se remĂ©morer le plaisir de goĂ»ter aux mouillettes et au pain trempĂ© de lâenfance. Dâautre part, le goĂ»t quotidien est rĂ©interprĂ©tĂ© avec le cĂ©lĂšbre Gargouillou de jeunes lĂ©gumes relevĂ© dâherbes champĂȘtres et de graines germĂ©es, qui se prĂ©sente comme une actualisation / innovation du gargouillou de pommes de terre. Dans le mĂȘme esprit, Provocant mais tellement gourmand, Ă grignoter, la gaufrette de pommes de terre, crĂšme au beurre noisette et caramel au beurre salĂ© ou encore Comme une tarte, Sur une croĂ»te de pain au noix des tiges de rhubarbe, peau de lait et liqueur douce aux fraises, sont deux prĂ©parations sucrĂ©es rappelant Ă la fois les deux aliments de base des habitants du plateau et les goĂ»ters cĂąlins et sĂ©curisants composĂ©s de tranches de pain accompagnĂ©es dâun morceau de sucre humidifiĂ© ou dâune tartine garnie de peau de lait. 34Une nouvelle façon de goĂ»ter le pays in situ Ă©merge. Une façon dâaffirmer que lâon ne peut pas retrouver ce goĂ»t ailleurs. Durant la pĂ©riode de la diaspora aveyronnaise, il Ă©tait possible de trouver le goĂ»t de lâAubrac en dĂ©gustant un plat dans un cafĂ©-charbon Ă Paris, chez un bougnat. Aujourdâhui, il faut se rendre in situ pour retrouver ce goĂ»t de lâAubrac, ce goĂ»t heureux » inscrit en mĂ©moire. 35Il existe donc deux goĂ»ts de lâAubrac. Le goĂ»t du terroir se dĂ©finit comme lâexpression dâun rapport aux produits Ă disposition alors que le goĂ»t de pays se rĂ©vĂšle comme la matĂ©rialisation dâun rapport aux paysages. Le premier traduit un rapport nourricier Ă la nature en terme de ressource et le second un rapport esthĂ©tique. Mais lâun ne se substitue pas Ă lâautre. Ne sâexcluant pas mutuellement, il se produit un mĂ©lange. En effet, ce glissement dâun goĂ»t du terroir Ă un goĂ»t de pays nâinduit pas lâoubli des fondements gustatifs. Ainsi lâhabitant du plateau, connaisseur du goĂ»t du terroir peut-il tout Ă fait rĂ©aliser une nouvelle expĂ©rience gustative en dĂ©couvrant le goĂ»t de pays Ă travers les compositions paysagĂšres de Michel Bras. Inversement, le touriste ou le gourmet allĂ©chĂ© par le goĂ»t de pays largement mĂ©diatisĂ© et diffusĂ© internationalement peut-il apprĂ©hender le goĂ»t de lâaligot tel quâon le fait encore dans quelques burons. Le goĂ»t de pays est complexe il renvoie au gustatif mais aussi au visuel et, plus largement, aux cinq sens. Les autres dimensions visuelle, tactile... de lâAubrac sont donc revisitĂ©es Ă travers le goĂ»t invitant Ă la pluri-sensorialitĂ©. 36Aussi, Ă travers lâexemple du chef cuisinier Michel Bras, assiste-t-on Ă la construction dâune restauration qui sâappuie sur les piliers du goĂ»t local et qui, dans le mĂȘme temps, le rĂ©interprĂšte, le recharge, le rĂ©nove, et lâesthĂ©tise en y instillant de la crĂ©ativitĂ©. LâAubrac fait donc le goĂ»t. Et le goĂ»t fait aussi lâAubrac. Ce goĂ»t possĂšde la couleur de lâAubrac, lâodeur de lâAubrac, la texture de lâAubrac... mais que reste-t-il de lâAubrac ?
LesgraminĂ©es font partie intĂ©grante de notre environnement mais sont potentiellement allergisantes. Elles provoquent le « rhume des foins » (ou rhinite saisonniĂšre). Afin dâĂ©viter la manifestation allergique, il est utile de les connaĂźtre et de les reconnaĂźtre. Cet ouvrage concernant le Sud-Ouest de la France constitue le premier volet dâune flore des plantes pollinisatrices
LarĂ©gion viticole du Sud-Ouest sâĂ©tend sur plus de 57 500 hectares classĂ©s en AOC-AOP, pour une production annuelle de plus de 4,5 Millions dâHectolitres de vin par an et plus de 6 000 domaines viticoles, 150 maisons de nĂ©goces, 23 caves coopĂ©ratives et 1 000 caves particuliĂšres. La production est reprĂ©sentĂ©e Ă 80% par les vins rouges et rosĂ©s et Ă 20% par les vins blancs Parcoureznotre sĂ©lection de beaded cheese knives : vous y trouverez les meilleures piĂšces uniques ou personnalisĂ©es de nos boutiques. Ilsseront rĂ©partis en plusieurs catĂ©gories : du CE1 au lycĂ©e puis des amateurs et des Ă©tudiants de mathĂ©matiques et enfin des professionnels. Florence . 725 587 499 145 284 156 628 575